_: Politique étrangère 4 / 2001 11 septembre : premières leçons stratégiques Dominique DAVID Les attentats du 11 septembre expriment un monde , celui de l' après-guerre froide , écartelé entre l' accélération de la mondialisation et le pourrissement des affrontements provinciaux . Ils vont nous contraindre à ouvrir une nouvelle étape de la mutation de notre pensée stratégique entreprise voici dix ans . Ce qui doit être revu , c' est à la fois l' articulation entre les composantes militaires et non-militaires de nos stratégies , et des politiques de défense qui ont trop longtemps ignoré que les sociétés développées produisaient leurs propres vulnérabilités . Les événements du 11 septembre , comme les autres , expriment leur monde : le nôtre . Un monde que nous peinons à comprendre et que nous échouons encore à gouverner , en dépit de toutes nos tentatives , de tous les modèles maniés depuis dix ans . Quel monde rend ceci possible ? Si nous l' observons à travers des critères stratégiques pour évaluer les rapports entre forces et dessiner les espaces où ils s' exercent , ce monde apparaît , depuis dix ans , à la fois de plus en plus décloisonné et de plus en plus provincial . Décloisonné : l' accélération de la mondialisation a abattu nombre d' obstacles à la diffusion des images , des biens et des hommes , relativisant donc les équilibres locaux . Elle s' accompagne en outre d' un discours sur son évidence , son caractère irrépressible - discours éminemment idéologique qui se réclame de la mort des idéologies . Provincial , puisque , sous le grand vent de l' unification , et à proportion de l' absence d' institutions politiques lui correspondant , les dynamiques régionales , les abcès locaux se développent . Le monde est peut-être unique , mais couvert d' une peau de léopard qui montre plus de diversités , plus de contradictions . Le terrorisme , tel qu' il apparaît dans ses habits neufs du 11 septembre 2001 , renvoie au double caractère de ce temps . Il est à la fois le produit de problèmes locaux ou régionaux , et celui de la revendication d' un universel qui s' opposerait à la seule idée globale régnante , celle du monde vu comme un système de marchés , symbolisé par les idées et la puissance de l' Amérique . Le jeu du provincial et de l universel La détermination par le local ou le régional ne peut être niée . Les blocages diplomatiques des derniers mois au Proche-Orient n' ont pu , pour de simples raisons de chronologie , produire les attentats . Mais le pourrissement discret , puis brutal , de la relation israélo-palestinienne , la dégradation de long terme de la situation dans la Corne de l' Afrique , le caractère à la fois illégitime et inefficace de nombre de régimes arabes contestés par les mouvements islamistes radicaux , et la longue tragédie de l' Afghanistan débordant sur l' Asie centrale ont manifestement joué un rôle dans l' envol des actes et les mutations des réseaux terroristes . Les attentats contre La Mecque de la mondialisation financière visent pourtant bien plus haut que la simple pression dans un conflit déterminé : ils s' attaquent à un monde , celui que représente l' Occident , et donc l' Amérique , avec sa dominance économique , militaire et culturelle . En espérant que les réponses de l' agressé seront suffisamment erratiques pour aider à cristalliser un sentiment mondial , universel , qui se lèverait contre l' universel haï des États-Unis . Produit monstrueux d' une combinaison de provincialisme et d' universel , notions qui prennent un nouveau sens avec le désenclavement et la segmentation de l' après-guerre froide , le terrorisme new look exprime aussi la fluidité de notre environnement stratégique . Enjeux permanents , acteurs identifiés et forces paisiblement mesurables appartiennent au passé . La topographie de l' international ( son découpage en espaces ) et sa scénographie ( son éclatement en acteurs ) évoluent rapidement , en grande partie du fait de l' affaiblissement des frontières physiques ou techniques . Les phénomènes terroristes prolifèrent au croisement de quatre grandes circulations : celle des mots et des images ( qui permet de bricoler des solidarités entre des sociétés très différentes ) , celle des capitaux ( qui autorise la mise sur pied de logistiques performantes ) , celle des armes ( qui ouvre sans cesse le champ des dangers futurs ) , et celle des hommes . Mouvements inégalement répartis sur la planète , mais qui , ensemble ou séparément , touchent tous les théâtres stratégiques et rendent plus difficiles les opérations de police ou de défense intérieure , hier aidées par la distinction claire entre l' en-dedans et l' en-dehors . Mouvements qui créent ou métamorphosent des acteurs , des risques , que ne sont pas habitués à traiter nos appareils de défense . Fin de cycle ou terrorisme new look ? Dans ce monde -là , les grandes puissances - celles qui ont les moyens à la fois d' une défense territoriale et d' une projection stratégique de forces - semblent hésiter entre la volonté d' intervenir dans certaines crises , et la tentation de se replier sur leurs intérêts nationaux - cette tentation encadrant et organisant , à l' occasion , l' intervention . Ces puissances apparaissent ainsi doublement suspectes aux " provinciaux " : suspectes de tenter d' imposer une volonté internationale élevée sur des principes contestés , et de promouvoir leurs intérêts égoïstes d' États . Ce monde trop vite imaginé pacifié est bien dérégulé , peu ou mal gouverné , et agité de conflits plus nombreux , aux formes nouvelles , qui mettent souvent en oeuvre des moyens qui maximisent l' efficience de petits groupes humains . Dans ce contexte , l' agression du 11 septembre est à la fois peu nouvelle et inédite . Peu nouvelle pour l' instrument : c' est le concept d' emploi qui fait du Boeing une arme de jet dévastatrice ( ce qui nous rappelle opportunément qu' en stratégie innovation n' est pas toujours synonyme d' invention technique ) . La non-revendication des attentats , notée par plusieurs observateurs , n' est pas non plus nouvelle . Elle est usuelle en matière de terrorisme : elle augmente la terreur et bride la réponse en compliquant l' identification de l' adversaire . L' absence des tentatives habituelles de récupération s' expliquant simplement par l' ampleur de l' horreur . Les attentats de New York sont pourtant inédits . Ils installent définitivement les États-Unis dans une position de cible qui correspond à l' étendue de leur puissance . Jusqu'ici , l' Amérique semblait ne pouvoir être touchée gravement que par un acte de guerre massif ( attaque balistique , nucléaire ... ) ; les Européens étaient les victimes beaucoup plus vraisemblables du terrorisme . L' importance des moyens mobilisés , en termes de recrutement , de formation , de financement , bref , l' organisation et la constance dans le projet stratégique apparaissent également neufs . Tout comme l' élargissement du vivier des candidats au terrorisme-suicide , qui ne se recrutent pas , ou plus seulement , dans les peuples souffrant d' une insupportable domination , ou dans les milieux sociaux marginaux . Enfin , le 11 septembre est inédit dans ce qu' il ne montre pas mais laisse entrevoir : l' usage possible , avec une tactique comparable , d' armes plus terribles encore . Pour toutes ces raisons , ces attentats ouvrent un nouveau front , révèlent une béance de notre défense , secouent la routine de nos débats stratégiques . La fracture du débat stratégique Depuis dix ans , la grande affaire des systèmes militaires occidentaux est la marginalisation de la menace territoriale massive . Concepts stratégiques , modèles de manoeuvre des forces , organisation même de ces forces : accélérer la dévolution aux Européens de la responsabilité d' assurer la sécurité dans les Balkans . C' est la fin , au moins provisoire , de la grande forme guerrière , qui vise à employer , contre un adversaire clairement identifié , et au mieux de manière décisive , une concentration de puissance potentiellement infinie . Les logiques , les règles , les appareils d' une vulgate clausewitzienne soigneusement appliquée depuis deux siècles apparaissent déclassés sur un échiquier où conflits et acteurs appellent d' autres manoeuvres , d' autres réponses . D' où des réformes en cascade d' appareils militaires qui savent qu' ils n' ont guère de chance d' être utilisés " en bloc " ( concept de modularité des forces ) , ni d' être utilisés dans le seul cadre national ( concept d' interopérabilité ) . Deux obsessions : l intervention et la technique tout doit changer dans des pays qui ont toujours dessiné leurs systèmes de défense pour résister à l' invasion du territoire ou pour mener une grande guerre classique , les autres hypothèses étant jugées secondaires . Si la sécurité internationale n' est plus mise en cause par des hypothèses d' invasions massives , mais par les effets induits d' abcès locaux , l' intervention de stabilisation prend tout son sens . Les opérations internationales qui se sont succédé nous ont ainsi obligés à penser l' usage de nos moyens d' action , et spécialement de nos forces militaires , dans une autre configuration que celle du conflit classique . Il s' agissait bien ( voir les efforts de l' Union européenne depuis 1998 pour définir les instruments adaptés aux " hypothèses de Petersberg " ) de penser , pour l' en-dehors , " autre chose que la guerre " . Parallèlement s' affirmait , dans un contexte où la menace était moins proche et l' engagement humain plus incertain , l' emprise de la logique technique . Les attitudes américaines sont ici dominantes , avec un formidable effet de contagion sur nos raisonnements . Deux directions ont ainsi été privilégiées : le recours aux technologies de l' information , tout d' abord , pour acquérir à distance une connaissance d' espaces stratégiques choisis et y agir militairement en limitant l' engagement physique des forces , ou en en maximisant l' effet : double problématique d' une domination à distance de l' espace d' affrontement et du champ de bataille éventuel ; puis l' enrôlement de ces mêmes techniques dans une entreprise visant à resanctuariser des espaces nucléarisés contre le double risque de la prolifération des missiles balistiques et de celle des armes de destruction massive . En bref , les débats stratégiques de ces dix dernières années ont , spécialement en Europe , tourné autour de deux questions -clefs : peut -on inventer un concept intégré d' intervention extérieure au service de la gestion des crises , englobant le militaire dans un cadre plus large , et redéfinissant les modes d' usage de ce militaire ? quelle place les technologies nouvelles doivent -elles prendre dans les stratégies militaires - concepts et matériels - , et modifient -elles ces stratégies ? Penser autre chose que la guerre Ces débats ont laissé de côté l' hypothèse d' une atteinte massive non-conventionnelle aux sanctuaires . Les systèmes de défense étaient là pour parer à une atteinte militaire massive . Rien ne permettait de penser que , réglés sur l' hypothèse soviétique , ils ne seraient pas pertinents pour des affrontements interétatiques beaucoup moins dangereux . Quant aux hypothèses non-conventionnelles , en particulier les scénarios terroristes , on les tenait dans des limites imaginées d' après les expériences précédentes des années 1980 ; ou on les renvoyait aux technologies émergentes , donc à un avenir plus ou moins lointain . La démarche que nous avons suivie pour l' en-dehors ( découvrir et organiser " autre chose que la guerre " ) , les événements du 11 septembre nous forcent à l' appliquer à l' en-dedans . Car la proclamation de l' état de guerre face au terrorisme ne résout nulle question . La situation héritée des attentats n' est pas la guerre dans sa définition sociologique : l' affrontement sanglant et armé entre groupes humains organisés et de statuts comparables . Et elle n' est pas non plus la guerre dans sa définition fonctionnelle : une situation qui appelle l' utilisation de l' appareil militaire tel qu' il est - et c' est justement pourquoi la réplique est si difficile à concevoir ... La question centrale n' est pas ici la qualification de l' état d' affrontement , mais l' appréciation des vulnérabilités et , par conséquent , celle des moyens d' y parer . La vulnérabilité spécifique de nos sociétés développées doit de toute évidence occuper une place centrale dans nos raisonnements . Cette vulnérabilité est un thème récurrent ces dernières années , mais tout se passe comme si son ampleur et sa dynamique n' avaient été que confusément perçues . Des sociétés modernes hautement vulnérables Au coeur du débat , ce théorème : la vulnérabilité globale des sociétés sophistiquées croît plus rapidement que les moyens techniques d' y parer . Ce qui ne signifie pas que ces sociétés soient à tout moment menacées , ni qu' elles soient , inévitablement , de plus en plus menacées , mais que leur sophistication diversifie les vulnérabilités et en change la nature . Par la concentration de leur habitat , des ressources nécessaires à leur survie et des réseaux d' échanges , par la sophistication de leurs mécanismes économiques ou techniques , nos sociétés sont évidemment vulnérables à des agressions qui n' exigent que la réunion de moyens limités - ceux -ci pouvant être raffinés ( le progrès technique crée aussi des moyens d' attaque ) ou rustiques . Stratégiquement , la démonstration du 11 septembre est limpide . Pour frapper un pays développé de telle sorte qu' un coup limité ait un large effet , il faut refuser d' entrer sur le champ d' affrontement où ce pays contrôle une écrasante palette de moyens , et le frapper là où sa sophistication est une faiblesse et non une force . Il y a tout à parier que si , dans un proche avenir , un conflit met en cause les sanctuaires des pays développés , l' affrontement tournera autour de ces vulnérabilités : systèmes informatiques et médiatiques , approvisionnement des grandes zones urbaines , maillons dangereux de la chaîne industrielle , populations mal protégeables contre des attaques de masse , etc . Le progrès technique est inégal selon les zones de la planète , les acteurs y recourent donc de manière diversifiée . Et le progrès technique a , en matière de défense , des effets contradictoires . La technique est donc le problème stratégique , et non le moyen de résoudre ce problème , constat qui nous emmène loin de certains réflexes américains : installer la technique au centre du raisonnement stratégique , c' est sans doute se préparer à des guerres qui n' auront jamais lieu . Il n' y a aucune raison de penser que l' ennemi acceptera d' entrer sur le champ de bataille ( numérique ou non ... ) que nous contrôlerons , ou qu' il voudra bien tirer la salve de missiles que nos systèmes sont précisément faits pour intercepter . Il serait aussi dangereux d' ailleurs de tout voir à travers les formes d' affrontement et les instruments d' hier , par exemple en négligeant les percées qui créent de nouveaux moyens d' agression . Il faut appréhender le monde des rapports de forces en suivant la totalité de ses formes et des hypothèses qu' il nous impose . Tâche immense , impossible , mais qui suppose d' abord de récuser le mythe du monde unique . Pas plus en matière de stratégie qu' en économie , nous ne vivons dans un monde à logique univoque , tel système militaire , tel concept pouvant parer à la quasi-totalité des futurs possibles . Les espaces stratégiques sont hétérogènes , les acteurs disposant de leviers efficaces de plus en plus nombreux , et leurs stratégies de plus en plus diverses , dans un monde où coexistent le " sauvage " et le " mutant " technologique . Nous ne pourrons pas maîtriser cette réalité complexe en haussant ou en baissant le curseur technique de nos armes : il faut en revenir au politique . Stratégies militaires et stratégies de sécurité Le temps nous le rappelle brutalement : la sécurité est le produit volatil de facteurs composites - alors que nous avons hérité de la guerre froide l' idée qu' elle était , pour l' essentiel , un produit militaire pouvant se stabiliser par l' accumulation de moyens matériels . Produit volatil : la sécurité " consolidée " , absolue , n' existe pas , d' abord parce qu' elle n' est jamais qu' une perception , ensuite parce qu' aucun système total , totalitaire , de défense n' élimine le risque . Produit de multiples facteurs : diplomatiques ( qui organisent et régulent les rapports conflictuels ) , économiques ( qui usent des échanges pour développer et rapprocher , en même temps qu' ils définissent les richesses mobilisables pour la défense ) , culturels ( qui font dialoguer des sociétés humaines irréductibles l' une à l' autre ) et , bien sûr , militaires ( pour gérer les crises ou , simplement , se défendre ) . Imaginer une sécurité basée sur la seule défense militaire est tout aussi irresponsable qu' inefficace . La lutte contre le terrorisme , comme toute stratégie de sécurité , combine donc de multiples manoeuvres . Même si l' urgence impose le démantèlement physique des réseaux terroristes , seule une démarche complexe , intégrée , peut nous garantir - et toujours relativement - contre leur éternel et proliférant retour . Le militaire demeure au coeur de ces stratégies de sécurité . Après avoir écarté l' idée qu' une menace Sud pourrait remplacer la menace Est pour légitimer des appareils militaires inchangés , on s' est d' abord attaché au règlement de crises extérieures . L' expérience du 11 septembre va pousser à aborder d' un autre oeil le débat sur des moyens qui n' ont aucune vertu en soi et ne valent que dans un environnement déterminé . quelle défense du territoire définir qui ne renvoie pas aux modèles du XIXe siècle ? Quelle réflexion mener sur les armes du champ de bataille , si nous ne connaissons ni le champ , ni la bataille ? Quel rôle pourraient jouer les systèmes techniques d' interception , si l' on considère que les missiles constituent désormais un moyen privilégié d' exporter les conflits au coeur de nos sociétés ? Recompositions géopolitiques et institutionnelles Le traumatisme du 11 septembre est gros de recompositions géopolitiques dont il est difficile d' apprécier l' ampleur ( peut-être surévaluée sous l' effet du choc ) . La réunion de l' immense majorité des États contre le terrorisme international ne sera pas la plus difficile à former . Il est en effet une menace pour tous ces États , quels que soient leurs objectifs ou leur degré de démocratie . L' adhésion des populations pose de tout autres problèmes . Elle pourrait être gravement mise en cause , si se formait une dynamique de peuples s' identifiant comme victimes de la logique de mondialisation , et tournée contre ceux qu' ils en jugeraient bénéficiaires . Si une telle dynamique collait à une division culturelle , par exemple singularisant le monde musulman , elle conduirait droit à la catastrophe . Toute stratégie militaire , diplomatique , économique ou culturelle susceptible d' aggraver cette perception d' un écart par rapport au phénomène dominant de mondialisation impulsé par le monde riche , toute stratégie qui faciliterait une cristallisation ( politique ou religieuse ) anti-occidentale , endosserait une lourde responsabilité à long terme . C' est dans cette perspective aussi que doit être apprécié le déploiement de certains systèmes militaires . L' érection de hauts murs contre des menaces inactuelles peut se transformer en incitation à tourner la forteresse , politiquement ( en faisant naître une vraie opposition , voire une vraie menace ) ou militairement ( en utilisant des méthodes inédites ) . C' est là une partie de la problématique des systèmes d' interception des missiles balistiques à longue portée . Cette éventuelle cristallisation anti-occidentale - objectif majeur des terroristes à la Ben Laden - ne peut être écartée que par une stratégie multimodale : réunion la plus large des États dans un souple front de coopération anti-terroriste ; aide économique , politique , militaire , à la stabilisation régionale , au Proche-Orient , en Asie centrale , voire en Asie du Sud-Est ; incitation à la démocratisation de régimes largement rejetés en même temps que l' Occident qui les soutient ; enfin , intégration , chez nous , de populations issues d' une immigration qui se développe désormais dans la logique de la globalisation . Les structures de sécurité adaptées au monde modifié par le 11 septembre seront , pour l' essentiel , définies par les États - surtout pour ce qui concerne la défense du territoire . Les cadres " durs " de sécurité vont , au moins provisoirement , reprendre la main . Pour un ensemble " mou " comme l' Union européenne , cela suggère soit une re-nationalisation des politiques de défense des États-membres , soit une " nationalisation " relative de l' Union , avec la redéfinition des objectifs et des moyens de la Politique commune de sécurité et de défense , qui se limite pour l' heure à la gestion des crises extérieures . Les échéances sont capitales pour l' Union . Qu' elle démontre qu' elle peut répondre à l' interpellation nouvelle , et elle sortira de son inexistence politique . Qu' elle prouve qu' elle est en situation dans le nouveau jeu , avec des arguments propres sur les concepts stratégiques pertinents , sur la conception d' une technologie moins impériale dans les discours et les pratiques militaires , ou même sur le modèle politique et social de la mondialisation , et l' Union se placera au centre du débat . L' Alliance atlantique , quant à elle , va voir se redéployer le débat sur son champ d' intervention , et donc sur son ouverture . En restera -t-elle au statu quo ante : coalition militaire à objectif limité , ornée d' un zeste de sécurité collective - mais de peu d' utilité , apparemment , dans une situation mettant sans conteste en cause la sécurité d' un de ses membres ? Ou , tout en limitant ses élargissements , deviendra -t-elle enfin l' Alliance tous azimuts rêvée , mezza voce ou non , selon les temps , par les États-Unis ? Ou sera -t-elle encore le support du large front politique formé sous la houlette américaine : auquel cas il faudrait qu' elle s' élargisse beaucoup , sous une forme à définir , y compris et d' abord à la Russie , en relativisant , ou laissant diluer , sa définition militaire ? On peut imaginer qu' on se dirige vers un double système de solidarités . Les solidarités politiques et de coopération s' exprimeraient dans un grand ensemble à définir , et les solidarités de défense et de sécurité dans des ensembles plus restreints , et peut-être durcis . Quelle peut être désormais la pertinence des systèmes de défense territoriaux : Sans réforme profonde , l' organisation mondiale apparaît bien incapable de dépasser ses propres proclamations - légitimes , mais courtes . Une hypothèse optimiste serait que la prise de conscience du décalage actuel pousse à des décisions rapides , et que l' ONU puisse alors être le cadre d' expression de la solidarité politique et de ses implications concrètes , par exemple en matière de contrôle collectif des armes . Redessiner les débats de défense ? Les options de défense concrètes devront aussi être adaptées à l' évolution des risques . Dans aucune de ces perspectives l' Organisation des Nations unies ( ONU ) n' apparaît très pertinente , ce qui pourrait annoncer un nouveau retrait , de fait , de son influence . Une révision de nos vulnérabilités en fonction de ce que nous avons appris des événements , et de ce que nous savons des évolutions des technologies et de leur circulation . Le développement de moyens d' observation , de détection ( l' affirmation d' une capacité européenne est plus urgente que jamais ) , d' alerte et de renseignement ( définition des objectifs , puisque les " services " voient d' abord où on leur demande de regarder ; élargissement des coopérations ) . L' appui sur les fonctions de police , de sécurité intérieure , de protection contre les effets d' armes nouvelles , et de projection de forces spéciales , ces dernières pouvant être appelées à dissoudre , à l' extérieur , une menace qui ne relèverait pas d' un traitement militaire lourd . L' approfondissement de la réflexion sur les défenses antimissiles de théâtre . L' utilité de ces dernières pourrait être réévaluée à la lumière des événements récents , dans l' optique de protections ponctuelles du territoire ou de troupes déployées à l' extérieur . On ne donne ces orientations qu' à titre d' exemple . Toutes dépendent d' une démarche plus fondamentale : celle qui redéfinira l' espace pertinent pour penser nos politiques de défense et de sécurité . Et cet enjeu ne peut pas être strictement national . Les événements du 11 septembre et ceux qui les ont suivis nous obligent à repenser à la fois le contenu de nos politiques et l' espace de leur définition ; et la dimension collective , c' est-à-dire , pour nous , européenne , s' impose à chaque fois . La fin du système bipolaire a imposé une large révision de nos politiques de sécurité , mais le monde va plus vite que les adaptations institutionnelles . C' est une autre étape qui s' ouvre aujourd'hui , sans que nous en connaissions les contours , ni le terme . Les décisions qui vont être prises devront pourtant rester assez souples pour ne pas biaiser notre compréhension des évolutions en cours . Car si le temps de la décision politique est rapide , celui de l' intelligence du monde est lent .