_: Le Centre français sur les Etats-Unis ( CFE ) La crise budgétaire des Etats fédérés américains François Vergniolle de Chantal de Chantal Chercheur associé au CFE Maître de Conférences à l' université de Bourgogne vdechantal.cfe@ifri.org Août 2003 www.cfe-ifri.org La quasi-totalité des Etats - seuls l' Alabama , le Michigan , New York , et le Texas ont des dates différentes - ont eu à boucler leur budget pour l' année fiscale 2003 - 2004 le 30 juin dernier , révélant ainsi l' ampleur de la crise budgétaire qui les frappe . Le constat de crise est généralisé depuis le printemps 2003 : les différents think tanks ont tous leur avis sur la question - le Cato critiquant l' interventionnisme fédéral , la Brookings dénonçant les irresponsables coupes budgétaires étatiques , et Heritage le manque de responsabilité fiscale des dirigeants -. Ces derniers , ainsi que les lobbies intergouvernementaux ( National Governors'Association , National Association of States'Legislatures en particulier ) , s' emploient à développer les éléments d' une rhétorique récurrente depuis le début des années quatre-vingt-dix , et selon laquelle la crise actuelle est a ) la pire depuis longtemps b ) totalement imprévisible c ) imputable pour l' essentiel à la politique fédérale . La situation est d' autant plus difficile que tous les Etats - sauf le Vermont - sont contraints par leur constitution d' assurer un budget équilibré . Plus généralement , les difficultés budgétaires actuelles peuvent être aisément interprétées comme une manifestation des impasses d' un fédéralisme dit " coopératif " où les pressions contradictoires et les accusations mutuelles entre les différents niveaux de gouvernement ( fédéral , fédéré , local , municipal ) sont quasi-permanentes . C' est d' ailleurs là un thème qui revient fréquemment dans le débat actuel , que ce soit à la droite ou à la gauche de l' échiquier politique , et qui prend la forme d' un appel au " tri " ( sorting out ) des fonctions gouvernementales . Les conservateurs vont ainsi défendre un transfert plus net de fonctions vers les Etats fédérés , alors que leurs homologues libéraux ( au sens américain ) considèrent que l' Etat fédéral doit assumer ses fonctions nationales . Derrière la rhétorique , il va de soi que l' équilibre financier des Etats pose de façon aiguë le problème des relations intergouvernementales . Des Présidents comme Ronald Reagan ou Richard Nixon , en leur temps , l' avaient parfaitement compris et tenté de le mettre en oeuvre avec des programmes dits de " Nouveau Fédéralisme " ( New Federalism ) dont l' objectif le plus direct était d' alléger la charge financière de l' Etat fédéral en transférant aux Etats fédérés un nombre plus important de responsabilités . De nos jours , comme il y a vingt ans , l' argument " fédéral " est fortement lié aux questions budgétaires , alors qu' il est souvent présenté comme en engagement politique , voire idéologique . Au lieu de mettre l' accent sur les débats en cours concernant la question du fédéralisme , nous voudrions fournir un éclairage des principaux éléments budgétaires du problème . Malgré la diversité des situations étatiques - le Wyoming ne connaît par exemple aucune crise financière alors que la Californie , elle , voit une crise politique et institutionnelle se greffer à ses problèmes budgétaires - , les principales causes de la crise sont aisément identifiables . Il est ainsi possible de mettre en lumière des évolutions importantes du fédéralisme américain . Il semble à peu près acquis que le pari conservateur de ces dernières années , celui de la " dévolution " ( devolution ) , est en passe d' être gagné . Dans une large mesure , l' actuelle crise budgétaire des Etats fédérés est le produit du succès de la stratégie conservatrice de " Nouveau Fédéralisme " . I. La fragilité de la situation budgétaire des Etats fédérés Dans un éditorial récent du Washington Post , un Sénateur démocrate de Caroline de Sud expliquait que l' administration Bush avait réussi à masquer la gravité de la situation budgétaire de l' Etat fédéral . Le constat d' un certain oubli médiatique s' impose encore plus pour les Etats fédérés . En écho à la situation fédérale , les Etats sont bien en proie à une crise budgétaire particulièrement aiguë . Hormis les spécialistes de la question , cette crise ne semble pourtant pas intéresser l' opinion publique américaine , et encore moins les observateurs étrangers . Le caractère récurrent de la crise budgétaire des Etats est sans doute une part de l' explication - au début de la décennie quatre-vingt-dix , la situation était assez similaire - , tout comme la quasi-certitude d' une aide de l' Etat fédéral . Pourtant , le problème est bien réel et il est presque certain que ses conséquences immédiates vont lui donner rapidement une visibilité politique . Les hausses d' impôts , en particulier , touchent directement les électeurs , et le lancement de la campagne présidentielle à partir des primaires de l' hiver 2004 va mécaniquement contribuer à faire de la crise budgétaire étatique un enjeu politique : les candidats démocrates ne peuvent pas laisser passer une telle occasion de critiquer la politique économique du Président , et celui -ci devra forcément le prendre en compte . L' ampleur du gouffre budgétaire devant lequel se trouvent les Etats est nettement plus préoccupante qu' au début de la précédent crise . La récession avait officiellement touchée le pays en juillet 1990 . Dès le milieu de l' année fiscale 1991 , trente Etats faisaient face à un déficit cumulé de 15 milliards de dollars . La solution adoptée avait été une augmentation substantielle des impôts étatiques , d' environ 27 milliards de dollars entre l' année fiscale 1989 et celle de 1992 . A l' époque , la hausse draconienne des impôts avait aussi résulté du manque d' économie des Etats , et pas simplement de la mauvais situation d' ensemble . Ainsi , la plupart des Etats essaient maintenant de mettre de l' argent de côté soit dans le fond général , soit dans un fond spécifique dit de stabilisation ( on mentionne souvent ce dernier sous l' expression de " rainy day fund " ) . Lors de la récession de juillet 1990 , les Etats avaient , en moyenne , 4.7 % de leur budget en réserve dans l' un de ces deux fonds , soit 12 milliards de dollars ; or ceci s' est révélé largement insuffisant , d' où le recours aux impôts . A partir de 1993 , avec le redécollage de l' économie américaine , les Etats avaient finalement réussi à émerger de leurs problèmes budgétaires , et en avaient profité pour revenir sur les augmentations d' impôts : entre 1994 et 2001 , 43 Etats ont baissé les impôts pour un montant de plus de 40 milliards de dollars . Le ralentissement économique actuel a débuté à la fin de l' année 2000 en touchant d' abord des zones industrielles autour des Grands Lacs et des ports du Sud ; les attentats du 11 septembre 2001 ont encore fragilisé la situation . Cette fois , ce sont donc les Etats du Sud ( Alabama , Arkansas , Kentucky , Missouri , les Carolines , Tennessee , et la Virginie ) ainsi que ceux du Midwest ( Indiana , Michigan , Ohio ) qui ont connu les premières difficultés à partir du printemps 2001 . Les responsables étatiques avaient aussi tenté de pallier d' éventuels problèmes budgétaires à venir en augmentant les réserves budgétaires : en 1999 , elles se montaient ainsi à 8 , 5 % du budget des Etats . Mais pourtant , la situation est sans commune mesure avec celle du début des années quatre-vingt-dix . Les experts considèrent que les Etats auraient dû doubler leurs réserves ( de 8 , 5 % à 18 , 6 % selon le Center on Budget and Policy Priorities ) pour faire face à la force de la crise actuelle . Ainsi , le CBPP estime qu' à présent plus de la moitié des Etats ont des revenus inférieurs à ce qui était initialement prévu en 2002 , de sorte que 45 d' entre eux ont un déficit budgétaire pour l' année fiscale 2003 d' un montant de 25 milliards de dollars , chiffre qui devrait se monter , selon les estimations , à 68 , voire 85 milliards de dollars pour l' année 2004 . Une large part des remous budgétaires actuels trouve son explication dans la configuration des prélèvements étatiques . En effet , il semblerait que le système fiscal existant amplifie rapidement - soit à la hausse , soit à la baisse - les évolutions économiques nationales . Il faut donc se tourner vers la composition des revenus et des dépenses des Etats . La masse budgétaire des Etats est considérable , y compris par rapport au budget de l' Etat fédéral . C' est une donnée peu réalisée par les lecteurs européens , mais les Etats fédérés étant , au sein du système fédéral , des entités souveraines dans le domaine de compétence que leur réserve la Constitution , ils ont à leur disposition un appareil fiscal substantiel . En 1997 , le total des revenus étatique atteignait 815 milliards de dollars . Les Etats ont collecté en propre 584 milliards de dollars , et l' Etat fédéral a fourni les 231 milliards de dollars restants , par le biais de financements catégoriels ou " en bloc " ( categorical grant - block grant ) , c' est-à-dire soit en finançant des programmes spécifiques - dits " catégoriels " - soit en attribuant une somme générale à un domaine dont la gestion courante est laissée aux Etats fédérés . Cette masse budgétaire des Etats se décompose classiquement en revenus ( prélèvements ) et en dépenses . Au niveau des prélèvements , l' impôt sur le revenu ( income tax ) et l' impôt sur la consommation ( sales tax ) occupent les premières places , puisqu' ils représentent chacun environ 18 % du revenu total des Etats . Les rentrées de l' impôt sur la consommation augmentent relativement peu . Elles ont été dépassées par le montant de l' impôt sur le revenu perçu par les Etats au cours de la décennie quatre-vingt-dix . L' impôt sur la consommation a en effet été érodé par toute une série d' exemptions accordées à différents produits , par exemple aux ventes effectuées sur Internet , mais ces réductions varient considérablement d' un Etat à l' autre , produisant , en fin de compte , une situation extrêmement complexe , voire confuse . Troisième grande catégorie , les soutiens de l' Etat fédéral . Plus de la moitié de ces " aides intergouvernementales " sont des financements destinés à des programmes d' assistance sociales ( public welfare ) tels le récent Temporary Aid to Needy Families ( TANF ) qui , depuis 1996 , remplace le programme AFDC ( Aid To Families With Dependent Children ) . Ces aides représentent la part la plus importante des revenus des Etats -un peu plus de 28 % en 1997 - de sorte qu' aucun Etat ne pourrait boucler son budget sans l' aide de l' Etat fédéral . Dans ces conditions , l' élément fondamental pour l' équilibre budgétaire des Etats est bien la décision fédérale ! La crise actuelle des Etats a lieu au moment où l' Etat fédéral relance sa stratégie de désengagement financier entamée depuis les années quatre-vingt . Il ne s' agit pas bien sûr d' une simple coïncidence : au vu de la masse des aides fédérales , c' est là l' élément déterminant des difficultés étatiques . A côté de ces trois grandes sources de revenu , il convient de mentionner l' impôt sur les entreprises ( corporate tax ) qui , en 1997 , représentait un peu moins de 4 % du revenu étatique total . Derrière ces chiffres globaux , les Etats varient considérablement dans la composition de leur revenu . Ainsi , neuf d' entre eux imposent peu ou pas d' impôt sur le revenu ( le New Hampshire et le Tennessee dans la première catégorie , alors que l' Alaska , la Floride , le Nevada , le Dakota du Sud , le Texas , l' Etat de Washington , et le Wyoming n' ont pas du tout d' impôt sur le revenu ) . Le Massachusetts et l' Oregon , à l' inverse , ont un impôt sur le revenu qui constitue 30 % de leur revenu total . La même ambivalence se relève au niveau de l' impôt sur la consommation . Cinq Etats ne disposent pas d' un tel impôt ( l' Alaska , le Delaware , le Montana , le New Hampshire , et l' Oregon ) , alors qu' en même temps , la Floride , le Nevada et l' Etat de Washington voient cette taxe représenter entre 35 et 40 % de leurs revenus . Au niveau des dépenses budgétaires , on peut aussi identifier quelques postes qui ressortent de façon disproportionnée dans le budget général , et il convient également de souligner la grande hétérogénéité des Etats en la matière . L' éducation primaire et secondaire ( elementary and secondary education ) représentait 160 milliards ( soit 20 % ) des dépenses des Etats en 1997 . Le second poste , celui de l' assistance sociale ( public welfare ) , représentait , à la même date , 16 % des dépenses , et était essentiellement lié à Medicaid , le programme fédéral d' assistance aux défavorisés . Le troisième poste , surclassé par le précédent depuis le début des années quatre-vingt-dix , est celui de l' enseignement supérieur ( higher education ) , totalisant 12 % des dépenses . Viennent ensuite les hôpitaux , les autoroutes , et d' autres programmes de santé mineurs . La composition des dépenses varie considérablement d' un Etat à l' autre , ce qui rend compte de profondes différences historiques et sociales . Il est en effet possible , en première approche , de diviser les Etats en deux catégories générales : institutionnellement , on distingue le plus souvent deux groupes d' Etats , mais cette différence n' est pas purement formelle . Elle a des influences importantes quant aux politiques publiques mises en oeuvre par les Etats . Le premier groupe , dit " jacksonien " , est composé d' Etats où les Exécutifs sont faibles et où l' interventionnisme des pouvoirs publics est limité ; il s' agit surtout d' Etats du Sud . Le second groupe , dit " progressiste " , est composé d' Etats du Midwest , de la Nouvelle-Angleterre , de la Californie et de New York . Le pouvoir exécutif y est puissant , et l' activisme des pouvoirs publics ( notamment en matière sociale ) est réel . Il va de soi que les Etats appartenant à la seconde catégorie ont un système de prélèvement relativement familier à un Européen : un impôt sur le revenu élevé destiné à financer un activisme public réel . Tendanciellement , il semblerait que les Etats dits " Progressistes " peuvent donc faire face plus aisément aux fluctuations économiques nationales . Le poids de l' impôt sur le revenu dans le budget de ces Etats agit très certainement comme une forme de stabilisateur , assurant une base fiscale solide . Mais pourtant , le développement de leur système fiscal ne les met pas à l' abri d' importants problèmes budgétaires qui , là encore , sont connus en Europe : comment concilier rigueur de gestion et le développement d' une politique sociale réelle ? Si les Etats " progressistes " sont donc plus susceptibles de pouvoir faire face aux problèmes de conjoncture , le développement de leurs politiques sociales pose aussi le problème de gestion des conséquences de la crise économique - chômage en tout premier lieu -. Ainsi , à la différence des Etats " Jacksoniens " , ceux qui ont une tradition activiste plus prononcée ne doivent pas seulement gérer des problèmes au niveau de leurs recettes , mais également au niveau de leurs dépenses . Quant aux Etats " Jacksoniens " , ils ont leurs propres problèmes . La dépendance plus forte vis-à-vis de l' impôt sur la consommation accroît radicalement les risques de fluctuations majeures des recettes fiscales en fonction de l' état de l' économie . Mais les satellites commerciaux non-américains progressent eux aussi vers des résolutions plus fines , aux alentours de deux mètres . En fin de compte , l' organisation fiscale de ces Etats les rend particulièrement sensible à la situation économique . II . Les causes structurelles de la fragilité budgétaire des Etats . Dans la littérature concernant la fiscalité étatique , les fragilités du système budgétaire sont systématiquement mises en avant . Plus récemment , les représentants du lobby intergouvernemental ont souligné que la source la plus immédiate de fragilité réside dans le type de croissance économique enregistré au cours des années quatre-vingt-dix . Les ménages ont vu leurs revenus boursiers considérablement augmenter , de sorte que les rentrées fiscales des Etats ont , elles aussi , connu une forte croissance . La tendance s' est immédiatement renversée avec le ralentissement économique , ce qui a largement amputé les prévisions budgétaires des Etats fédérés . Ces tendances conjoncturelles , régulièrement soulignées , sont très certainement un facteur important dans le déclenchement de la crise budgétaire actuelle . Mais elles sont loin d' être les seules à jouer . Les défauts structurels sont déterminants , que ce soit au niveau du fonctionnement fiscal des Etats que de leur rapport avec l' autorité fédérale . Le problème peut se résumer aisément : le coût des services demandés aux Etats croît beaucoup plus que ce que permet leur base fiscale . Cette dernière est en effet beaucoup trop instable , en particulier au vu des évolutions les plus récentes . Mais ces faiblesses fiscales sont induites par la configuration même du système fédéral . Les Etats ont une marge de manoeuvre relativement limitée pour réformer leur système : tendanciellement , le système fédéral rend tout changement d' ampleur de la fiscalité étatique difficile . La part croissance de l' impôt sur le revenu dans le budget des Etats a une conséquence particulièrement néfaste , celle d' accroître encore un peu plus la sensibilité des budgets aux cycles de l' économie . En effet , à la différence de ce qui se fait en Europe , l' impôt des Etats fédérés est fondamentalement proportionnel et non pas progressif . C' est pourquoi les impôts fédérés sur le revenu tendent à augmenter plus que la croissance ; de la même façon , ils sont beaucoup plus sensibles à toute baisse . Il n' y a en fait que peu d' Etats - ceux dits " Progressistes " - qui ont un impôt sur le revenu pouvant jouer le rôle d' acteur contre-cyclique qu' on lui connaît en Europe . Dans ces conditions de forte " volatilité " , la seule option qui reste ouverte aux Etats consiste à augmenter leur impôt sur le revenu ou à le rendre plus progressif . Dans les deux cas , le risque est le même pour chaque Etat , celui de trop augmenter le montant des prélèvements , et de devenir moins " attractif " que l' Etat voisin . Cet effet de " nivellement " mutuel ( race to the bottom ) , très largement induit par la structure fédérale du pays , se retrouve au niveau de l' impôt sur la consommation . En effet , certains Etats n' imposent pas certains biens de consommation courante ( vêtements , produits alimentaires ) ou alors excluent les services de toute imposition , l' objectif étant de favoriser la croissance économique . Mais ces Etats se placent alors dans une situation où ils sont particulièrement sensibles aux baisses d' activité économique , même si , en règle générale , l' impôt sur la consommation reste moins élastique que l' impôt sur le revenu des Etats . Le faible nombre de tranches rend cet outil particulièrement sensible aux fluctuations de l' économie : la diminution du nombre de contribuables dans les tranches élevées fait mécaniquement baisser le produit de l' impôt d' une façon disproportionnée ! Enfin , à l' instar des deux impôts précédents , l' impôt sur les sociétés subit lui aussi une pression à la baisse due à la mise en concurrence des Etats fédérés . Les insuffisances des techniques budgétaires des Etats fédérés ne sont donc pas seules responsables des difficultés présentes . Loin s' en faut . Les problèmes actuels se comprennent en référence au contexte institutionnel plus global , celui de la structure fédérale d' ensemble . La question de la " concurrence " fiscale entre les Etats l' indique déjà clairement . Mais le constat est encore plus frappant dans le cadre du renouveau des relations entre les Etats fédérés et l' Etat fédéral . Les tentatives conservatrices de création d' un " Nouveau Fédéralisme " transférant des responsabilités aux Etats portent leurs fruits , quarante ans après les premières initiatives en la matière . Il semble que suite à l' accumulation de réformes en apparence mineures , les relations intergouvernementales commencent à se redéployer en empruntant un nouveau " chemin " institutionnel . Jusqu'à présent , l' essentiel des efforts de " Nouveau Fédéralisme " conservateur s' est appliqué aux politiques sociales . On se souvient ainsi que dès le début des années quatre-vingt , le Président Reagan avait proposé un vaste " échange " ( swap ) de fonctions entre l' Etat fédéral et les Etats fédérés . Dans son Discours sur l' Etat de l' Union de janvier 1982 , Reagan avait suggéré de prendre totalement en charge au niveau fédéral le programme national d' assurance maladie pour les plus pauvres ( Medicaid ) en échange d' une gestion complète d' autres programmes ( AFDC - Aid to Families with Dependent Children - , les coupons d' alimentation - Food Stamps - et 61 programmes plus mineurs ) par les Etats . En cas de récession économique , la chute de la consommation influe directement sur le niveau des prélèvements étatiques . La nouvelle charge financière serait allégée par l' Etat fédéral jusqu'en 1991 , avec la création d' un fond spécial de transition . A partir de cette date néanmoins , les Etats fédérés auraient dû eux-mêmes effectuer les ajustements budgétaires nécessaires . Ces derniers ont rapidement rejeté le projet par crainte du surcoût budgétaire qu' il allait très certainement entraîner . Depuis lors , les équipes conservatrices au pouvoir ont adopté une politique plus modérée dans ses ambitions . Mais l' essentiel du " modèle " de 1982 est demeuré . L' Etat fédéral a constamment cherché à transférer ses charges financières vers les Etats fédérés dans le domaine de la politique sociale . Ainsi , le transfert de responsabilités ( devolution ) vers les Etats fédérés a été une caractéristique des vingt dernières années . Elle a été menée essentiellement par une réorientation budgétaire - et incrémentale - de l' Etat fédéral . Celui -ci a réglé ses problèmes budgétaires en transférant une part de plus en plus importante de ses fonctions traditionnelles de politique sociale aux Etats fédérés . Les exemples illustrant cette tendance sont légions . Il suffit ici de mentionner le dernier avatar , la loi de 1996 ( Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act , PL 104 - 193 ) réformant l' aide sociale en transférant le programme AFDC aux Etats et qui , ce faisant , a considérablement allégé les finances fédérales . Avant le vote de cette loi , l' AFDC était déjà largement délégué aux Etats fédérés dans sa gestion . Depuis lors , sous l' appellation de TANF , il est entièrement de leur responsabilité , dans la mesure où il incombe aux Etats de définir les critères d' admissibilité des prestataires , sans supervision fédérale . L' Etat fédéral se contente de distribuer des financements " en bloc " ( block grants ) , en sa basant sur la somme que les Etats consacraient au programme avant l' adoption de la réforme . Le rôle de l' Etat fédéral est donc , en apparence , relativement limité si on le compare avec son action antérieure . En revanche , il l' est beaucoup moins si l' on prend en considération toute une série de nouvelles obligations d' obédience conservatrices , crées par la loi , et qui , au final , donnent à l' Etat fédéral une forte capacité de coercition . En effet , si Washington ne fixe plus les critères d' admissibilité et s' il réduit bien son financement , il peut cependant imposer des règles très strictes , notamment en ce qui concerne l' incitation au travail ( workfare ) . Les Etats se retrouvent donc placés sous l' obligation de mener à bien des programmes difficiles et coûteux , sans que l' Etat fédéral ne prévoit de les financer . Du point de vue étatique , la loi de 1996 se résume donc comme une vaste obligation fédérale conservatrice dépourvue de tout financement approprié . Ce sont les nouveaux " unfunded mandates " imposés par les conservateurs qui placent les Etats en difficulté budgétaire au moindre retournement de la situation économique . Le constat est particulièrement flagrant dans le cas de la politique sociale où une crise économique , même légère , risque de créer une pression insupportable sur les budgets fédérés avec l' augmentation des demandes d' aide sociale . Mais pourtant , le transfert de compétences sans financement approprié tend à se généraliser . Ainsi , les responsables étatiques actuels dénoncent fréquemment la loi sur l' éducation signée par le Président en janvier 2002 , le No Child Left Behind Act ( PL 107 - 110 ) . Cette loi institue une série de requis fédéraux en termes d' apprentissage de la lecture , et constitue de ce fait une nouvelle exigence faite aux autorités fédérées , sans que les financements nationaux suivent : le Congrès avait initialement prévu une enveloppe de 29 milliards de dollars , alors que les estimations actuelles chiffrent le montant du coût total à 35 milliards de dollars . Néanmoins , l' exemple le plus massif est celui de la lutte contre le terrorisme entamée depuis septembre 2001 . Les Etats sont amenés à prendre en charge quantité de missions nouvelles pour répondre aux exigences du tout nouveau Ministère de la Sécurité du Territoire ( Homeland Security ) . La surveillance d' un territoire aussi vaste que celui des Etats-Unis ne peut se faire sans le secours des Etats fédérés qui , ainsi , se retrouvent en première ligne de l' effort national contre la menace terroriste . Les " premiers secours " ( first responders ) appelés à jouer un grand rôle en cas d' attaque terroriste sont de responsabilité locale ou étatique ( pompiers , police , services médicaux ) , et nécessitent un effort financier tout particulier dans lequel l' Etat fédéral ne s' implique volontairement pas . Les autorités fédérales s' en tiennent à une action de coordination ou investissent complètement d' autres secteurs ( comme la sécurité aérienne par exemple ) . Ces nouveaux requis - le plus ancien remonte au milieu des années quatre-vingt-dix - alourdissent considérablement les budgets fédérés , déjà aux prises avec des difficultés plus traditionnelles , comme l' escalade des coûts du programme d' assistance aux plus pauvres , Medicaid . Celui -ci représente dorénavant plus de 20 % des budgets des Etats , et , étant donnée la démographie , sa part continue à augmenter . En fin de compte , il semble que les succès budgétaires fédéraux de la fin des années quatre-vingt-dix soient essentiellement dus à la tactique de transfert des compétences . Ces transferts ont pour contrepartie une extension des compétences étatiques , sans que les moyens financiers suivent . En effet , dans le meilleurs des cas , l' Etat fédéral associe ces transferts à des financements " en bloc " ( block grants ) , rompant ainsi avec la tradition des financements joints ( matching funds ) . Entre 1999 et 2000 , les dépenses étatiques ont ainsi augmenté deux fois plus vite que les dépenses intérieures de l' Etat fédéral . Dans ces conditions , les Etats doivent prendre le risque d' augmenter les impôts ou d' en créer de nouveaux . C' est la première difficulté qui est apparue dès les années quatre-vingt-dix , pourtant par ailleurs une période de forte croissance économique . Avec le ralentissement actuel et la chute des revenus étatiques , la situation est encore plus contrainte . Les Etats ont moins de possibilités financières , alors qu' on attend plus d' eux , en particulier en matière sociale . III . Les principales conséquences de la crise Dans un tel cadre , il est clair que les Etats vont devoir réajuster leur équilibre budgétaire . Leur premier mouvement a été de se tourner vers l' Etat fédéral pour un soutien . Malgré l' opposition des cercles conservateurs de Washington - Heritage est ainsi particulièrement opposée à toute forme d' assistance - le Président Bush a promulgué une loi d' aide financière . Le Jobs and Growth Tax Relief Reconciliation Act ( PL 108 - 27 ) , signé en mai 2003 , transfert 20 milliards de dollars aux Etats . Mais les autorités fédérales ne semblent pas aller au-delà de ce premier effort . L' autre solution qui s' impose consiste alors en des coupes budgétaires sévères . Au-delà des mesures les plus immédiates - puiser dans les réserves , utiliser des fonds non-attribués , ou même mettre un terme aux procédure contre les entreprises de tabac dans l' espoir d' obtenir plus vite un dédommagement - ce sont bien les dépenses programmées qui sont revues à la baisse . Tous les services étatiques sont affectés d' une façon ou d' une autre . L' entretien des parcs naturels ou des sites historiques voit son budget baissé , tout comme la police , les pompiers ou les écoles ; quant aux universités d' Etat , elles voient leur coût augmenter dans une vingtaine d' Etats ( le Massachusetts a ainsi augmenté les droits d' inscription de 24 % en 2002 ) . Des employés de la fonction publique étatique sont licenciés dans des Etats comme le Connecticut , la Californie , le Colorado , le Massachusetts , l' Oregon , la Caroline du Sud , l' Utah , et la Virginie : depuis juin 2002 , le nombre d' employés étatiques a baissé de 91000 ( se stabilisant à environ 5 millions de personnes ) , tandis que le nombre d' employés municipaux ou locaux , lui , restait stable à 13.8 millions de personnes . Certains Gouverneurs sont même allés jusqu'à baisser leur propre salaire , comme en Caroline du Sud et dans l' Oregon . Dans le Rhode Island , un " audit " étatique a été lancé sous l' autorité du Gouverneur . Mais au-delà de ces mesures qui , pour certaines sont uniquement des effets d' annonce , ce sont les programmes sociaux qui sont politiquement et socialement les plus aisés à diminuer en temps de crise , alors que , paradoxalement , ils sont les plus directement concernés . En 2002 et 2003 , les Etats ont d' ores et déjà diminué les fonds destinés à Medicaid , certains programmes scolaires , les aides à la formation professionnelle et au logement . Mais c' est bien Medicaid qui constitue la cible essentielle , son coût étant en croissance constante . L' augmentation du nombre de bénéficiaires - partiellement liée à la crise économique - et la hausse du prix de certains médicaments accentuent la pression sur les budgets des Etats . Les dépenses étatiques liées à Medicaid ont ainsi augmentées de 12 % en 2001 , en 2002 , et en 2003 . Les Etats ont donc utilisés toute une panoplie d' instruments pour limiter cette croissance : 49 Etats ont d' ores et déjà annoncé des réformes , telles que limiter le remboursement des médicaments ou augmenter le ticket modérateur ( 45 Etats s' y sont engagés ) , renforcer les critères d' admissibilité ( pour 27 Etats ) , réduire le niveau des prestations tels que les soins dentaires ( ce qui concerne 25 Etats ) . Mais pour l' instant , ces décisions n' ont eu que des effets limités , ce qui explique que 50 % de l' enveloppe budgétaire votée au niveau fédéral en mai soient destinés à Medicaid . En tous les cas , il s' agit là une constante dans l' attitude des autorités étatiques : rechercher la solution politiquement la moins risquée , autrement dit , celle qui limite les coûts électoraux . Ainsi , dans un premier temps , diminuer le taux de croissance des dépenses est systématiquement préféré à une baisse brutale de ces mêmes dépenses . Pour la même raison , l' endettement est une solution de court terme qui est fréquemment employée . Depuis janvier 2003 , les Etats ont déjà emprunté 230 milliards de dollars , ce qui va partiellement servir à combler les déficits . Mais actuellement , devant l' ampleur du problème , les autorités étatiques ne peuvent échapper à la solution la plus douloureuse politiquement , le niveau des revenus . Autrement dit , les Etats doivent maintenant se résoudre à augmenter les prélèvements . Après 7 ans de coupes budgétaires ininterrompues au niveau des Etats , le changement est brutal , et est en porte-à-faux par rapport au discours national impulsé par l' équipe Bush sur la nécessité de baisser les impôts . Les Etats ont augmenté soit leur impôt sur le revenu ( New York , Massachusetts , Californie , Oregon , New Jersey ) , soit leur impôt sur la consommation ( Tennessee , Kansas , Nebraska , et la Caroline du Nord ) . A la fin de l' année civile 2002 , les augmentations des impôts étatiques ont atteint le montant total de 6 milliards de dollars , soit l' augmentation la plus importante depuis 1993 . En effet , en 2001 , l' augmentation totale n' avait représenté qu' un montant de 1.8 milliards de dollars . Par contre , lors de la crise budgétaire du début des années quatre-vingt-dix , l' augmentation avait représenté près de 15 milliards de dollars en une seule année . 29 Etats ont choisi d' augmenter les revenus , avec l' Etat de New York comme champion toute catégorie - alors qu' en janvier dernier le Gouverneur Pataki s' était engagé à éviter toute hausse des impôts - suivi de près par le Massachusetts . De façon assez classique , les Etats ont privilégié les hausses les moins visibles , c' est-à-dire les moins coûteuses électoralement . C' est la raison pour laquelle l' outil favori des responsables étatiques reste plus que jamais l' augmentation de l' impôt sur le tabac . 19 Etats ont augmenté cet impôt , notamment la Pennsylvanie et l' Indiana qui l' ont plus que triplé . Les revenus étatiques générés par le tabac ont ainsi augmenté de plus de 2 milliards de dollars pour l' année fiscale 2003 . Par contre , les augmentations de l' impôt sur le revenu ont été relativement modestes : le Massachusetts n' a prélevé que 360 millions de dollars supplémentaires pour l' année fiscale 2003 , à comparer avec les 3 milliards de déficit enregistrés . L' impôt sur la consommation a été utilisé beaucoup plus souvent , car il est notoirement moins douloureux que l' impôt sur le revenu . Pour l' année civile 2002 , le montant total des augmentations à ce niveau a atteint 1.2 milliards de dollars . L' impôt sur les sociétés , lui , n' a été manipulé que par deux Etats , la Californie et le New Jersey ; mais ces augmentations ont été relativement importantes , générant 2 milliards de dollars de revenus supplémentaires pour ces deux Etats . La crainte de voir les entreprises se délocaliser joue vraisemblablement pour expliquer que seuls deux Etats aient eu recours à cet impôt . Dans l' immédiat , les Etats ont donc provisoirement réussi à faire face leurs difficultés . Seule la Californie demeure dans une situation des plus problématiques . Pour la 17ème fois au cours des 25 dernières années , la Californie n' a pas réussi à se doter d' un budget pour l' année 2003 - 2004 . Elle fonctionne donc sur un accord provisoire adopté in extremis en juillet dernier , et qui devrait arriver à échéance dès la rentrée . Mais pour les autres Etats aussi la situation est difficile . En fin de compte , aucun des problèmes n' est véritablement réglé . Les décisions prises jusqu'à présent sont toutes ponctuelles , et n' ouvrent pas sur une véritable réforme qui serait pourtant nécessaire . Le débat est néanmoins en cours . L' administration Bush a ainsi pris la décision de soumettre une réforme de Medicaid qui donnerait aux Etats une plus grande flexibilité dans la gestion du programme , en échange d' une limite ( cap ) au montant que l' Etat fédéral envoie aux Etats fédérés . L' équipe Bush pourrait donc paradoxalement saisir l' occasion de la crise budgétaire étatique pour poursuivre le désengagement financier de l' Etat fédéral dans le domaine des politiques sociales entamé depuis les années quatre-vingt . Quant aux Etats , ils sont eux-mêmes plus conscients de la nécessité de faire évoluer leur système fiscal . Ainsi , une réflexion s' organise autour de la nécessité d' intégrer les services ( et non plus seulement les produits ) dans l' assiette de l' impôt sur la consommation , et d' y réintégrer les exemptions accordées dans les années quatre-vingt-dix . En étendant l' imposition , il serait sans doute aussi possible de baisser le taux de cet impôt . Cela mettrait le système fiscal des Etats en adéquation avec une économie de service , fort différente de l' économie industrielle des années cinquante , lorsque l' impôt sur la consommation a été généralisé au niveau étatique . Une autre piste de réflexion touche aux dépenses . Certains Etats ( comme la Caroline du Sud ou le Colorado ) ont mis en place des indicateurs ( regroupant la croissance de la population , l' inflation , voire le revenu individuel ) qui servent de référent pour augmenter les dépenses . Toute augmentation supplémentaire nécessite ainsi une décision politique . Conclusion Malgré les récents votes budgétaires , les Etats sont encore dans une situation des plus précaires . Si la crise actuelle sert jamais de révélateur , le manque de coordination entre Etats constitue un handicap lourd . En tous les cas , la crise actuelle permet de relativiser les baisses d' impôt au niveau fédéral , tant vantées par l' équipe actuelle . Leur vote n' a été possible que suite à un désengagement réel de l' Etat fédéral qui laisse ses partenaires fédérés confrontés à des charges nouvelles , notamment en termes de politique sociale , sans financement . Déjà fragilisés par le contexte économique d' ensemble et leur propre faiblesse institutionnelle , les Etats sont ainsi placés en position très difficile . Actuellement , les Etats qui ont une tradition d' activisme public restent les plus menacés : par exemple le Minnesota , New York , le Connecticut , et enfin la Californie , où la crise budgétaire se double d' une crise politique grave .