_: La fragilité ivoirienne La Côte d' Ivoire connaît depuis huit jours des troubles graves - on parle de plusieurs centaines de morts- , mais les raisons de cette mutinerie demeurent encore obscures : tentative de déstabilisation du pays par ses voisins ou bien , plus probablement , lutte interne entre les clans qui se partagent le pouvoir ? La présence de nombreux Occidentaux , et notamment d' une très forte colonie française , a précipité l' intervention de nos soldats afin de « sécuriser » divers points du pays , mais aussi l' envoi aux frontières ivoiriennes de troupes américaines et britanniques qui se tiennent prêtes « au cas où » . Officiellement , ces dernières sont là pour protéger leurs propres ressortissants ; mais c' est surtout la première fois que les Etats-Unis interviennent de façon aussi visible dans un pays de l' Afrique francophone , comme s' il s' agissait de montrer aux yeux du continent que la France n' est plus maîtresse du jeu dans ce qui fut , pendant plus de quarante ans , son fameux « pré carré » . Il faut dire que , d' émeutes en coups d' Etat , d' élections biaisées en règlements de comptes , les cartes se sont brouillées dans cette Côte d' Ivoire qu' on avait cru longtemps à l' abri des soubresauts sanglants . Nous sommes loin , en effet , du temps où le pays était , un peu à l' image du Sénégal , célébré pour la relative « démocratisation » de son régime , en tout cas pour sa paix civile . On parlait alors du « miracle ivoirien » . Le très long règne de Félix Houphouët-Boigny qui , avec son « aura » de vieux sage , a maintenu jusqu'à sa mort ( en 1993 ) la Côte d' Ivoire sous une ferme autorité , laissait supposer que la succession se ferait en douceur , « à la sénégalaise » , d' autant plus que le régime s' était ouvert au multipartisme . Or , précisément - avec l' irruption soudaine de très nombreux partis politiques sur fond de rivalités ethniques et religieuses , entre le nord musulman et le sud chrétien - la succession n' a jamais été clairement assurée et chaque élection donnait l' occasion d' une foire d' empoigne , très souvent meurtrière , où l' ami d' hier n' était pas forcément celui du lendemain . La crise actuelle ne se résume pas à une mutinerie de circonstance et révèle la grande dépendance de l' Afrique aux aléas de l' économie planétaire . Les cours du café et surtout du cacao , les deux principales productions du pays , ont connu en dix ans de fortes fluctuations , qui ont sapé la « tranquillité » politique du pays : puisque les ressources du pays s' épuisaient , que les caisses se vidaient , les gouvernants successifs se sont réfugiés dans un discours simpliste qui faisait de « l' étranger » - immigré venu des pays voisins ou coopérant français à l' attitude souvent hautaine - la source de tous les maux . Résultat : devant trop d' incertitudes , le Fonds monétaire international et les investisseurs se sont écartés de l' économie ivoirienne , qui , pendant longtemps , fut la troisième de l' Afrique noire . On croyait toutefois que la Côte d' Ivoire se sortirait de ce cycle infernal , après l' élection de Laurent Gbagbo , la « réconciliation nationale » entamée l' an dernier et la reprise récente des cours du cacao . La nouvelle mutinerie de certains éléments de l' armée qui se sont transformés en véritables bandes - et dont on ignore toujours quels sont en sous-main les vrais commanditaires - vient , depuis une semaine , nous rappeler l' extrême fragilité d' un pays qui croyait en son « miracle » mais demeure toujours orphelin de son vieux fondateur .