_: Le Centre français sur les Etats-Unis ( CFE ) Libertés civiles et lutte anti-terroriste aux Etats-Unis François Vergniolle de Chantal Chercheur associé au CFE Maître de Conférences à l' université de Bourgogne vdechantal.cfe@ifri.org Juin 2003 www.cfe-ifri.org Outre ses conséquences internationales , la guerre contre le terrorisme a des effets tout aussi évidents sur la scène politique américaine . Maintenant que l' attention des médias se concentre sur la question irakienne , il paraît opportun de tenter une synthèse sur l' état du combat anti-terroriste aux Etats-Unis même . Dès le vote du USA Patriot Act en octobre 2001 , le débat a été lancé : dans quelle mesure la lutte anti-terroriste doit -elle limiter les libertés ? Comment concilier protection des droits individuels et assurer la sécurité de la population en cas de crise ? Le sujet semble être ancien aux Etats-Unis : il se manifeste dès 1798 et les Alien and Sedition Acts , jusqu'à la lutte contre la subversion communiste pendant la Guerre Froide , sans oublier les mesures d' exception prises lors de la Guerre de Sécession ou pendant les deux conflits mondiaux . Malgré cet héritage historique , il reste que les Etats-Unis ont une expérience largement différente de celle des Etats européens en matière de lutte anti-terroriste . La France , la Grande-Bretagne , ou encore l' Espagne sont tous , à des degrés divers , touchés par des mouvements terroristes parfois depuis la fin des années soixante , sans parler des héritages historiques respectifs . A l' inverse , les Etats-Unis ont développé , sous l' impulsion de certains présidents de la Cour Suprême ( Chief Justices ) , particulièrement volontaires , un cadre légal extrêmement cohérent de protection des libertés . L' incorporation des protections de la Déclaration des Droits ( Bill of Rights ) fédérale menée sous Earl Warren ( 1953 - 1969 ) et largement poursuivie par son successeur , Warren Burger ( 1969 - 1986 ) , protège maintenant tous les aspects de la liberté individuelle . C' est pourquoi il semble peu pertinent d' établir un parallèle historique ferme entre la situation actuelle et les précédents des guerres mondiales ou de la Guerre de Sécession , sans parler de la période révolutionnaire ! L' intensité actuelle du débat tient à la confrontation , sans réel équivalent historique , entre un cadre légal de protection des libertés très développé , d' une part et , d' autre part , un relatif manque d' expérience dans le cadre de la lutte anti-terroriste . L' objectif n' est pas ici de définir un équilibre satisfaisant aux requis de la sécurité d' une part , et de la liberté de l' autre . Aussi , il ne sera pas question de prendre parti , ni même de trancher le débat . Il semble plus pertinent de rendre compte des risques contenus dans les évolutions en cours . Disons -le d' emblée , la mise en oeuvre de mesures anti-terroristes ne contient pas de possibilités sérieuses de débordement autoritaire . Fédéralisme et séparation des pouvoirs garantissent un équilibre qui semble empêcher tout dérapage d' ampleur . La politique actuelle , largement présidentielle , devrait , comme toujours , être l' objet de compromis , que ce soit au niveau de la décision ou de l' application . Néanmoins , l' alignement idéologique réel entre les trois pouvoirs nationaux , la Présidence , la Cour Suprême et , depuis novembre dernier , le Congrès , crée une configuration partisane rare , qui pourrait d' autant plus limiter les pratiques de compromis que la population américaine soutient dans son ensemble les mesures coercitives appliquées par l' équipe Bush . I. Les mesures anti-terroristes aux Etat-Unis depuis septembre 2001 . 1 / Les premières mesures dans le sillage des attentats . Avec le vote du USA Patriot Act ( PL 107 - 56 ) dès octobre 2001 , Bush et ses conseillers ont considérablement renforcé les textes déjà existant concernant la lutte contre le terrorisme ou le recueil de renseignements et ce au moins jusqu'à la durée légale de la loi ( 2005 ) . La définition du " terrorisme " est considérablement étendue , et permet de faciliter l' encadrement d' un grand nombre d' activités . La précédent loi anti-terroriste , votée sous Clinton en mars 1996 ( Antiterrorism Law and Effective Death Penalty Act , PL 104 - 132 ) , est considérablement renforcée , et de nouveaux pouvoirs sont attribués au Congrès . Les quelques limitations existantes en matière de surveillance sont , elles , très largement amoindries . Par exemple , le FISA ( Foreign Intelligence Surveillance Act , PL 95 - 511 ) de 1978 , n' autorisait les écoutes téléphoniques par le FBI que dans les cas de personnes suspectées d' être des agents d' une puissance étrangère , et au terme d' une procédure assez lourde ( établissement d' une " cause probable " ) . Dorénavant , ceci n' est plus nécessaire , et ce pour l' ensemble des demandes émanant du FBI . La loi donne aussi au pouvoir exécutif d' importantes prérogatives en matière de mise sur écoute ( téléphone , Internet ) et de relations entre les suspects d' activités terroristes et leurs avocats . Les fouilles secrètes d' appartement , la consultation de fichiers d' entreprise ou d' université sont facilitées . Au total , plus de 15 lois touchant à la sécurité publique sont modifiées par la réforme de 2001 , et , dans l' ensemble , les possibilités de mise sous surveillance de la vie privée d' étrangers ou de citoyens sont considérablement étendues . Outre cet assouplissement des critères et des limitations en vigueur jusqu'à présent , le Patriot Act modifie également certaines compétences des tribunaux , et permet , lorsque la sécurité nationale est en jeu , de détenir les étrangers , parfois pour des durées illimitées , alors même qu' aucune charge précise ne pèse contre eux . Le texte en lui-même , malgré les oppositions de groupes de libertés civiles - et d' une trentaine de municipalités qui ont voté des résolutions contre le texte - n' a pas suscité de véritables mouvements d' opposition de masse , et ce d' autant moins qu' il a été accepté par le Congrès avec des majorités impressionnantes ( 356 Représentants à la Chambre , et 98 Sénateurs ! ) . Ce sont par contre les décrets d' application qui semblent plus problématiques pour certaines franges de l' opinion publique . Par exemple , le décret du Ministère de la Justice autorisant l' écoute et l' enregistrement de conversations entre les avocats et leurs clients placés en détention préventive lorsqu' ils sont soupçonnés d' activités terroristes , dès le mois suivant . Ou alors les quelques 500 entretiens menés par le FBI avec des personnes d' origine arabe , suite à un autre décret du Ministère de la Justice pris le 15 novembre 2001 . Mais ce sont surtout les mesures du décret présidentiel du 13 novembre 2001 qui ont causé - et causent encore - le plus de débat . Aux termes de ce décret , les citoyens étrangers soupçonnés de terrorisme passent devant des tribunaux militaires spéciaux . Depuis les attentats , plus de 1200 étrangers ont ainsi été arrêtés pour des motifs divers , et placés , grâce à la loi d' octobre et aux décrets de novembre , dans un flou juridique total quant à la cause de leur arrestation ou la durée de leur incarcération . Par ailleurs , jusqu'à présent , leur identité a été gardée secrète , et l' assistance d' un avocat leur a été refusée , ce que le Ministère de la Justice a confirmé comme étant la politique officielle le 27 novembre 2001 . Ces prisonniers sont donc gardés dans l' incertitude juridique la plus grande , et , même si un bon nombre d' entre eux ont été relâchés - les estimations actuelles ne parlent plus que de 200 à 600 prisonniers - la situation de ceux qui restent ne s' améliore pas . En août 2002 , un Juge fédéral de Washington , Gladys Kessler , a demandé la publication des noms , jusqu'à présent en pure perte : le Ministère de la Justice a fait appel de la décision . La situation s' est d' ores et déjà reproduite : d' autres juges ont contesté les dérives du pouvoir exécutif , mais là aussi , les résultats semblent minces . La fragilité légale de la lutte contre le terrorisme , en interne , est encore plus flagrante à l' extérieur du territoire . Les prisonniers faits en Afghanistan sont déclarés " ennemis combattants " ( enemy combattant ) , une catégorie inconnue du droit international . Ils ont été transférés sur la base ( américaine depuis 1903 ) de Guantanamo dès février 2002 . Le Secrétaire à la Défense , Donald Rumsfeld , a officiellement reconnu que les prisonniers de Guantanamo sont là pour une durée illimitée . Ils n' ont bien sûr pas d' avocats , et , selon le décret présidentiel de novembre 2001 , il serait possible de juger ces hommes par des tribunaux militaires d' exception . Jusqu'à présent , seule la Croix Rouge Internationale ( CICR ) a pu leur rendre visite . Les conventions de Genève ne sont donc que très partiellement appliquées , constat établi par un rapport d' Amnesty International en mars 2002 . Les libertés que s' autorisent les autorités américaines sont encore plus claires au niveau de la collaboration internationale : certains observateurs soulignent que les Etats-Unis utiliseraient ainsi les règles d' extradition pour faciliter les interrogatoires . Ainsi , une personne arrêtée en Indonésie peut , sur demande des Etats-Unis , être transférée en Egypte , pour subir un interrogatoire plus " adapté " . Les chiffres sur cette pratique ne sont pas connus . Sur ce terrain , les oppositions à l' attitude gouvernementale sont assez clairsemées : peu de gens semblent vouloir revenir sur le statut fait aux prisonniers capturés en Afghanistan . Jusqu'à présent , seul un Juge fédéral de la Quatrième Cour d' Appel ( Circuit Court ) , pourtant conservateur de réputation , John H. Wilkinson , a contesté la capacité légale du gouvernement à désigner de sa seule autorité les " ennemis combattants " . Mais par contre , dès que cette politique implique des citoyens américains , la situation devient plus délicate pour l' Etat fédéral . En d' autres termes , lorsque les conditions de détention des non-Américains s' étendent aux citoyens Américains eux-mêmes , alors il y a un réel débat , qui , sans forcément mobiliser l' opinion , pousse au moins les autorités à tenter de justifier leur attitude . Depuis la mise en oeuvre de ces textes , cela s' est produit à plusieurs reprises . Ainsi , au printemps 2002 , avec Yaser Esam Hamdi , fait prisonnier en Afghanistan et envoyé à Guantanamo jusqu'à ce qu' on découvre sa véritable nationalité ( il est né à Baton Rouge , en Louisiane ) , emprisonné dans la base de Norfolk ( Virginie ) , ou encore avec Jose Padilla , membre d' un gang de Chicago , récemment converti à l' Islam , et accusé d' avoir voulu fabriquer une " bombe sale " , qui , lui , est resté en prison à Chicago : tous deux ont été désignés comme " enemy combattants " , et placés en détention sans charge criminelle . Les autorités semblent vouloir maintenant éviter les procès au civil qu' il s' agisse de citoyens américains ou pas : les bizarreries de la procédure à l' encontre de Zacharias Moussaoui , arrêté peu avant les attentats du 11 septembre et dont le procès suit donc une procédure " classique " , ou encore la défense de John Walker Lindh , ont , tous deux , convaincu les autorités de la nécessité d' opérer un changement . 2 / Les débuts de la contestation des mesures gouvernementales . L' année 2002 n' a pas manqué de renforcer ces initiatives sécuritaires . Dès le mois de janvier , et avec le soutien du Président , J. Ashcroft , Ministre de la Justice , a tenté de lancer son projet TIP ( Terrorism Information and Prevention System ) , dont l' idée principale était d' encourager les Américains à rapporter toute activité " suspecte " en téléphonant à un numéro vert . Ce " système d' information et de prévention terroriste " , partie intégrante du " White House Citizen Corps Program " et destiné à s' appliquer initialement dans 10 villes , a soulevé un tel tollé qu' Ashcroft a dû battre en retraite . Même Dick Armey , un des " durs " de la Chambre des Représentants , était réticent ! La formule de remplacement a été trouvée dès février : au lieu d' une collaboration " active " des citoyens , la solution est plus " passive " , dans la mesure où il s' agit tout simplement de pouvoir croiser les différents fichiers existants sur un individu . Les autorités ont créé au sein du Pentagone , et toujours avec le soutien du Ministre de la Justice , un " Awareness Office " ( Bureau de la Vigilance Informatique , à la devise évocatrice de " Scienta est Potenta " ) . Ce nouvel organisme est chargé de mettre en oeuvre le projet " Total Information Awareness " ( TIA ) , qui devrait permettre de piocher les informations pertinentes dans les bases de données de la vie courante pour repérer des projets terroristes en préparation . Les données concernées sont les fichiers informatiques des cartes de crédit , le numéro de sécurité sociale , les permis de conduire , et les comptes bancaires . Mais la liste n' est pas exhaustive . La police peut obtenir les comptes-rendus de n' importe quel commerçant sur n' importe quelle personne , par exemple les informations médicales dans les hôpitaux , les dossiers universitaires , et même les listes de livres achetés ou empruntés dans les librairies et les bibliothèques . Concrètement , cela signifie qu' afin de repérer quelques individus , il sera nécessaire d' aller vérifier des informations sur des millions d' autres . Le budget initial prévu est de 10 millions de dollars pour l' année 2003 , et il est sans doute destiné à s' accroître rapidement . La personne chargée de présenter ce projet et de le superviser est l' ancien Amiral John Poindexter , Conseiller à la Sécurité Nationale ( " National Security Adviser " ) sous Reagan , et qui , en 1990 , avait été condamné dans le cadre de l' Irangate pour avoir menti au Congrès ; il n' a finalement échappé à ses 6 mois de prison qu' en appel , par une décision de 1991 . Au vu de ce parcours , le signal envoyé à l' opinion publique est pour le moins ambiguë , et , en tous les cas , renoue avec cette impression dominante à propos de l' administration Bush , celle d' un retour vers les années Reagan . L' initiative en elle-même est pour le moins malheureuse : elle a suscité une réaction certaine au sein de l' opinion publique qui , pour la première fois depuis le lancement de la lutte anti-terroriste , dépasse les groupes de protection des libertés civiles . Dans ce contexte , d' autres initiatives de l' équipe Bush ont été très mal perçues par le public . Ainsi , le 15 novembre 2002 a marqué le début officiel de la mise en oeuvre d' un programme d' enregistrement des ressortissants provenant de pays suspectés d' activités terroristes et vivant aux Etats-Unis . Ceci concerne les ressortissants d' Iran , d' Irak , de Libye , du Soudan , de la Syrie , y compris dans les cas de double passeport . Dans les faits , les hommes de plus de 16 ans doivent s' adresser à un représentant de l' immigration ou des douanes ( la date limite officielle était la mi-décembre 2002 ) . Ils doivent alors présenter leurs documents de voyage , donner des preuves de résidence , passer un entretien , donner leurs empreintes et se faire photographier , et enfin , ils doivent se signaler aux autorités tous les ans . Ce programme a pris un certain retard dans sa mise en oeuvre , notamment à cause des critiques publiques contre cette forme de discrimination . Par contre , d' autres mesures adoptées en 2002 , sont nettement moins controversées , étant les conséquences directes de ce qui a été décidé au moment des attentats . Le fameux Ministère de la Protection du Territoire ( Homeland Security ) a été créé suite au vote final du Sénat par 90 voix contre 9 en novembre dernier , permettant ainsi le passage du Homeland Security Act ( PL 107 - 296 ) . Cette vaste administration , dont le premier titulaire est Tom Ridge , est entrée en fonction au début mars , et regroupe 22 services , employant au total 170000 personnes . Mais cette nouvelle structure n' empêche pas que l' ensemble des moyens administratifs du gouvernement soit mobilisé dans la lutte anti-terroriste . Ainsi par exemple du Ministère du Trésor . C' est en effet le directeur de la cellule anti-terroriste du Trésor américain , David Aufhauser , qui coordonne l' action de lutte financière contre les réseaux terroristes . Sous son égide , les Etats-Unis ont ainsi gelé les avoirs de 251 individus et personnes morales , et environ 121 millions de dollars . Enfin , en décembre 2002 cette fois , les autorités ont lancé un programme national de vaccination contre la variole , en réponse à la peur bactériologique de l' automne 2001 . Près de 500000 responsables des services d' urgence en cas d' attaque chimique ( " emergency workers " ) devraient être vaccinés d' ici au printemps 2003 , mais ce programme est particulièrement lent à mettre en place , essentiellement pour des raisons financières et de prise en charge . La surveillance en interne se double aussi d' une surveillance renforcée des frontières . Les autorités se sont ainsi préoccupées de renforcer la sécurité des quelque 300 ports américains . Sur les 50000 containers qui arrivent chaque jour dans le pays , plus du tiers arrivent par voie maritime , et seuls 2 % d' entre eux sont physiquement inspectés . En janvier 2002 , l' Etat fédéral a ainsi décidé de lancer le programme " Container Security Initiative " , demandant à certains des grands ports internationaux de renforcer leur surveillance sur les containers à destination des Etats-Unis . La collaboration mise en place est surtout canadienne avec Halifax , Montréal , et Vancouver , puis européenne , avec Rotterdam ( Hollande ) , Antwerp ( Belgique ) , Le Havre ( France ) , et en Allemagne , Brême et Hambourg ; enfin , Singapour participe aussi à cette initiative . Cet activisme a un coût , d' autant plus important qu' il conduit à rénover , renforcer un grand nombre d' installations ou de services . Ainsi , une enquête réalisée par le Cabinet Deloitte Consulting estime entre 100 et 140 milliards de dollars les dépenses destinées à améliorer la sécurité intérieure en 2003 . Ces sommes , importantes , comprennent à la fois les dépenses des Etats et celles de l' Etat fédéral . L' essentiel va financer l' incorporation de nombreuses technologies dans les dispositifs de surveillance existant , ou encore ceux à créer . Le service des douanes ( Customs Service ) commence à recevoir des scanners géants , à un million de dollars pièce , pour inspecter électroniquement les containers qui arrivent dans le pays par bateau ou par avion . De même l' Etat fédéral vient d' attribuer 380 millions de dollars au service de l' immigration ( Immigration and Naturalization Service ) pour installer un système informatique sophistiqué qui permettra de savoir immédiatement si l' un des 400 millions de citoyens non-américains qui arrivent chaque année sur le sol des Etats-Unis reste plus longtemps que ne l' autorise son visa . Le National Infrastructure Protection Center ( NIPC ) , l' organisme regroupant tous les spécialistes Internet du FBI scrutant en permanence le réseau , a vu son budget presque doubler , pour atteindre 125 millions de dollars . Enfin , dernier aspect de la lutte tous azimuts entamée contre le terrorisme , une volonté de clarifier les manquements des services de renseignement avant le 11 septembre . En novembre 2002 , sur initiative de la Présidence , une Commission d' enquête se met en place , comprenant 10 membres ( 5 républicains , et 5 démocrates ) pour enquêter sur les dysfonctionnements . D' abord pressenti comme Président de cette commission , Henry Kissinger a dû renoncer pour des raisons de conflit d' intérêts avec ses activités privées ( Kissinger Associates ) , et c' est un ancien Gouverneur républicain du New Jersey , Thomas Kean , qui est nommé en définitive ; il revient à Lee Hamilton Hamilton , ancien Représentant démocrate , d' en être le vice-président . Les accusations contre les services de renseignement américains se sont en effet multipliées ces derniers mois , rendant nécessaire une étape supplémentaire dans l' enquête . Au printemps 2002 , Colleen Rowley , directrice d' un des 56 bureaux régionaux du FBI , celui du Minnesota , a lancé les premières accusations . Elle les a appuyés sur le rapport d' un agent , Kenneth Williams ( basé à Phénix , Arizona ) , qui enquêtait sur les musulmans suivant des cours de pilotage à Prescott en juillet 2001 . Il n' aurait pas été tenu compte de ses informations au niveau national . De même , Aukai Collins , lui aussi basé à Phénix ( un " indic " infiltrant les milieux musulmans ) , aurait alerté ses services centraux sur les agissements de Hani Hanjour , l' un des terroristes du Boeing qui s' est écrasé sur le Pentagone . Le Président n' était pas au courant de ces rapports .... Par contre , John Ashcroft Ashcroft , le Ministre de la Justice , et le directeur du FBI à l' époque ( Thomas Pickard ) eux , l' étaient bien , d' où les accusations de flottement des services de renseignement . Accusations qui sont d' autant plus pertinentes que le mystère reste toujours aussi épais en ce qui concerne l' attaque du bacille du charbon peu après les attentats du World Trade Center . L' enquête est très lente , et d' autant plus , pour certains , que les suspects se trouvent être des scientifiques travaillant pour l' Etat fédéral . En effet , à cause de la jeunesse ( et de la qualité du bacille ) , l' attention du FBI s' est rapidement orientée vers un scientifique américain , le Dr Steven J. Hatfill , employé à Fort Derthick ( Maryland ) de 1997 à 1999 , et également vers les activités d' un autre site , à Dugway Proving Ground ( Utah ) . Depuis que les premiers soupçons ont été formulés au cours de l' année dernière , rien ne semble plus avoir évolué . II . Quelques éléments de critique de l' évolution actuelle de la lutte anti-terroriste . Les commentaires abondent sur l' orientation générale des initiatives de l' équipe Bush . Non seulement dans la presse , mais également au sein des centres de recherche proches du pouvoir , qui publient rapport sur rapport tentant d' évaluer l' actuelle politique du gouvernement . Les orientations sont le plus souvent critiques , que ce soit pour dénoncer carrément les atteintes aux libertés individuelles , ou encore , plus modestement , pour souligner les incohérences administratives , la lourdeur , du formidable arsenal de mesures prises depuis septembre 2001 . Autrement dit , l' attention des observateurs américains est déjà largement concentrée sur les modalités de la mise en oeuvre de la lutte anti-terroriste . C' est pourquoi , il nous semble plus intéressant ici de prendre un peu de recul et de souligner les conséquences largement négatives , selon nous , de la configuration politique actuelle . Comme nous l' avons dit en introduction à cette brève présentation , le fractionnement du pouvoir caractéristique du système politique américaine a , historiquement , empêché tout débordement autoritaire , et ce même au cours de crises graves . Que ce soit en 1798 , avec les Résolutions du Kentucky et de la de la Virginie contre les Alien and Sedition Acts , ou alors au cours des deux guerres mondiales , où les mesures exceptionnelles prises par la Présidence ont toujours été encadrées et placées sous la surveillance de la Cour Suprême , même si celle -ci a soutenu les mesures présidentielles jusqu'à la fin des hostilités . Dans le premier cas il s' agissait d' Etats fédérés en opposition avec l' Etat fédéral , et dans le second , de la division du pouvoir en action . Autrement dit , les mécanismes de " correction " destinés à protéger la liberté des citoyens et placés au coeur du système politique par les Pères Fondateurs ont joué leur rôle historique . Seule la suspension de l' Habeas Corpus par Lincoln lors de la Guerre de Sécession s' est faite sans véritable contre-pouvoir : mais il est vrai que la guerre elle-même portait sur la nature du système politique qui , dès lors , pendant le conflit , ne fonctionnait plus véritablement . La situation actuelle présente des caractéristiques largement différentes . Contrairement à l' épisode de 1798 , les Etats fédérés ne semblent plus être un contrepoids efficace à l' action de l' Etat fédéral . Malgré toute la rhétorique conservatrice actuelle autour de la dénonciation du " Big Government " , les équipes conservatrices au pouvoir contribuent toutes , à leur façon , au renforcement du poids de l' Etat fédéral . Ainsi , les possibilités de critique venant des échelons inférieurs du système fédéral sont -elles limitées . Jusqu'à présent , seules les villes ont véritablement critiqué les mesures anti-terroristes - un grand nombre d' entre elles ont aussi pris officiellement position contre la guerre en Irak - et ces protestations sont restées totalement sans conséquences . Par rapport aux mesures d' exception adoptées pendant les deux conflits mondiaux , là aussi , la situation actuelle est sensiblement différente . Personne ne peut dire quand la " guerre contre le terrorisme " prendra véritablement fin . A l' inverse , les restrictions imposées par un conflit armé international sont censées prendre fin à un moment précis , celui de la défaite de l' adversaire . Or l' avertissement du Président Bush quant à la durée de la guerre contre le terrorisme semble , de ce point de vue , assez inquiétant . Une guerre où on ne peut véritablement situer l' adversaire , qui se recompose en permanence , et qui est dépourvu d' attaches territoriales véritables est évidemment destinées à durer , tout comme les mesures d' exception qui l' accompagnent . Mais c' est surtout l' actuelle configuration institutionnelle et partisane qui semble poser problème . L' alignement entre les trois pouvoirs , au niveau fédéral , est exceptionnel dans l' histoire politique moderne du pays . Et ceci pourrait avoir des conséquences certaines dans la façon dont se mène la lutte anti-terroriste . Depuis 1945 , la règle de fonctionnement de la vie politique américaine semble être celle du " divided government " , à bien des égards proche de la cohabitation dans le cadre français . Tout particulièrement depuis la fin des années soixante , le Congrès et la Présidence ont été d' orientation idéologique largement opposées , entraînant fréquemment un blocage de la prise de décision nationale : on parle alors de phénomène de " gridlock " . Néanmoins , cette situation a comme avantage d' imposer une modération des vues des uns et des autres , forçant ainsi à l' institution de compromis généralisés . Or depuis novembre 2002 et les dernières élections de mi-mandat ( midterms ) , le Président Bush est dans une situation exceptionnelle d' alignement total des trois pouvoirs . La majorité du Congrès lui est acquise et la Cour Suprême , sous la Présidence de William Rehnquist , est clairement d' obédience conservatrice . Cette conjonction , déjà rare en elle-même , est renforcée par l' important soutien populaire dont bénéficie le Président . Son action internationale , couplée à la fermeté de ses positions , lui garantissent une popularité certaine sur le thème de la lutte anti-terroriste , ce dont témoigne l' ensemble des sondages les plus récents . Dans ces conditions , le Président est en position de faire adopter - ou en tous les cas de proposer - des mesures qui , il y a quelques années , n' auraient même pas été envisageables . Le projet TIP , par exemple , semble sortir tout droit de l' imagination d' Orwell et n' aurait pas manqué d' attirer des flots de dénonciation sur le thème du retour de " Big Brother " . Or les dénonciations qu' il a suscité ont été extrêmement modestes au vu de l' enjeu . Quant à l' essentiel des mesures qui ont été adoptées dans le cadre de la lutte anti-terroriste , elles sont toutes votées par le Congrès avec des majorités pour le moins inespérée . Qu' on se souvienne des négociations tortueuses de Clinton avec le 104ème Congrès , ou encore de Reagan pendant ces deux mandats , voire enfin de Kennedy et du Sénat contrôlé par les Démocrates sudistes , et l' on mesure alors à quel point le Président Bush est dans une position inespérée pour un titulaire de l' exécutif . Ainsi , le USA Patriot Act a été voté à une quasi-unanimité au Sénat - seul le Sénateur Russ Feingold ( un démocrate du Wisconsin ) - s' y est opposé et une majorité de 356 Représentants à la Chambre ; de plus , le soutien pour Bush dans son action contre l' Irak est écrasant : 226 contre 133 à la Chambre des Représentants ( 10 octobre 2002 ) , et 77 cote 23 au Sénat ( 11 octobre 2002 ) . Ceci est d' autant plus porteur d' incertitudes que les mesures présidentielles n' entament pas sa crédibilité - bien au contraire - et que la Cour Suprême actuelle n' est pas portée le moins du monde à remettre en cause cette évolution , et ce pour une série de raisons . D' abord , en règle générale , la Cour est certainement une des institutions nationales les plus à l' écoute des évolutions de l' opinion publique , et ce contrairement à ce que voudrait une interprétation étroite de la difficulté contre-majoritaire . Etant potentiellement soumise à une critique de type majoritaire , elle se doit de faire preuve d' une grande prudence , et tenter de refléter dans une certaine mesure les opinions dominantes , sous peine d' entamer sa légitimité . Comme l' avait classiquement expliqué le Juge Benjamin Cardozo lors des Storrs Lectures à Yale en 1921 , les Juges de la Cour Suprême " ne demeurent pas coupés de leur environnement ( ... ) sur des hauteurs glacées et distantes ; nous ne contribuerions pas à avancer la cause de la vérité si nous agissions et raisonnions comme si c' était le cas " . Dans le cas qui nous occupe , les Juges seront sans doute d' autant plus favorables à un suivi de l' opinion qu' ils partagent , dans leur majorité , les options sécuritaires actuelles . Ainsi , dans une décision de 1996 - Felker v. Turpin - la Cour a pris le parti de l' Etat fédéral en soutenant la loi anti-terroriste de 1996 , Antiterrorism and effective Death Penalty Act ( PL 104 - 132 ) : la Cour a ainsi donné son accord à la limitation des possibilités d' appel des prisonniers . Les informations qui circulent semblent également indiquer une certaine réticence de la Cour pour prendre en considération les critiques formulées contre le Patriot Act . L' action en justice conduite par l' ACLU ( American Civil Liberties Union ) selon une procédure assez inhabituelle vient d' être rejetée par la Cour , obligeant ainsi l' ACLU a attendre les résultats d' un recours plus conforme . Cela rejoint tout à fait ce que les observateurs ont déjà remarqué depuis longtemps , à savoir à quel point la Cour tente de revenir très largement sur certaines des décisions les plus connues en matière de libertés civiles . Autrement dit , depuis 1986 , il y a un recul de la tendance à la nationalisation des droits , par réaction à " l' activisme " libéral des décennies précédentes . Un indicateur de cette tendance est tout simplement la baisse du nombre de cas traités par la Cour Suprême : du milieu des années 80 au milieu des années 90 , la Cour est passée d' un chiffre annuel de 150 à 75 environ . Mais la " dénationalisation " des libertés civiles est sensible à bien d' autres niveaux . Par exemple , la Cour va renvoyer aux Etats le traitement de la peine de mort , ou bien encore , cette fois en ce qui concerne l' avortement , la Cour ajoute des contraintes , des limites qui , toutes , peuvent être imposées au niveau des Etats ( Webster v. Reproductive Health service , Planned Parenthood v. Casey en 1992 ) , rognant de fait le droit national garanti par Roe . La tactique de la majorité conservatrice de la Cour est donc toujours la même : confier de plus en plus de responsabilités aux Etats . Et cette tendance générale risque de se poursuivre dans la mesure où le Président Bush a , potentiellement , plusieurs occasions de sélectionner des candidats pour la Cour Suprême . Parmi les noms qui reviennent le plus souvent comme candidats potentiels , J. Michael Luttig est un des plus fréquemment cité . Il siège à la quatrième Cour d' Appel ( US Court of Appeals of the Fourth Circuit ) , où il a la réputation d' être un des Juges les plus à droite , alors que cette Cour , du fait des sélections opérées dans les années quatre-vingt est déjà une des plus conservatrices du pays . D' autres possibilités restent cependant ouvertes . Ainsi la pression serait sûrement très forte pour accorder la préférence à un candidat conservateur d' origine hispanique , afin de développer la " diversité " dans le judiciaire , selon les termes , connus , de l' arrêt Bakke ( 1978 ) . Seul Emilio M. Garzia , siégeant actuellement à la 11ème Cour d' Appel fédérale semble être un candidat possible : en effet , son opposition reconnue à la décision Roe v. Wade en fait un atout tactique important pour Bush dans ses négociations avec la frange religieuse du Parti républicain . Une telle évolution à droite de la Cour Suprême ne ferait que renforcer la tendance déjà existante au soutien sans faille du Judiciaire vis-à-vis des mesures les plus strictes de la lutte anti-terroriste . L' ultime rempart aux débordements de l' Exécutif se trouverait alors neutralisé . Au total , le Président proposait , en huit ans , de transférer des responsabilités aux Etats pour un total de plus de 57 milliards de dollars , essentiellement dans les domaines des services sociaux , des transports , et de l' éducation . La question est de savoir pour combien de temps , et à quel point ? Certes , historiquement , le système institutionnel américain a parfaitement su dépasser les moments de " crispation " sécuritaire et de lutte contre la subversion . Mais la situation actuelle est particulière à plus d' un titre . Outre l' alignement institutionnel et partisan , la nature même du conflit où les Etats-Unis sont entraînés est source de risques . C' est probablement de la société civile elle-même - notamment par le biais d' associations comme l' ACLU - qu' émergera un contrepoids , soit par le biais d' actions judiciaires , qui déjà se multiplient , soit , plus radicalement , en changeant les équipes au pouvoir . Les précédents historiques - à commencer par celui du propre père de George W. Bush - ne poussent pas à envisager un soutien électoral réel issu d' un mouvement de " ralliement au drapeau " en cas de crise .