_: Le contrôle de l' imagerie commerciale : après la campagne d' Afghanistan LAURENCE NARDON Abstract Au début de la campagne d' Afghanistan , le gouvernement américain a acheté en exclusivité toutes les images de la zone en guerre prise par le satellite à haute résolution Ikonos . Cette procédure était plus facile à adopter que l' interdiction de photographier , initialement prévue . Même si les agences de renseignement se sont montrées réticentes à distribuer l' imagerie commerciale auprès des forces armées , l' objectif initial de contrôle de l' information a été atteint . Mais cette procédure ne peut fonctionner avec des producteurs d' imagerie plus nombreux . Contrôler la diffusion de l' imagerie apparaît comme une tâche de plus en plus illusoire . Sous l' égide d' un NSC devenu récemment plus actif , l' administration doit mettre en forme une nouvelle approche du problème . Elle doit accepter la possible diffusion de l' imagerie spatiale . Les solutions explorées passent par la préparation de réponses à l' utilisation de l' imagerie par l' ennemi , que ce soit lors d' opérations militaires ou en prévention d' attaques terroristes , et un dialogue très en amont avec les producteurs privés américains et étrangers . Introduction Ce nouveau rapport du Centre français sur les Etats-Unis fait suite au policy paper sur " Le Contrôle de l' imagerie satellitaire , un dilemme américain " , publié en septembre 2001 , puis mis à jour dans une version en anglais en mars 2002 . L' objectif initial du présent rapport était de présenter les résultats d' une étude menée par le National Security Council ( NSC ) sur le contrôle de la diffusion de l' imagerie commerciale par le gouvernement américain . Lancée au printemps 2001 , cette étude devait s' achever en début d' année 2002 . Malheureusement , certaines difficultés structurelles et conjoncturelles sont apparues et cette étude officielle n' a pas encore vu le jour . Le groupe de réflexion chargé de l ' étude était une sous-commission particulière du Policy Coordinating Committee sur l' espace ( PCC-space ) créé par le NSC . Dans les faits , les efforts du NSC en matière spatiale n' ont pas été suffisants . L' autorité au sein des sous-groupes n' était pas clairement attribuée au NSC . Ed Bolton , Director for Space au NSC sous l' autorité de Frank Miller , n' était pas de rang suffisant pour imposer des compromis aux différentes agences réunies dans le PCC-Space . Surtout , les événements du 11 septembre ont axé les priorités du gouvernement sur l' action et non sur la réflexion . La campagne d' Afghanistan a entraîné des innovations importantes dans les mécanismes de contrôle de la diffusion de l' imagerie . Mais aucune réflexion d' ensemble n' est intervenue et la situation est pour l' instant confuse . Des changements de personnel à la Maison Blanche vont entraîner un recadrage dans les mois qui viennent . I - Le buy-to-deny , une innovation d' octobre 2001 A - Le rejet du shutter control pendant l' opération Enduring Freedom A l' automne 2001 , seule la compagnie Space Imaging proposait des images à haute résolution sur le marché commercial . Opérationnel depuis fin 1999 , son satellite Ikonos produit des images à un mètre de résolution en mode panchromatique et à 4 mètres de résolution en mode multispectral . Au moment d' entamer l' opération Enduring Freedom en Afghanistan , l' administration Bush a voulu s' assurer que ces images ne pouvaient tomber entre des mains hostiles , susceptibles d' en faire un usage militaire . A ce niveau de détail , les images pouvaient montrer par exemple la mise en place de bases au sol américaines sur le territoire afghan , le déplacement des troupes américaines sur le terrain , le degré de visibilité des infrastructures Talibanes , etc ... Quoique moins facilement avouable car touchant à la censure , il était aussi important pour l' administration de contrôler l' usage de l' imagerie par les médias . Fin septembre 2001 , Space Imaging était déjà en pourparler avec CNN pour vendre à la chaîne d' information télévisée des images des opérations . Le gouvernement ne pouvait courir le risque de voir sa politique commentée ou contestée avec des images , dont la charge émotionnelle est souvent importante . Depuis l' adoption de la directive PPD- 23 en 1994 , l' administration disposait d' un mécanisme pour interdire la diffusion d' imagerie commerciale par les entreprises privées , en cas de crise . Selon la directive , " le secrétaire au commerce peut décider de limiter les opérations d' un satellite commercial , soit lorsque le secrétaire à la défense estime que la sécurité nationale est en jeu , soit lorsque le secrétaire d' Etat estime que des obligations internationales et/ou des politiques étrangères pourraient être compromises " . L' opérateur du satellite doit alors limiter la prise de vue au-dessus du territoire concerné ou restreindre la distribution des images . Qui plus est , les communications entre le satellite et ses stations de réception doivent rester accessibles au gouvernement . Cette procédure dite de shutter control faisait l' objet de critiques de la part des médias . Notamment , la formulation des conditions dans lesquelles le shutter control pouvait être déclenché était beaucoup trop floue . Selon la jurisprudence relative au Premier amendement à la Constitution , qui garantit la liberté de la presse , il faut " un danger clair et présent " ou " une menace sérieuse et imminente pour la sécurité nationale " pour justifier une quelconque censure . Depuis 1994 , des associations de journalistes avaient signalé leur intention d' intenter un procès au gouvernement dès la première utilisation du shutter control , pour en obtenir la reformulation . Les producteurs d' imagerie spatiale déploraient aussi le choix du mécanisme de shutter control . En cas d' application , les entreprises étrangères resteraient libres de vendre leurs images des zones en crise et opéreraient sur un marché d' où la concurrence américaine aurait disparu . Pour éviter toute complication , le gouvernement a donc adopté une autre solution pour empêcher la diffusion de l' imagerie commerciale . Un accord commercial a été conclu entre la compagnie Space Imaging et l' agence de renseignement responsable de l ' imagerie ( la National Imagery and Mapping Agency , NIMA ) , accordant à cette dernière une exclusivité sur les images prises de l' Afghanistan . Rendu public le 18 octobre , l' accord a été signé le 5 octobre pour une durée de un mois . Pour 1 , 9 millions de dollars , Space Imaging s' engage à ne plus vendre d' images de ' Afghanistan et de la région ( Pakistan , Ouzbékistan ) à d' autres clients que la NIMA . Chaque kilomètre carré imagé est facturé 20 dollars et les commandes ne peuvent porter sur moins de 10.000 km à la fois . L' accord a été renouvelé le 5 novembre pour un second mois . Après le 5 décembre , l' accord n' a pas été renouvelé . La NIMA , redevenue un client comme les autres , a poursuivi ses commandes sans clause d' exclusivité . Pour le gouvernement , l' accord de buy-to-deny présentait un certain nombre d' avantages par rapport au shutter control . Tout d' abord , l' entreprise d' imagerie concernée ne pouvait plus se plaindre d' un manque à gagner , comme dans le cas d' un shutter control interdisant la production . Au contraire , elle a obtenu en deux mois une somme que l' on peut estimer à 13.2 millions de dollars . L' association Reporter Sans Frontières et l' association américaine Radio-Television News Directors Association ( RTNDA ) se sont plaintes pour leur part de la mesure adoptée . Dans des lettres adressées à Donald Rumsfeld , et aux responsables de la NIMA , elles ont comparé le buy-to-deny à de la censure . Elles n' ont toutefois pas intenté de procès , probablement parce que leurs chances de l' emporter étaient très minces dans le contexte de l' opération Enduring Freedom . D' un point de vue pratique , l' accord de buy-to-deny était aussi plus facile à mettre en place que le shutter control . Ce dernier implique au moins deux secrétaires : le Secrétaire au commerce prend la décision sur la demande du Secrétaire à la défense ou du Secrétaire d' Etat . C' est une décision politique qui implique la responsabilité du gouvernement . La décision du buy-to-deny est en revanche une décision commerciale et les négociations ont été discrètement menées par la NIMA . Enfin , le gouvernement a souligné la grande utilité des images Ikonos pour les forces armées et les agences de renseignement américaines . Celles -ci peuvent les utiliser pour établir la cartographie du territoire , dans le cadre de missions opérationnelles , ainsi que pour communiquer plus facilement avec les forces alliées . Les images commerciales ne sont pas classifiées et peuvent être utilisées sans problème lors de briefings interalliés . B - La NIMA résiste à la diffusion de l' imagerie Ce que la presse a rapidement appelé l' accord de buy-to-deny ( " acheter pour empêcher l' utilisation " ) , la NIMA l' appelle pour sa part l' accord de assured access , c' est-à-dire " d' accès assuré " . L' accord initial semblait inclure une clause d' exclusivité à perpétuité sur les images achetées . Il semble néanmoins que les images soient déjà déclassifiées et versées aux archives de la compagnie . Clients et chercheurs peuvent désormais consulter la liste des images commandées par la NIMA à l' automne dernier . Steven Livingstone , professeur à la School of Media and Public Affairs de l' Université George Washington a analysé les images commandées par la NIMA pendant les deux mois couverts par l' accord . Du 5 octobre au 5 décembre , un total de 470 000 km carrés d' imagerie a été acheté par la NIMA . Il s' avère que les images de l' Afghanistan achetées par la NIMA correspondent bien aux zones de front sur le territoire . Semaine après semaine , elles suivent les mêmes évolutions géographiques que les opérations armées . Selon les conclusions de l' étude , il est possible que la NIMA ait utilisé les images Ikonos pour dresser des cartes précises et à jour des régions en cause . L' administration ne disposait pas de cartes de tout le territoire afghan et il fallait rapidement pallier ce manque . La situation était la même en 1990 , lors des préparatifs de l' opération Desert Storm . Le Pentagone avait alors acheté des images Spot pour établir des cartes du sud de ' Irak . La NIMA a accompli cette mission en interne . Lors de sa création en 1996 , elle a l accueilli les quelques 7000 employés de la Defense Mapping Agency ( DMA ) et l' une de ses missions est la cartographie . Mais l' utilisation de ces images par les forces armées pour des missions opérationnelles semble avoir été plus difficile . George W. Bush était encore crédité , 14 mois après les attentats de New York et de Washington , de plus de 60 % d' opinions favorables , ce qui constitue un record au bout de deux ans de présence à la Maison-Blanche . Conformément à l' accord conclu avec la NIMA , les images de la zone en guerre prises par le satellite Ikonos ne pouvaient être transmises à la station de réception installée par Space Imaging dans les Emirats Arabes Unis ( à Abou Dhabi ) . Elles devaient être reçues et traitées dans les installations de la compagnie sur le territoire américain . Elles étaient donc reçues dans le Colorado ( Denver ) et en Alaska ( Fairbanks ) . Elles étaient ensuite envoyées par e-mail et par courrier spécial à la base aérienne de Bolling , à Washington , DC . Elles y étaient archivées par la NIMA , sans doute après leur exploitation pour la cartographie . Dans un premier temps , le personnel de l' Air Force désireux d' utiliser les images Space Imaging devait se rendre sur la base de Bolling , copier les images sur des CD ou des disques durs d' ordinateurs portables , puis envoyer ces données par avion en Arabie Saoudite , où elles étaient réceptionnées sur la base de l' U.S. Air Force Prince Sultan . Elles pouvaient alors être distribuées aux soldats de l' Air Force dans une quinzaine de sites du théâtre d' opération . Les livraisons de Bolling vers la base Prince Sultan étaient effectuées une fois par semaine au début du conflit . C' est à ce moment -là qu' elles ont acquis le surnom de Pony Express , du nom des courriers reçus par les pionniers du far West , au XIXème siècle . Elles ont ensuite été envoyées plus facilement par satellite , notamment grâce au Global Broadcast Service . Il semble probable que la NIMA a eu des difficultés à distribuer ce type de renseignement . Il n' y avait pas de procédure en place pour organiser la distribution ; les agents , qui manquent encore d' habitude face à ces produits différents , entretiennent une certaine méfiance envers une source d' approvisionnement qu' ils ne contrôlent pas totalement . Au-delà de ces difficultés , certains responsables de l' Air Force et de Space Imaging ont évoqué à mots couverts la mauvaise volonté de la NIMA . L' agence de renseignement est avant tout soucieuse de maintenir des programmes d' observation " nationaux " importants dans les décennies à venir . Or , plus les besoins servis par les entreprises commerciales seront importants , plus les futurs programmes de satellites du NRO pourront être réduits . La NIMA a donc intérêt à restreindre l' accès des forces armées à ' imagerie commerciale , afin qu' elles ne prennent pas l' habitude d' utiliser ces nouveaux l produits . Elle veut éviter que les crédits destinés à l' acquisition de systèmes militaires soient consacrés à l' achat de produits commerciaux . Le rapport Rumsfeld de janvier 2001 évalue à 50 % les besoins en renseignement de la NIMA qui pourraient être couverts par de l' imagerie à 50 cm de résolution . Le satellite QuickBird de l' entreprise DigitalGlobe , opérationnel au printemps 2002 , annonce une résolution de 61 cm en mode panchromatique . La firme Space Imaging a reçu en décembre 2000 une licence pour construire son prochain satellite avec une résolution de 50 cm . L' offre croissante d' imagerie à haute résolution forcera sans doute la NIMA à s' adapter . C - Les agences fédérales civiles , utilisatrices concurrentes Au-delà de la communauté du renseignement et des forces armées américaines , les agences fédérales civiles font également usage d' imagerie spatiale pour mener à bien leur mission . Dans le cadre d' une étude réalisée en 2001 pour le Sénat , le Congressional Research Service a tenté d' évaluer l' ampleur de leur recours à l' imagerie . Sur un total de 19 agences ou ministères interrogés , quinze font usage de données issues de l' observation de la Terre , avec un usage très important pour onze d' entre elles . Parmi les sources d' approvisionnement citées figurent les systèmes gouvernementaux civils ( Nasa , NOAA , USGS ) , les systèmes commerciaux américains ( Space Imaging , OrbView ) , et les systèmes étrangers institutionnels et commerciaux ( Spot , IRS , ERS , Radarsat ) . Les systèmes militaires américains sont plus rarement utilisés , pour des raisons de classification . Les agences fédérales civiles sont des utilisatrices potentiellement importantes de l' imagerie commerciale . Les budgets qu' elles consacrent à l' achat d' imagerie commerciale sont difficiles à appréhender . Pour certaines agences comme USAID , ou le Département d' Etat , les budgets n' ont pu être reconstitués , car les fonds sont éparpillés entre les différents utilisateurs et les types de dépense ( software , personnel , images ) . D' autres agences , comme le Département de l' énergie , ont un accès gratuit aux images de la Nasa et de la de la NOAA . Ces deux dernières agences présentent à l' inverse des budgets surdimensionnés , qui recouvrent la maintenance des systèmes de données , des infrastructures et des stations-sol et certaines missions opérationnelles . Certains autres budgets semblent plus prometteurs : le Département de l' agriculture , par exemple , a dépensé 38.3 millions en imagerie en 2000 et le Département des transports ( incluant les Coast Guard ) en a acheté pour 8 millions en 2001 . Mais d' autres chiffres sont trompeurs . Au sein du Département de la justice , l' Immigration and Naturalisation Service ( INS ) a acquis pour 35 millions de dollars d' imagerie en 2001 et a requis 55 millions pour 2002 , mais il semble que ces sommes soient consacrées à l' achat d' imagerie aérienne ( voir détail page suivante ) . Le total des budgets consacrés par les agences civiles à l' achat d' imagerie spatiale commerciale semble donc peu élevé pour l' instant . Le rapport du Sénat mentionne quelques moyens d' augmenter le recours à ce type de produit dans l' avenir . Il recommande par exemple la mise en place de centres de commande d' imagerie uniques au sein de chaque l' administration , afin d' obtenir des prix et des services meilleurs de la part des fournisseurs ; des investissements communs dans le software et dans la formation à l' interprétation des images ; la possibilité d' acquérir une licence d' exploitation des images valable pour l' administration entière , afin que les agences fédérales puissent se communiquer les images entre elles . Plus l' usage de l' imagerie commerciale se répandra dans l' administration , plus il sera difficile pour la NIMA et le NRO de justifier la non-utilisation de ces données . D - Le buy-to-deny n' est pas une solution de long terme L' accord d' octobre 2001 est une innovation judicieuse . Il n' est pas sûr qu' il pourra être renouvelé dans le futur . Le nombre de fournisseurs américains et étrangers d' imagerie doit s' accroître dans les prochaines années . La NIMA ne peut adopter comme mécanisme de sécurité l' achat toutes les images dangereuses . Pendant la campagne d' Afghanistan , seul le satellite Ikonos 2 produisait des images à haute résolution , avec des images optiques à 1 mètre et des images multispectrales à 4 mètres . Lors d' une prochaine crise internationale , la NIMA pourrait avoir à acheter la production du satellite QuickBird 2 de DigitalGlobe , ( opérationnel au printemps 2002 , résolutions de 61 cm en mode panchromatique et 2 , 44 mètres en mode multispectral ) , du satellite OrbView 3 d' Orbimage ( lancement prévu en 2003 , résolutions de un mètre en mode panchromatique et 4 mètres en mode multispectral ) et d' Ikonos 3 ( lancement prévu en 2004 , 50 cm de résolution en mode panchromatique ) . L' achat de toutes les images produites serait sans doute coûteux et aléatoire . Quant aux entreprises étrangères , quel que soient leur nombre et la résolution de leurs images , il est peu probable qu' elles acceptent les propositions d' achat exclusif d' une agence de renseignement américaine comme la NIMA . Le buy-to-deny a été une solution de court terme . De l' aveu des responsables de ' actuelle administration , il n' est pas non plus pensable de revenir au shutter control . L' administration doit donc maintenant s' attacher à trouver un nouveau mécanisme de contrôle . 2 - Vers la formulation d' une nouvelle politique ? A - Des cadres plus motivés à la Maison Blanche Les premiers mois de l' administration Bush ont vu un désengagement de la Maison Blanche sur les questions spatiales , attribuées au Pentagone . Le National Security Council ( NSC ) a nommé une seule personne en charge de ces questions . Edward Bolton , lieutenant-général de l' armée de l' Air , résumait sa mission en soulignant que l' espace n' était pas la priorité du gouvernement Bush , que ce soit avant ou après le 11 septembre . Les groupes de travail dépendants du PCC-Space n' ont pas été très dynamiques . Certains n' ont pas été réunis une seule fois . En avril 2002 , Gil Klinger a remplacé Ed Bolton au poste de Director for Space . Gil Klinger est un responsable de niveau plus élevé . Il a été Deputy Under Secretary of Defense for Space lors de la création de cette fonction en 1994 . Ce poste a été supprimé en 1998 et remplacé par un Assistant Secretary of Defense for Space ( qui chapeaute un " Directorat pour l' espace " ) . Gil Klinger a alors été nommé Director for Policy au National Reconnaissance Office , poste qu' il a conservé jusqu'en 2002 . Gil Klinger est doté d' une forte personnalité . Il a été appelé à la Maison Blanche par le Senior Director for Defense and Arms Control Frank Miller , pour reprendre en main le dossier espace . Parmi les thèmes dont il doit s' occuper en premier figurent le contrôle de l ' imagerie , mais aussi le marché des lanceurs , le contrôle des exportations et le dialogue avec les pays étrangers . Il compte réaffirmer l' autorité de la Maison Blanche face aux autres entités administratives . L' OSTP , la NOAA , le bureau des exportations ( BXA ) et les autres agences qui participent aux groupes de travail du PCC-Space devront sans doute à nouveau accepter l' autorité du NSC . Sous la conduite plus énergique de Gil Klinger , les groupes de réflexion pourront s' attaquer au problème des risques liés à la diffusion d' imagerie commerciale à haute résolution . B - Les solutions envisagées par l' administration Autoriser la distribution de l' imagerie à un mètre de résolution sur le marché est un risque que l' administration a pris consciemment en 1994 . Les concurrents étrangers semblaient se diriger de toute manière vers la production de ce type d' imagerie et les Etats-Unis souhaitaient prendre les devants . Il faut maintenant gérer les risques associés à ' ouverture de cette " boîte de Pandore " . Kevin O'Connell , senior analyst sur les questions d' imagerie spatiale à la Rand Corporation , a une opinion tranchée sur la question . Selon lui , il est inutile de s' acharner à contrôler la diffusion de l' imagerie commerciale en cas de crise , car ' apparition de fournisseurs étrangers rendra ces tentatives de plus en plus illusoires . Tout en précisant qu' il faut conserver les possibilités juridiques de restrictions , Kevin O'Connell propose de faire porter les efforts sur la sécurisation en aval . La Maison Blanche rejoint Kevin O'Connell dans l' idée que le contrôle par l ' administration américaine ne restera plus étanche très longtemps . Elle souhaite concentrer ses efforts sur la réponse à apporter aux situations où l' ennemi dispose d' imagerie métrique . Elle n' abandonne pas totalement l' idée du contrôle , mais le situe dans une perspective en amont plus globale . A un stade très peu abouti de la réflexion des responsables , quelques éléments concrets sont mentionnés pour une nouvelle approche du problème . Préparer la réponse en cas de diffusion d' imagerie métrique Acceptant l' idée que l' ennemi ou la presse disposeront d' imagerie à haute résolution lors de futures opérations , le gouvernement doit mettre au point des réponses appropriées . a - Les campagnes militaires Pour préparer la défense des troupes lors d' opérations extérieures , le Département de la Défense devra organiser des exercices militaires spécifiques . Des scénarios dans lesquels l' ennemi disposera , lui aussi , d' imagerie à un mètre de résolution , montreront à quels dangers supplémentaires les troupes sont exposées et quelles solutions peuvent être apportées . L' idée de prendre de vitesse les forces ennemies dans l' obtention et l' exploitation de l' imagerie figurera sans aucun doute dans les enseignements tirés de ces exercices . L' imagerie doit parvenir plus vite aux forces américaines qu' aux forces ennemies . Elle doit aussi être mieux interprétée . Lors d' une opération de type Enduring Freedom , il faudrait par exemple que le satellite Ikonos transmette directement les données à la station de réception SpaceImaging située dans les Emirats Arabes Unis , que les meilleurs logiciels et photo-interprètes l' interprètent rapidement , et que les informations soient aussitôt envoyées aux troupes sur le terrain . Le délai total ne devrait pas excéder 24 heures . Il est probable que les forces ennemies ne pourraient obtenir l' imagerie aussi rapidement et ne sauraient pas l' exploiter aussi bien . La diffusion d' imagerie auprès d' elles serait moins dangereuse dans ces conditions . b - La sécurité du territoire L' Office of Homeland Security , à la Maison Blanche doit coordonner la réflexion en ce qui concerne la sécurité intérieure . La préparation consistera à voir quelle information opérationnelle l' imagerie métrique peut apporter pour préparer une action hostile sur le territoire américain . Il faudra par exemple recenser les cibles potentielles aux Etats-Unis : aéroports , centrales nucléaires , bases militaires , réservoirs d' eau potable ... La presse s' est fait l' écho de difficultés dans l' exploitation effective des images et notamment dans leur transmission aux forces sur le terrain . c - Les médias et les ONG L' accès des médias aux images est un autre problème . La presse ou les ONG vérificatrices ( comme par exemple GlobalSecurity.com , dirigée par John Pike ) peuvent questionner la politique du gouvernement sur la base d' images accusatrices . La prévention de ce risque très spécifique est délicate . Le gouvernement américain peut soit engager un dialogue avec les médias américains , soit exercer un droit de censure et de saisie . Mais cette seconde défense est illusoire . La transmission de l' information est devenue aujourd'hui trop rapide pour que les autorités fédérales puissent agir à temps ; l ' internet et les médias étrangers restent quant à eux difficilement contrôlables . Pour l' instant , le manque de fournisseurs d' imagerie métrique et la loyauté des médias américains fournissent un garde-fou . Mais il n' y a pas de solution claire au problème qui risque de se poser dans l' avenir . Un contrôle plus en amont L' administration doit étudier une nouvelle méthode de contrôle de la diffusion de l ' imagerie . Celle -ci ne passera plus par l' interdiction de produire ou l' acquisition de droits d' exclusivité . Il lui faut sans doute exercer une influence très en amont sur la production . a - Repenser les fondements de la relation entre l' état fédéral et les entreprises d' imagerie commerciale Les entreprises survivent à l' heure actuelle grâce aux achats institutionnels . Mais ceux -ci sont trop limités pour permettre aux entreprises de décoller . Compte-tenu des besoins en imagerie qui peuvent être couverts par ces entreprises et leurs systèmes , le gouvernement semble envisager d' accroître sensiblement le volume de ses achats , afin de mener ces entreprises à une sorte de prospérité . La direction de la NIMA a mentionné une nouvelle Commercial Imagery Strategy ( dite CIS 2001 ) , qui remplacerait la CIS de 1998 . Elle mettrait en place une " nouvelle alliance stratégique " fondée sur plusieurs éléments : la planification à l' avance des achats d' imagerie commerciale par la NIMA , pour permettre aux entreprises d' investir dans leurs systèmes futurs ; le transfert d' exigences de plus en plus raffinées , notamment le traitement de l' information , vers le secteur privé . Le NRO serait soulagé d' une partie de ses missions en résolution métrique et basse . Il faut pour cela que la NIMA obtienne des fonds très importants du Congrès . L' application des CIS précédentes a montré que les parlementaires américains ne votaient toujours les budgets demandés pour l' achat d' imagerie commerciale par les agences de renseignement . Pour que la nouvelle architecture fonctionne , il faut aussi que le personnel de la NIMA accepte d' utiliser et de diffuser effectivement l' imagerie commerciale auprès de l' ensemble des forces . L' expérience de l' opération Enduring Freedom a montré que certains officiers de renseignement préfèrent conserver les financements pour leurs propres systèmes et résistent à l' évolution en cours . A terme , l' application de la CIS 2001 signifierait que les entreprises d' imagerie commerciale américaines seraient très fortement intégrées dans l' architecture de renseignement fédérale . Il leur deviendrait difficile de désobéir aux souhaits du gouvernement en cas de crise . Le gouvernement bénéficierait d' un droit d' exclusivité implicite . S' il parvient à se mettre en place , un tel système serait l' objet de critiques : l ' exclusivité gouvernementale irait à l' encontre des principes de l' ONU de 1986 , selon lesquels un pays observé par un système commercial doit pouvoir acheter les images en question . Ce serait aussi la fin durable des efforts des entreprises pour se développer sur un marché civil et privé . Les entreprises américaines n' auraient plus de commercial que le nom et constitueraient en réalité un système para-public . b - Un dialogue avec les pays étrangers producteurs d' imagerie Le Département d' Etat aura la responsabilité d' entamer des discussions avec les pays qui possèdent des systèmes commerciaux . Selon la Maison Blanche , l' harmonisation des méthodes de contrôle semble un objectif très ambitieux à ce stade : la plupart des pays producteurs n' ont pas encore de système de contrôle particulier . Les images vendues par les entreprises non-américaines restent de résolution plus grossière et présentent pour l' instant moins de danger en termes de sécurité . Lors de la campagne d' Afghanistan , par exemple , Spot Image a reçu peu de commandes de la presse , car les images disponibles ( Spot 1 , 2 et 4 , résolution de 10 mètres en mode panchromatique ) n' étaient finalement pas assez parlantes pour le public . C' est pour cette raison que l' entreprise française se contente actuellement de respecter les décisions de l' ONU . Il peut s' agir d' embargos , comme celui qui s' applique à l' Irak , mais surtout des résolutions plus spécifiques de 1986 sur l' imagerie . En accord avec ces résolutions , Spot Image garantit l' accès des pays observés aux photographies prises , dans des délais et pour un prix raisonnable . Le gouvernement français n' a pas adopté pour l' instant de mécanisme de contrôle plus strict . Leur sécurisation passe par le camouflage et/ou le renforcement des structures , la révision des droits d' accès aux installations , la restriction des droits de survol et une mise en alerte des forces aériennes . Le satellite israélien Eros s' approche de la résolution métrique avec une résolution de 1 , 8 mètres . Spot 5 , qui vient d' être lancé , présente une résolution de 2 , 5 mètres . Rocsat pour la Corée et Alos pour le Japon , dont les lancements sont prévus pour 2003 et 2004 respectivement , auront tous les deux une résolution proche de 2 mètres en mode panchromatique . La compagnie russe SovinformSpoutnik semble posséder actuellement un système opérationnel d' une résolution de 2 mètres . L' Inde prévoit le lancement du satellite de cartographie IRS-P5 pour 2002 - 2003 . L' intérêt de l' imagerie à deux mètres reste plus limitée pour des utilisateurs hostiles ou pour les médias . Si son système de satellites à résolution métrique Pléiades est déployé dans la seconde partie de la décennie , Spot Image proposera alors des images potentiellement plus dangereuses . Les débats interministériels déjà entamés en France devront alors aboutir à l' adoption d' une politique de contrôle plus stricte . La coordination de ces futurs mécanismes de contrôle avec ceux qui existeront aux Etats-Unis reste à inventer . Dans les situations de crise internationale post-guerre froide , la France , de même que la Russie et Israël , sont le plus souvent dans le même camp que les Etats-Unis . Un dialogue informatif et préparatoire doit être dès à présent entamé . Le Département d' Etat fera connaître ses positions et ses vulnérabilités , puis appréhendera la manière dont les administrations étrangères envisagent d' éventuels contrôles . Une partie de ce dialogue portera sur la réforme possible des procédures de contrôle des exportations de matériel sensible américain . Les restrictions ne doivent plus être simplement fondées sur la résolution des images , mais pourraient prendre en compte les alliés destinataires des exportations et la nature des technologies considérées . Il devrait être possible de négocier une harmonisation des attitudes des pays alliés en cas de crise . Ceci ne sera pas forcément vrai pour des pays comme la Chine ou l' Inde . Le contrôle des systèmes commerciaux étrangers doit donc aussi pouvoir reposer , en fin de compte , et selon la gravité du danger ressenti par les Etats-Unis , sur des systèmes militaires . En conclusion , l' évolution qui se dessine semble constituer une certaine reformulation du concept d' information dominance . Ce concept élaboré dans les années 1990 a été largement adopté par le Pentagone sous l' administration Clinton . Il prévoit la maîtrise de l' information , notamment spatiale et commerciale , dans un but de domination militaire : " Information dominance may be defined as superiority in the generation , manipulation , and use of information sufficient to afford its possessors military dominance . " Un élément important de l' information dominance est la possibilité d' entraver l' accès de l' ennemi à l' information . Au lendemain de l' opération Enduring Freedom , l' administration Bush repense son approche . Elle doit accepter la possible diffusion de l' imagerie spatiale . Les solutions explorées passent par un dialogue très en amont avec les producteurs américains et étrangers , une utilisation de l' imagerie meilleure et plus rapide que l' ennemi pendant les crises , la préparation dès à présent des ripostes à la diffusion de l' imagerie . Entretiens Administration : Gil Klinger , NSC , 8 mai 2002 Brett Alexander , OSTP , 8 mai 2002 Scott Pace , Nasa , 22 avril 2002 Industrie : Mark Brender , Space Imaging , 3 mai 2002 Philippe Munier , Spot Image , 17 mai 2002 Recherche : Kevin O'Connell , Rand , 22 avril et 16 mai 2002 Ray Williamson , Space Policy Institute , 1er mai 2002 Lucas Robinson , School of Media and Public Affairs , GWU , 16 mai 2002