_: Genre et variations stylistiques en sémantique textuelle Christophe Gérard LPL / Université de Provence christophe.gerard@univ-provence.fr Malgré leur importance pour l' étude des arts du langage et la linguistique du texte en général , les rapports entre genre et style individuel demeurent peu étudiés , même dans des domaines aussi propices que la poétique et la stylistique . Les méthodes de la linguistique de corpus assurent à présent la mise en oeuvre empirique de cette problématique aux paliers du mot et de la phrase . Plus précisément , comme elle reflète la diversité des usages oraux et écrits d' une langue historique , l' étude des variations lexicales et morphosyntaxiques dues aux discours et aux genres 1 permet d' apprécier , par contraste , les régularités qui relèvent en propre de l' individuel . La notion de style s' identifie alors à celle d' idiolecte , pour un empan qui va des unités lexicales aux phénomènes transphrastiques . Au-delà , au palier du texte , les rapports entre genre et style intéressent les conditions posées par les normes traditionnelles du discours sur la singularisation de l' expression individuelle . Qu' en est -il en sémantique des textes ? Cette étude envisage le cas particulier du poème en prose et analyse , sur la base de propositions méthodologiques , les tendances de composition sémantique qui caractérisent la pratique de ce genre chez Gérard Macé ( 1946 ) . Style , sens et textualité Analogies définitionnelles et tâches descriptives Genette souligne très justement que toute identification et qualification d' un style ( d' époque , d' école ou individuel ) « déterminent un modèle de compétence capable d' engendrer un nombre indéfini de pages conformes à ce modèle » ( 1991 : 136 ) . Or cette conception du style paraît tout autant s' appliquer au genre , dans la mesure où on y voit un « programme de prescriptions positives et négatives ( et de licences ) qui règlent la production et l' interprétation d' un texte » 2 . À l' inverse , en revenant à la formulation de Genette , on serait tenté d' assigner cette dernière définition à la notion de style individuel . Non seulement , en effet , un tel style participe des modes de production du texte mais il en oriente aussi la réception en rendant prégnants des unités linguistiques et des phénomènes textuels qui autrement passeraient inaperçus . En ce sens , en deçà notamment de leur nature sociale / individuelle , genre et style ne se distinguent guère quant à leur statut de normes textuelles . Pratiquement , la mise en évidence des régularités qui les différencient en corpus engage la description dans des tâches d' inégale indépendance . Alors que la caractérisation des genres nécessite leur comparaison au sein d' un même champ générique , celle des styles pose en particulier le genre comme un principe de différenciation , et présuppose ainsi la connaissance des normes génériques que met en jeu le corpus étudié ( alors homogène de ce point de vue ) . Comme cette démarche subordonne le social à l' individuel , elle ne se confond pas avec une « stylistique des genres » dont le statut hybride conduit à ne pas privilégier les habitudes linguistiques de l' auteur 3 . Sémantique des genres et des styles Envisagée sous l' angle des composantes de la textualité 4 , la distinction entre style et genre apparaît essentiellement graduelle ( vs catégorielle ) : de la même façon que l' on peut définir un genre comme une interaction sociolectale entre composantes [ du contenu et de l' expression ] , on peut définir un style comme une interaction idiolectale entre composantes . Cette interaction est d' un rang inférieur par rapport au genre , car elle intéresse des corpus moins étendus , mais en revanche ses prescriptions sont plus systématiques et plus fortes ( Rastier 2001 : 180 ) Appuyée à ce dispositif théorique , la différenciation d' un style par les normes d' un genre se complique néanmoins de divers cas de figure , qu' on doit à l' existence de fonctionnements génériques multiples , dont certains mettent à l' épreuve l' analyse en composantes . C' est notamment le cas du poème en prose . D' ordinaire définit selon des critères très génériques comme un « texte poétique court , autonome et autotélique » 5 , il apparaît dénué de prescriptions d' ordre thématique , narratif ou énonciatif , et ne définit donc pas d' interaction sociolectale au plan du contenu . Qu' une telle indétermination soit possible donne à imaginer , à titre heuristique , différentes façons pour un style de s' affirmer sous le régime textuel des composantes sémantiques . Dans cette perspective , les rapports entre genre et style rencontrent quatre cas de figure : Interaction sociolectale définie On n' observe pas de régularités qui accuseraient une spécification idiolectale de l' interaction en question au sein du corpus d' étude ( oeuvre littéraire , philosophique , etc. ) . Le style ne module pas son identité sur les prescriptions sémantiques du genre d' accueil et par conséquent la description des particularités individuelles devrait logiquement se poursuivre dans d' autres directions ( cf. infra 3 ) . On observe des régularités thématiques , narratives ou énonciatives justiciables d' un modèle individuel de production des textes . La description rend alors compte d' un style en tant qu' il se différencie sur un fond de caractéristiques génériques . 2 . Interaction sociolectale indéterminée On n' observe pas d' interaction régulière entre composantes . À nouveau , il faudrait enquêter selon d' autres perspectives pour dégager les particularités individuelles recherchées . Le corpus présente en tout ou partie des régularités idiolectales significatives . Elles indiquent une forme d' appropriation individuelle où , pour une oeuvre donnée , la sémantique du genre le cède à la sémantique d' un style . Les cas 2a et 2b correspondent à l' indétermination sémantique que nous avons illustrée avec le poème en prose . À l' inverse , les cas 1a et 1b présupposent des prescriptions au plan du contenu , vis-à-vis desquelles desquelles s' apprécient la singularité d' un mode de production et d' un mode d' anticipation du sens textuel ( pour une réception familiarisée avec les textes ainsi mis en série ) . À cet égard , alors que 1b localise la différence de degré entre style et genre que signalent les propositions de Rastier , 2b réaliserait lui un investissement stylistique « catégoriel » . Les analyses suivantes illustrent ce dernier cas de figure sur un corpus poétique réduit . Poème en prose et variations stylistiques Problématique L' oeuvre de Gérard Macé est réputée se soustraire aux catégories génériques classiques . Cette particularité concerne non seulement sa poésie mais aussi d' autres usages de l' écrit . Aussi la critique use -t-elle d' habitude de guillemets lorsqu' elle considère Ex Libris ( 1980 ) comme un « essai » mêlant imagination personnelle et documentation érudite , ou encore Le dernier des Égyptiens ( 1988 ) comme une « biographie » qui explore la vie de François Champollion sur un mode thétique . La spécificité de la poésie macéenne résulterait de même d' un « mélange de genres » ( récit , poésie , essai ) 6 ; d' un « ' brouillage ' des genres » ( entre prose et poésie ) 7 ou encore de l' invention d' une « forme » propre ( Asso 2001 : 28 ) . À la différence de cette communauté de vues , une minorité suggère pourtant d' assimiler cette poésie au genre du poème en prose 8 . La critique se présente ainsi comme divisée entre le refus et l' assomption d' un « genre » unique . Toutefois ces divergences sur la catégorisation des textes ne sont peut-être qu' apparentes . Le poème en prose témoigne en effet dès son origine ( 1750 - 1850 ) des symptômes rencontrés par la critique macéenne : ( i ) comme le signale l' équivoque notoire de la locution poème en prose , il est un lieu privilégié de la contestation des frontières entre poésie et prose ; ( ii ) Nathalie Vincent-Munnia note par ailleurs que , dans la première moitié du XIX siècle , « Le poème en prose apparaît [ ... ] comme un genre indéfinissable , ne pouvant être soumis à aucune caractérisation générale et définitive » ( Vincent-Munnia 2003 : 562 ) ; ( iii ) en outre , Sandras a soin de relever des usages variés du genre qui « contraint d' admettre plusieurs modèles du poème en prose » , à savoir un modèle narratif , un modèle descriptif , un modèle musical ou euphonique , un modèle expérimental , enfin un modèle « proche du carnet ou de l' essai » 9 ; ( iv ) enfin , à l' origine « Les auteurs eux mêmes ne semblent pas pouvoir trouver une dénomination générique adéquate à leurs textes [ ... ] . La même absence de classification générique nette marque le discours de la critique et de la réception contemporaine de ces textes. » 10 Sur ce fond éclairci du débat , nous opposerons aux thèses du mélange et de l' exclusion des « genres » celle d' un genre unique attesté , en montrant que Macé n' a pas trouvé une « forme » déliée de la notion de genre , mais différentes manières de pratiquer le poème en prose . On cherchera par là à rendre compte des tendances de composition qui exploitent l' indétermination sémantique de ce genre . Analyses Restreint à 25 textes , le corpus d' étude couvre une période postérieure aux trois premiers recueils de Macé , Le jardin des langues ( 1974 ) , Les balcons de Babel ( 1977 ) et Bois dormant ( 1983 ) 11 , et ne retient pas les premières parties de La mémoire aime chasser dans le noir ( 1993 ) qui relèvent pour l' essentiel de l' essai bref et de l' aphorisme . Il se compose ainsi de la troisième partie de ce dernier recueil , du recueil complet Le singe et le miroir ( 1998 ) ainsi que de trois poèmes d' abord publiés séparément , Pierrot , valet de la mort ( 1986 ) , Tête-bêche ( 1987 ) et La forêt qui se met à marcher ( 1991 ) 12 . Analogues au plan de l' expression , ces poèmes marquées par l' hypotaxe se particularisent tous par une présentation en alinéas qui segmente le texte en autant de périodes ( pour un exemplaire cf. infra 2 ) . Ces aspects marquent l' unité de facture des poèmes étudiés . Au plan du contenu , la métaphore continuée trame souvent la constitution du sens . Surtout , la plupart se laissent ramener à trois types d' interaction entre composantes . Nous choisissons de les nommer par commodité vie , songe et médiation pour indiquer la spécificité thématique , narrative et/ou énonciative de différentes « stylisations individuelles » ou appropriations sémantiques du poème en prose . Caractères sémantiques des méditations Onze textes exemplifient des « méditations » : La chambre interdite , Suite royale , Hôpital de jour , La peur des miroirs , Au dieu du voyage , Hôtel de l' univers , Orphée qui se retourne , Le vent est à la prose , Le singe et le miroir , L' espoir est une étoile filante ... , Le royaume des morts . - Aspects narratifs et thématiques . Leur mode de production rappelle la technique médiévale de l' integumentum ou reprise et intégration rhétorique de mythes . Une large part des poèmes tire en effet sa matière narrative de figures mythiques ou de types littéraires . Ainsi la figure connue de Gaspard Hauser se superpose au mythe de Narcisse dans La peur des miroirs ; le personnage décrit dans Au dieu du voyage représente Hermès ; Orphée revient sans Eurydice dans Orphée qui se retourne ; Ulysse et les Sirènes voisinent avec tout un bestiaire merveilleux dans Le vent est à la prose ; le début de Le singe et le miroir transfigure le mythe dogon des Jumeaux puis celui de l' Enfant sauvage né au siècle des Idéologues , etc. Ces transpositions de l' imaginaire collectif dans l' univers macéen servent de support à l' expression poétique d' une « thèse » plus souvent illustrée qu' explicitée ( infra ) . D' une façon constante , chacune des méditations présente un point de vue réflexif portant sur un « Nous-mêmes » . Cette instance de la communication représentée est lexicalisée par un Nous généralement inclusif que les textes suggèrent d' identifier à la société occidentale moderne ( entre la fin du XIXe et l' extrême fin du XXe siècle ) . Y invitent des termes , expressions , citations et allusions fonctionnant pour le lecteur à la manière de chronotopes tels que « cravate » , « Kantor » , « journal » , « néon » , « nos lumières celles des vitrines » , « des oreilles absolument modernes et sourdes absolument » , etc. Les déictiques personnels et temporels des méditations sont généralement interprétés ainsi , même s' il arrive aussi que le propos thétique , en même temps qu' il contribue à l' assimilation de ce Nous à l' Occident moderne , précise l' identité du foyer énonciatif . Par exemple dans Le vent est à la prose le thème de la poésie a pour corrélat un Nous , exclusif , qui renvoie aux acteurs de la modernité poétique . - Des poèmes thétiques . Le royaume des morts et surtout La chambre interdite renvoient respectivement à d' autres textes de Macé qualifiables d' essai ( bref et long ) et d' aphorisme : le sixième paragraphe de Le royaume des morts évoque Le goût de l' homme 13 ; La chambre interdite est un centon tout entier composé de passages de la première partie de La mémoire aime chasser dans le noir . Cette intertextualité du poème en prose avec les genres pragmatiques cités est symptomatique du caractère thétique des méditations , au sens où elles impliquent la prise en charge énonciative d' un propos objet d' un jugement évaluatif . Le propos peut être explicite comme dans Suite royale ( « Les rois ne sont plus rois de droit divin , ils sont les servants de nos désirs » ) , ou indiqué comme dans Le dieu du voyage ( « nous ne voyagerons plus grâce à Virgile dans l' enfer d' une autre vie » ) ou dans La chambre interdite , un poème qui reprend le topos du réalisme mensonger de la photographie . Mais le plus souvent l' interprétation n' accède pas immédiatement au propos : La peur des miroirs et Hôpital de jour disent la laideur de l' écriture et du monde via la Beauté personnifiée 14 ; Le vent est à la prose vise le modernisme en poésie ; Le singe et le miroir regrette la parole perdue des origines , etc . La modalisation évaluative est ici constante . De fait , si La peur des miroirs donne à re-parcourir les traits caractéristiques de Gaspard Hauser , c' est autant pour exploiter leur valeur symbolique qu' avec l' intention d' établir la comparaison finale , dépréciative : « c' est nous-mêmes » ( 164 ) . Plus exactement , les jugements portés reposent sur des procédés métaphoriques bien plus que sur une argumentation articulée ( en particulier par car et mais ) . Enfin , assumées par un Je implicite , les évaluations négatives sont dirigées vers l' acteur collectif Nous-mêmes et une situation historique - la Nôtre . - Poèmes en prose « essayistes » . L' ensemble de ces particularités signale la fonction polémique de ce foyer énonciatif . Du point de vue des actes de langage , un tel dispositif textuel peut susciter l' identification du lecteur réel au foyer interprétatif ( également implicite au sein de la communication représentée ) . Plus précisément , par leur modalisation négative d' un propos défini , ces textes semblent dessiner en creux la place d' un énonciataire critique qui , en d' autres situations de discours , pourrait aller jusqu'à engager la controverse ( parodie , lettre ouverte , etc. ) . Malgré tout une telle ouverture pragmatique demeure ici virtuelle , à la différence de l' essai , par exemple , dont le régime communicationnel appelle la réalisation d' une réception active ( maintenue privée ou rendue publique ) . Le type de la méditation opère néanmoins en deçà et leur dimension thétique , source de leur coloration « essayiste » , oblige au fond à retenir une conception affaiblie de l' autotélisme invoqué comme critère de définition du poème en prose . Caractères sémantiques du songe Relèvent du songe macéen Un ange passe ... , La mémoire aime chasser dans le noir , Sommeil levant je me réveille ... ainsi que Au-delà commence la banlieue ... Au plan thématique , ces textes ont en commun d' actualiser le champ lexical de la parenté et d' être dominés par une tonalité funèbre . Leur disposition linéaire est dominée par l' énumération . On se concentrera ici sur d' autres aspects de la textualité . - Perception et souvenir . Du Bellay et Ronsard ont illustré le Songe d' une façon qui renvoie directement au Canzone dei visioni 15 . Au début du songe VIII de Du Bellay Je vis un fier Torrent , dont les flots escumeux Rongeoient les fondements d' une vieille ruine : Je le vy tout couvert d' une obscure bruine , Qui s' eslevoit par l' air en tourbillons fumeux 16 la construction Je + VOIR explicite un trait identificatoire de la vision , autre nom du songe 17 . Chez Macé celui -ci manifeste de même une corrélation privilégiée entre la modalité de la perception et le foyer énonciatif représenté par Je . Ce procédé est utilisé sous cette forme dans Un ange passe ... mais aussi selon la modalité auditive ( « j' entends un bruit de vaisselle qui brise le rêve » ) : Un ange passe , et pendant que les conversations se taisent autour de la table , il revient accompagné de son jumeau , les ailes collées par la poussière et la sueur . Mais personne ne saurait dire aujourd'hui lequel des deux a levé lentement sa main baguée pour nous adresser un signe plein de grâce et de vulgarité à la fois , un signe annonciateur et louche . Je revois le visage des jumeaux dans l' embrasure de la porte ( celui qui tire la nappe en effaçant nos souvenirs , et celui qui transmet la tradition comme un mot de passe ) , chaque fois qu' en cherchant le sommeil j' arrange des mariages où sont invités les morts : des garçons d' honneur aux souliers vernis , les vieillards en chemises sans col , l' aïeule coiffée de noir depuis qu' elle a fauté . Je revois « l' oncle matinal » , les cousins près de leur sous et ceux qui n' ont pas pu avoir d' enfants , je revois Roger d' Orléans et Melaine de la Courberie anoblis par l' usage familial , et par le temps qui leur a fait l' aumône d' une particule . Puis vers la fin du banquet , à l' instant où les fiançailles vont devenir des noces d' or , et l' aïeule une infante , j' entends un bruit de vaisselle qui brise le rêve : à la place des deux anges qui n' ont laissé aucun message , et qui n' apparaîtront plus ensemble sur la terre , je ne vois que des plumes comme après un combat de coqs , et la volaille qu' on engraisse pour le prochain mariage . Enfin le photographe avec ses airs de faux prophète , et sa lanterne allumée en plein midi pour nous annoncer la nouvelle de notre mort . Surtout , la lexicalisation « revois » se rapporte à un événement passé . C' est l' indice d' une différence majeure par rapport au songe traditionnel . C' est en effet la triple corrélation de la fonction du Souvenir ( vs Imagination ) , de la modalité perceptive et du Je qui identifie le songe macéen . Chez l' auteur de La mémoire aime chasser dans le noir le songe est ainsi davantage acte de remémoration qu' acte d' imagination productive ; cette présence de l' activité mnésique faisant directement écho au thème de la Mémoire , central dans cette oeuvre . - Mode du récit et impression référentielle . Le songe se caractérise par une impression référentielle de type onirique , qui peut être produite au moyen d' antilogies . Par exemple , dans « à l' instant où les fiançailles vont devenir des noces d' or , et l' aïeule une infante » , d' une part le contexte transformatif ( « devenir » ) accueille paradoxalement un état / antérieur / ( « infante » ) en position résultative . D' autre part , « à l' instant où » vient rendre saillant le trait / imminence / dans « les fiançailles vont devenir des noces d' or » , impliquant ainsi une transformation ponctuelle alors même que la relation qui lie « fiançailles » à « noces d' or » est durative . Relevant de cette rationalité onirique ( i.e. ni causale ni finalisée ) , le récit fragmentaire qu' implique le songe macéen n' appelle pas à restituer les moments manquants d' une intrigue énigmatique . Par exemple , dans Un ange passe ... le retour de l' Ange est marqué par une transformation ( ses ailes sont « collées par la poussière et la sueur » ) qui demeure sans origine . Certes l' intelligence narrative peut tenter d' expliquer certaines ellipses supposées . Aussi n' apparaît -il pas déraisonnable d' imaginer ici une lutte en lien avec les fonctions antithétiques de ces Anges de la mémoire ( « celui qui tire la nappe en effaçant nos souvenirs , et celui qui transmet la tradition comme un mot de passe » ) . Mais généralement la succession des d' actions ( « revient » , « puis vers la fin » ) s' émancipe du récit canonique ( clôture , symétrie et causalité ) et aucune organisation narrative globale ne peut être constituée . Caractères sémantiques des Vies Présente dans l' oeuvre de Macé , en particulier dans les « essai-fictions » des Vies antérieures , on retrouve la vie dans les poèmes Parade nuptiale , Femmes sans tête , Tête-bêche , La forêt qui se met à marcher et Entre le théâtre et les bois ... Certains textes à la première personne ( Opéré de quelque grosseur ... ; De la partie fermée du théâtre ... ; La leçon d' anatomie ) , de facture autobiographique , se rapprochent naturellement de ces récits de vie , mais sans en relever strictement . - Les vies et les songes . Ils contrastent à divers égards . Les premières appliquent la modalité ontique du / réel / aux acteurs du récit , alors que le mode mimétique des seconds se traduit par une saturation du texte par l' irréel . De plus , on n' y observe pas d' interactions entre le narrateur et les acteurs , à la différence des songes ( notion de narrateur-personnage ) . Enfin , à la narration homodiégétique du songe s' oppose la narration hétérodiégétique de la vie centrée sur des événements passés et actuels d' au moins un acteur humain . - L' espace profond du souvenir . Cet acteur , qui appartient à la classe des Défunts , est toujours identifié ( les Parents dans Parade Nuptiale , le Nourrisson dans Femmes sans tête ) et parfois désigné par un nom propre ( ex. Arthur Meslin et Gervaise Vidor dans La forêt qui se met à marcher , Saturnin dans Tête-bêche ) . La structure récurrente qui le caractérise corrèle un IL à une modalité spécifiée par ce que nous avons appelé la fonction du Souvenir ; comme si la mémoire propre des personnages était donnée responsable du récit ( par ex. dans Femmes sans tête « C' est dans une quinte de toux qu' il retrouve une impression d' enfance » ) . Il est clair toutefois que l' accès à l' histoire individuelle des personnages se fait par la médiation du foyer énonciatif ( Je ) . De sorte que lui-même connaît une actualisation de la fonction du Souvenir , qui le cède parfois à l' Imagination 18 . Une spécificité remarquable des vies réside dans cette inclusion des fonctions du Souvenir : Je se souvient d' un Il qui se souvient de son passé . - Thématique vitale et tonalité funèbre . Ce qui unit par ailleurs tous ces poèmes est une thématique du cycle vital . On note au hasard les chronotopes « dans le ventre de sa mère » , « nourrisson » , « enfance » , « en tremblant comme une feuille » ( vieillesse ) , « son fantôme » ( résurrection ) . Mais le parcours du cycle n' a rien de linéaire et de duratif . Par ailleurs , la narration de ces vies anecdotiques porte sur des gens de petite condition ( ex. le bleu de travail et le tablier ) à l' image de la Mère de Parade nuptiale , cette « héroïne d' une vie brève qui s' écroula un soir sur le seuil de sa maison » . Ce passage marqué par l' aspect / perfectif / ( « brève » , « s' écroula » , « soir » , « seuil » ) exemplifie enfin le ton de ces vies hantées par le deuil : en qualifiant globalement le thème de la vie , l' aspect / perfectif / contribue ainsi à produire la coloration funèbre qui domine les poèmes . Synthèse et perspectives Sur la base d' équivalences sémantiques globales , nous avons tenté de rapprocher des textes identifiés par une facture typographique et syntaxique analogue et appartenant à un même genre . Leur description a permis de mettre en évidence des caractéristiques communes ( thématiques , énonciatives et/ou narratives ) qui , pour la majorité des vingt cinq textes examinés , constituent des sortes de sous-ensembles et légitiment de fait des formes textuelles stables propres à Gérard Macé . Ainsi , alors que le songe s' oppose « en interne » à la vie comme à la méditation , il paraît même se singulariser par rapport à sa tradition poétique ( Du Bellay , Ronsard ) . Ces formes , qui n' ont le statut de type textuel qu' au sein de cette poésie , se définissent par des interactions spécifiques entre composantes . Ce sont elles qui , dans le cadre d' un genre dénué de prescriptions au plan du contenu , fondent l' existence de variations stylistiques . La méditation est de loin le type le plus exemplifié ( onze poèmes ) , viennent ensuite la vie ( cinq exemplaires ) et le songe ( quatre exemplaires ) . Les catégorisations hybrides de la critique macéenne se précisent alors : de même que la dimension thétique des médiations rapproche ces poèmes de l' essai , de même la dimension narrative du songe et de la vie conduit naturellement à employer l' étiquette « récit » . À vrai dire , ces formes témoignent ensemble d' une pratique plurielle ( i.e. ni uniforme ni disparate ) du poème en prose , cette pluralité de manières déclinant un style de composition qui se positionne entre la contingence de la création poétique et l' emploi de procédés systématiques . Exploitant les catégories rhétoriques du portrait ou du tableau , cinq textes sont toutefois rétifs aux regroupements effectués . À l' exception de Pierrot valet de la mort , ils appartiennent au dernier recueil de Macé , Le singe et le miroir . Certes Le roman des jumeaux et Le porteur de lanterne , où un Je confie son passé et médite sur l' origine , tiennent un peu de la vie et de la méditation . De même Assis sous un auvent ... , Pierrot valet de la mort et à l' intérieur du navire ... mettent en scène un acteur unique ( l' émigrant , le Souffleur , le Capitaine , respectivement ) qu' un sort dramatique rapproche des vies . Mais ces poèmes ne sont pas en toute rigueur assimilables aux formes textuelles dégagées . Ce genre de difficulté appelle à prolonger l' étude et la recherche en complétant la différenciation du style par le genre au moyen d' autres formes de caractérisation sémantique des particularités individuelles . Nous avons fait ailleurs des propositions en ce sens qui s' appliquent aux façons régulières de constituer le sens au sein d' un corpus attribué à un énonciateur unique . En effet , une oeuvre peut se singulariser à différents paliers et donc se caractériser sous différents angles : 1 / le palier du texte situe les interactions idiolectales entre composantes ; 2 / celui de la période intéresse des structurations remarquables entre signifiés , envisagés dans leur linéarité ( rythmes sémantiques , etc. ) ; 3 / au palier du mot l' oeuvre constitue les significations propres à l' auteur ; 4 / enfin , à ces différents paliers , la constitution du sens peut épouser un même schème . Ainsi chez Macé un contraste fort unifie les paliers du mot ( ex. cercueil de verre ) , de la période ( ex. un rat qui voulait devenir une étoile ) et du texte ( figure macéenne des Jumeaux antagonistes ; opposition thématique entre culture savante et culture populaire , etc. ) . Au-delà , l' analyse sémantique sert une caractérisation textuelle qui doit rendre compte de l' interaction entre le plan de l' expression et celui du contenu . Cela intéresse en particulier les trois recueils qui précèdent Bois dormant ( Le jardin des langues , Les balcons de Babel et Bois dormant ) . Macé y voit une trilogie dont le mode d' écriture n' est pas sans évoquer les productions dites automatiques des Surréalistes . À la différence des recueils suivants , ils soumettent la lecture à un tempo soutenu par la suppression des points , des virgules et l' usage de l' énumération , notamment . Cette différence de facture soulève le problème des lignées stylistiques qui alternent dans la chronologie des parutions et dont la reconnaissance repose sur des indices de périodisation ( typographiques , phoniques et morphosyntaxiques ) . Dans le cas présent , il s' agirait d' établir si la trilogie relève d' une lignée unifiée ( pour une suite de textes , correspondance d' une même facture et d' un même style sémantique ) ou non ( un style sémantique commun a des factures distinctes ) . Répondre à cette alternative permettrait d' apprécier l' évolution d' un style en terme de continuité / discontinuité . Il reviendrait à une linguistique des styles unifiée aux deux plans du texte d' investir ce domaine de la variation stylistique . Bibliographie Asso F. 2001 . « Lecture , rêve , mémoire » , in S. Boucheron , J . - L . Lambel , N. Ragonneau ( éd. ) , Images et signes . Lectures de Gérard Macé , Cognac , Le Temps qu' il fait : 23 . Bercot M. , Seth. , C . , Collot M. 2000 . 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