_: Une phrase de trop C' est un peu le lot des Premiers ministres . Surtout en période de surchauffe politique . Sollicités en de multiples occasions , ils ne cessent de s' exprimer . Parfois , ils feraient mieux de se taire . Lionel Jospin avait commis une erreur en assimilant l' esclavagisme à la droite . Ce raccourci historique ne relevait pas d' un dérapage , mais s' avérait plutôt le fruit d' une culture politique pour le moins manichéenne et partiale . Jean-Pierre Raffarin a prononcé lui aussi une phrase de trop en affirmant que ses adversaires politiques « préfèrent leur parti à leur patrie » . Le propos est d' autant plus déplacé qu' à deux reprises en un an les socialistes ont fait preuve d' abnégation au service de l' intérêt général . D' abord , lors du second tour de la présidentielle , ils ont appelé à voter pour Jacques Chirac face à Le Pen , et ils ont animé la mobilisation contre l' extrême-droite de laquelle les partis de droite et une grande frange de leur électorat se sont tenus à l' écart . « Notre culture n' est pas la manifestation » , avaient alors plaidé en guise d' excuse les responsables du RPR . Un peu court comme argumentaire lorsque la République est menacée ... Ensuite , dans la crise irakienne , les socialistes n' ont pas hésité à soutenir la position de Chirac , au risque de brouiller leur image d' opposants qu' ils ont bien du mal à bâtir . Raffarin n' a pas oublié ces deux temps forts politiques de l' histoire de notre pays puisqu' il les a rappelés hier à l' Assemblée . Mais alors qu' il ne cesse de vanter « l' esprit de mai 2002 » dans lequel il veut inscrire son action , il en a lui-même oublié les fondements dans sa charge contre l' opposition . Que le débat politique soit rude , voire polémique , passe encore . C' est une tradition française . Mais lorsque Raffarin déclare à longueur d' interventions ne pas vouloir opposer les Français les uns aux autres et placer l' intérêt général au-dessus de tout , il nage en pleine contradiction en lançant des anathèmes inappropriés en direction de l' opposition . En fait , la charge de Raffarin ne constitue pas un dérapage . Elle montre un changement de ton qui traduit le durcissement de la vie politique et sociale . Le Raffarin qui se présentait comme l' homme rond du consensus et du dialogue est en train de se muer en chef de file d' une droite dure . Son attaque envers les socialistes était destinée à rassurer son électorat qui lui demande de tenir bon sur les réformes et de ne pas céder à la rue . C' est aussi la raison pour laquelle il ne pouvait présenter ses excuses à l' opposition sous peine de donner l' impression de reculer . Or au moment où la confrontation sociale se tend , le Premier ministre tient à forger sa stature d' homme d' Etat en faisant preuve d' une autorité que lui réclame sa base électorale . Mais dans ces conditions , il devra abandonner ses références à l' esprit de mai 2002 . D' autant que la partition qu' il a choisi de jouer le fait flirter avec un discours dont les socialistes n' ont pas manqué de rappeler , à juste titre , qu' il renvoie aux années trente . « L' incident est clos » , a déclaré Raffarin au terme d' explications embarrassées . Certes . Le débat sur la réforme des retraites mérite mieux mieux qu' une polémique de bas étage . Mais à l' évidence il marque un tournant dans la législature .