_: EDITORIAL . LE VOTE DE LA PEUR Chirac et Jospin ont beau se démener , ils restent scotchés autour de 20 % chacun dans les intentions de vote au premier tour de la présidentielle . Et la tendance n' est pas à la hausse au fil des sondages . En revanche , les extrêmes se portent bien . Laguiller taquine la barre des 10 % , Le Pen la franchit légèrement . Et si l' on ajoute Besancenot et Gluckstein d' un côté et Mégret de l' autre , c' est au total 25 % de l' électorat qui marche sous les bannières des formations politiques les plus radicales . Vote de protestation , comme on a souvent coutume de le dire ? Sans doute . Ces candidats symbolisent le rejet du système , de « la bande des quatre » selon l' expression de Le Pen . Ils englobent , dans la même condamnation , la droite et la gauche traditionnelles qu' ils accusent de mener une politique indifférenciée . Mais c' est aussi le vote de la peur de la part de leurs électorats . La peur des autres pour les supporters de l' extrême-droite . La peur de l' exclusion du monde du travail pour les partisans de l' extrême-gauche . On aurait tort de ne voir dans les inconditionnels de Le Pen et de Mégret que des idéologues fascistes ou nazis . Hormis quelques cadres du FN et du MNR fascinés par ces théories nauséabondes , le « petit peuple » de l' extrême droite exprime un racisme ordinaire par peur de l' autre , de celui qui est différent par sa couleur de peau , sa nationalité , ou ses moeurs . Ces « bons Français » qui , en grande partie , sont les premières victimes de l' insécurité , ne retrouvent plus leurs valeurs et leurs repères dans cette société multiculturelle en perpétuelle évolution . A travers leur bulletin de vote , ils expriment un rejet , une autodéfense qui n' est en fait que la traduction de la position de faiblesse qu' ils ressentent . Du côté de l' extrême gauche , les nouveaux soutiens d' Arlette ne sont pas davantage des idéologues . Ils ne rêvent pas d' instaurer la révolution permanente . Mais eux-aussi sont fragilisés , en perte de repères , déboussolés souvent par un licenciement ou des conditions de travail de plus en plus dures . Ils ne comprennent pas pourquoi leur entreprise les jette sur le pavé alors qu' elle continue à faire des profits . Ils sont victimes d' une autre forme d' insécurité , celle de l' emploi . Et quand ils se retournent vers les responsables des partis politiques traditionnels , ils constatent l' impuissance de ceux -ci face à la mondialisation . Du coup , le bulletin de vote devient également l' ultime arme d' autodéfense face à un système qui les broie . L' absence ou la perte de répères provoque la délinquance chez les jeunes . Elle peut susciter des réflexes tout aussi nihilistes chez les citoyens adultes sur le plan politique . Elle engendre le même phénomène : la peur de ne pas être intégrés à la société pour les uns ou d' en être exclus pour les autres .