_: TOULOUSE : THIERRY DESMAREST , LE PDG DE TOTALFINAELF , EXPLIQUE À « LA DÉPÊCHE DU MIDI » LES RAISONS DE LA FERMETURE DE L' USINE DE TOULOUSE « Pas de possibilité de redémarrage d' AZF » La décision est officielle depuis hier . AZF , c' est fini . L' explosion du 21 septembre a scellé définitivement le sort de cette entreprise toulousaine qui appartient à Grande Paroisse , filiale de TotalFinaElf . La décision de ne pas redémarrer le site toulousain a été communiquée , hier matin , au comité central d' entreprise . Thierry Desmaret , nous en explique les raisons . Le Pdg de TotalFinalElf nous a accordé un entretien , hier , dans son bureau parisien , à la Défense , le siège du groupe . AZF c' est donc fini ? Nous ne voyons pas de possibilité de redémarrer l' usine de Toulouse à un horizon raisonnable . Plutôt que de laisser les salariés dans l' incertitude , nous avons pensé qu' il valait mieux en prendre acte sans délai . Entre-temps , le fonds de commerce d' AZF disparaît et nous perdons des parts de marché . Les chances de pouvoir rouvrir une activité Seveso à Toulouse étaient extrêmement ténues . C' est le sens des orientations industrielles adoptées par le conseil d' administration de Grande Paroisse ( dont la réunion s' est tenue , hier , en début de matinée , NDLR ) . Nous avons également tenu compte de l' émotion créée par l' explosion et ses conséquences . Ce sentiment est encore renforcé par le fait que nous ne connaissons toujours pas l' origine de l' explosion . Après six mois d' enquête judiciaire , et une succession d' hypothèses contradictoires , il n' y a pas eu d' avancée majeure . De notre côté , notre commission d' enquête a aussi beaucoup travaillé . Elle s' est adjoint des experts externes à l' entreprise , mais ne nous a pas non plus fourni d' explication à ce stade . Tout cela nous a conduits à proposer un schéma de non redémarrage de l' usine de Toulouse et à engager une procédure d' information et de consultation du personnel en mettant en place toutes les mesures d' accompagnement social nécessaires et que nous voulons exemplaires . Par ailleurs , nous voulons conforter les autres sites industriels de Grande Paroisse : Rouen , Mazingarbe dans le Nord , et Grandpuits dans l' est de la région parisienne . Nous conserverons donc des activités importantes de fabrication d' engrais en France . Et nous ferons des investissements importants pour améliorer la sécurité de ces sites . Votre branche engrais comprend également les usines Soferti , notamment celles de Fenouillet et de Bordeaux dans le Grand Sud . Que vont- elles devenir ? Avec ces usines , nous ne sommes pas sur le même ordre de grandeur industrielle . Les quatre sites que j' évoquais précédemment ( dont celui de Toulouse ) emploient plusieurs centaines de personnes . Les unités de la Soferti sont en dessous d' une centaine de salariés . A Fenouillet , où nous employons 52 personnes , l' usine travaillait en imbrication très étroite avec AZF . Nous avons pu trouver des solutions de remplacement pour assurer son approvisionnement . Pour Bordeaux , nous avons dû faire face à une limitation d' activité mais une partie substantielle de la production se poursuit normalement . Nous souhaitons nous donner un peu plus de temps pour examiner les perspectives de ces sites . Ils ne nécessitent pas la même urgence de décision . Nous avons remis les études de danger . Il nous faut voir si on peut établir des conditions d' approvisionnement pérennes . Mais il nous faut aussi tenir compte de la sensibilité de la population et des élus de la région . Les problèmes sont assez différents entre Bordeaux où il existe un projet de construction de pont à proximité de l' usine et Fenouillet où l' émotion est très forte en raison de la proximité avec AZF . TotalFinaElf n' est -il pas tenté de recentrer ses activités sur son coeur de métier : le pétrole ? Il ne faut pas voir cela de manière manichéenne : le pétrole d' un côté , la chimie de l' autre . Nous avons aujourd'hui trois grandes branches : l' exploration et la production d' hydrocarbures , le raffinage et la distribution de produits pétroliers et une très grande branche chimique . Notre investissement , à l' heure actuelle , consiste à privilégier l' exploration et la production où nous avons des perspectives exceptionnelles . Nous sommes considérés comme le groupe pétrolier qui a le plus fort potentiel de développement au monde dans les cinq années à venir . Ce qui explique que nous y consacrons 70 % de notre budget d' investissement , qui s' élève à près de 10 milliards d' euros . Nous consacrons néanmoins aux autres branches un budget qui leur permet d' assurer leur avenir . Mais elles sont sur des métiers et des marchés où la croissance est relativement modeste . Notre raffinage-distribution de produits pétroliers et notre chimie sont à très forte dominante européenne . Or , en Europe , la demande est pratiquement constante . Nos investissements sont surtout tournés vers une croissance internationale , en particulier vers les pays neufs . Dans nos raffineries , nous sommes capables de produire des carburants répondant à des spécificités très strictes pour réduire la pollution d' origine automobile . Dans la chimie , nous avons une diversité de portefeuilles trop importante . Nous devrons céder certaines actvités et nous renforcer sur d' autres . Il y aura des acquisitions et des cessions mais nous ne réduirons pas substantiellement la taille de notre branche chimie . Quelles mesures d' accompagnement social allez -vous prendre pour les salariés d' AZF ? Nous avions 430 salariés en septembre . Nous avons offert la possibilité de départ en préretraite à 52 ans dans des conditions que nous avons voulues exemplaires . 175 personnes étaient éligibles ; 98 % d' entre elles ont souhaité en bénéficier . 40 % du personnel a ainsi trouvé une solution . Nous voulons proposer une solution à chaque salarié . Nous garderons un effectif d' à peu près 60 personnes pour le démontage et la dépollution du site . Nous ferons en sorte que ce soit des gens qui sont juste en dessous de l' âge de la préretraite pour qu' ils puissent en profiter à leur tour dans deux ou trois ans lorsque les travaux seront achevés sur le site . Nous conserverons à Toulouse le service informatique de Grande Paroisse , qui emploie une quinzaine de personnes . Pour les autres , nous offrirons des possibilités de mutations dans le sud de la France au sein du groupe comme nous l' avons déjà fait pour une trentaine de salariés . Il reste une centaine de postes à pourvoir dans nos usines pétrolières et chimiques du sud de la France . Et puis nous avons un certain nombre de reclassements dans l' agglomération toulousaine en particulier avec Sanofi dont nous sommes le premier actionnaire . Nous aurons des solutions pour l' ensemble des salariés d' AZF . Nous nous y sommes engagés . Je tiens encore une fois à rendre hommage à leur solidarité et leur professionnalisme . Qu' avez vous l' intention de faire du site ? Il faudra voir avec les collectivités locales . La décision ne sera pas indépendante de celle qui sera prise pour les installations industrielles à proximité . Ce qui est clair , c' est que Grande Paroisse ne laissera pas une friche industrielle . Nous verrons ensuite quels sont les souhaits de la mairie de Toulouse . Il est prématuré d' avancer des idées . Ce que je peux annoncer , c' est que nous prendrons des mesures d' accompagnement économique pour permettre de reconstituer un niveau d' emploi comparable à celui qu' induisait AZF . Nous aiderons à l' implantation de petites et moyennes entreprises . Nous avons signé ( hier soir , NDLR ) la convention Haute-Garonne initiative avec la chambre de commerce et d' industrie de Toulouse qui permettra d' accorder des prêts sans intérêt pour faciliter le financement de PME qui manquent toujours de fonds propres . Sur une durée de 4 à 5 ans , nous pensons que nous devons pouvoir créer un millier d' emplois , soit plus que ce que représentaient AZF et ses sous-traitants . Nous avons déjà commencé à travailler sur une deuxième action avec l' Institut national polytechnique de Toulouse et les milieux universitaires pour créer un institut européen de sécurité industrielle . Enfin , nous apporterons notre contribution à la cité des biotechnologies avec l' idée d' accompagner des start-up . La catastrophe de Toulouse a , une nouvelle fois , écorné l' image du groupe , d' autant qu' elle intervient après celles de La Mède et l' Erika . A chaque fois , c' est le manque de sécurité qui est mis en cause . Quelles mesures avez -vous prises ou allez -vous prendre pour renforcer la sécurité de vos installations ? Il faut resituer cela dans le temps . L' explosion de La Mède s' est produite il y a 10 ans . A la suite de cet accident , nous avons construit dans toutes les raffineries des salles de contrôle qui résistent aux explosions pour protéger le personnel et nous avons mis en place de nouvelles méthodes d' investigation pour détecter la corrosion . L' Erika est une catastrophe différente . Le bateau n' était pas dans l' état dans lequel il nous avait été certifié . Nous avons réagi en mettant en place des règles très strictes de sélection des bateaux ; les plus strictes de tous les grands pétroliers . Dans le cas d' AZF , nous ne connaissons pas encore l' origine de l' explosion . Il est donc difficile de prendre des mesures correctrices en dehors de certaines précautions comme de réduire les stocks . Nous devons d' abord reconstituer ce qui s' est passé pour pouvoir en tirer toutes les leçons . Nous devons aussi la vérité aux victimes . Sans attendre , nous avons refondu notre organisation en matière de sécurité . Nous avions des responsables sécurité et environnement dont nous avons dédoublé les fonctions pour créer des directions développement durable et environnement et des directions sécurité et industrielle . Nous allons lancer un programme d' investissements de 300 millions d' euros pour la sécurité dont la majorité sera consacrée à la chimie car c' est dans ce secteur que nous avons le plus d' efforts à faire . Nous avons une centaine de sites Seveso , seuil haut , en France . Ils sont plus anciens que nos sites pétroliers . Les sites chimiques ont souvent plus d' un siècle et ont été construits à une époque où l' agglomération était à une certaine distance . Elle les a absorbés ensuite avec les problèmes de cohabitation que cela pose . D' autre part la nature des risques dans l' industrie chimique est plus variée que dans l' industrie pétrolière . Ce programme s' étalera sur trois à cinq ans . Avec l' explosion de Toulouse , c' est le débat sur la proximité des industries à risque et des populations qui a été relancé . Une telle cohabitation paraît -elle encore possible à l' industriel que vous êtes ? Elle est possible , mais il faut que tout le monde prenne bien ses responsabilités . Il faut éviter que , lorsqu' on arrive à franchir une nouvelle étape en matière d' amélioration de la sécurité , la pression foncière qui s' exerce sur les élus consiste à dire : « la zone de danger va se réduire donc on va pouvoir urbaniser à proximité des usines » . Ce sont des comportements qu' il faut modifier . Il faudrait arriver à créer des ceintures vertes autour des sites industriels à risques . La majorité des élus toulousains sont aujourd'hui favorables à la reprise d' activité du pôle chimique à condition que le périmètre de danger soit circonscrit au périmètre des usines . Cette position vous paraît -elle réaliste ? Cela dépend beaucoup de ce que nous a légué l' Histoire . Dans le cas d' une construction neuve , cela peut se faire , mais il n' y en a pas beaucoup . Dans le cas d' usine héritée de l' Histoire , vous pouvez arriver à réduire les cercles de danger . Mais si on devait prendre cette approche au pied de la lettre sur l' ensemble des sites chimiques , vous en condamneriez un nombre très important . Maintenant , je reconnais que Toulouse , après le traumatisme subi , est un cas particulier et nous le traitons comme tel . Mais il faut aussi savoir ce que veut la collectivité nationale . Se priver de l' industrie chimique aurait des conséquences très lourdes pour l' économie du pays . Depuis plus de sept mois , les politiques ont fait entendre des voix divergentes . Certains ont désigné TotalFinaElf comme responsable de la catastrophe , quelques-uns réclament la fermeture pure et simple du pôle chimique , d' autres prônent une reprise sans phosgène et tentent de concilier les intérêts de la population et des industriels . Comment avez -vous vécu ces différentes positions ? La charge émotionnelle était énorme après cette catastrophe . Il était normal qu' il y ait des réactions extrêmement fortes . Si je prends du recul , je dirais qu' il y a un certain nombre d' hommes politiques qui ont un raisonnement assez simpliste qui consiste à dire que lorsque TotalFinaElf fait des profits pareils , le Groupe n' a qu' à payer . Cela ne mérite pas plus de commentaires de ma part . Lorsqu' ils ont pris la mesure des enjeux du débat , les élus des grands partis ont pris des positions plus nuancées . Il n' y a qu' une chose que nous avons très mal vécue avec les équipes d' AZF , et je suis pleinement solidaire avec elles , c' est lorsqu' on les a qualifiées d' incompétentes ou même pire . Nous avions fait tous les travaux de sécurité demandés par les équipes opérationnelles et les salariés veillaient très sérieusement à la sécurité de leur site . Dans l' attente des résultats définitifs de l' enquête officielle , votre enquête interne a -t-elle avancé ? Nous continuons à travailler sur trois pistes . La première concernait l' explosion dans une unité de fabrication à proximité du stockage qui aurait pu entraîner une projection sur le stock de nitrate et l' enflammer . Il semble très peu probable que ce soit l' origine de la grande explosion . Je parle de grande explosion car il y a une très forte probabilité pour qu' il y en ait eu deux . Nous avons recueilli plus d' une centaine de témoignages , en particulier des gens qui étaient sur le site et qui donnent à penser qu' il y aurait eu deux explosions séparées par une petite dizaine de secondes . La deuxième piste concernait le mélange de produits chimiques incompatibles . Nous avons testé tous les produits stockés sur le site . Il n' y en a qu' un qui entraîne un abaissement de la température d' inflammation des nitrates . C' est un produit chloré qui sert à la désinfection des piscines . Nous avons retrouvé la trace de tous les sacs contenant ces produits chez les clients . Nous ferons des expérimentations complémentaires pour éliminer totalement cette piste . La troisième est compliquée . Elle est liée aux perturbations électriques . Huit à dix secondes avant l' explosion principale , des désordres électriques ont été constatés . Nous avons envisagé qu' il y ait eu un phénomène d' arc électrique . Nous allons faire des expériences pour voir si cela peut provoquer l' explosion d' un tas de nitrates . Nous avons encore plusieurs mois de travaux et aujourd'hui nous ne sommes pas en mesure de donner une explication . Beaucoup de sinistrés estiment que c' était à TotalFinaElf de réparer le préjudice financier qu' ils ont subi d' autant qu' ils considèrent trop faible le montant des indemnisations versées par les assurances . Pourquoi votre groupe n' Dès le départ , nous avons dit que nous ferions face à notre responsabilité d' industriel . Tant qu' on ne connaît pas l' origine de la catastrophe , c' est le propriétaire de l' usine qui prend en charge la réparation des dommages avec ses assureurs . Les victimes seront complètement indemnisées . Nous avions une police d' assurance de responsabilité civile avec un plafond très élevé de 800 millions d' euros . Mais l' étendue des dégâts est telle que ce montant sera dépassé . Nous ferons une augmentation de capital de Grande Paroisse pour lui donner les moyens d' assumer les dédommagements au delà de ce qui sera pris en charge par les assurances . Je comprends que tout cela ait l' air lent pour les sinistrés . Mais c' est un sinistre pour lequel il y a 100.000 dossiers . Fin février , nous étions tout de même à 400 millions d' euros de paiement . Cela représente un quart de l' estimation de l' ensemble des dommages . Pour l' instant , ce sont les assureurs qui réalisent les versements . Dans l' été , nous atteindrons le plafond . A ce moment- là , Grande Paroisse prendra le relais . Les Toulousains vous ont trouvé peu présent dans la gestion des conséquences de la catastrophe . Avez -vous un message à leur délivrer ? Je suis venu trois fois à Toulouse dans les semaines qui ont suivi et j' étais présent dès le jour de la catastrophe . Je suis à la tête d' un très grand groupe . Ma responsabilité était de m' occuper de l' ensemble de son développement . J' ai suivi de très près l' ensemble des interventions du groupe pour essayer de trouver des solutions le plus rapidement possible pour les victimes . Ce que je voudrais leur dire , c' est que nous partageons leur peine et leurs difficultés . Nous continuerons à assumer pleinement nos engagements pour que tout le monde soit indemnisé . Nous continuerons à faire tout le travail nécessaire pour déterminer l' origine de la catastrophe . Les victimes ont droit à la vérité . Il est évident que la perspective de ne pas redémarrer l' usine tient compte des sentiments très forts et de l' émotion ressentie par toutes les victimes de l' explosion .