_: Le dernier crépuscule du simorgh Le simorgh est le mot persan pour dire le phénix , oiseau mythique qui , à la tombée de la nuit , s' installe dans son lit de myrrhe et d' encens , lance son cri avant de prendre feu , pour renaître de ces cendres . Dans le Langage des oiseaux ( Sindbad ) , Attar , l' apothicaire devenu grand maître soufi , rapporte la légende persane du simorgh . Il y est question d' un voyage périlleux que les oiseaux entreprennent pour aller à la recherche du simorgh , oiseau fabuleux qu' ils veulent prendre pour roi . Presque tous meurent en cours de route , seuls trente d' entre eux arrivent au bout . Lorsqu' ils se présentent devant le simorgh ( en persan le mot signifie également trente oiseaux ) , ils se voient en lui . Ils sont le simorgh , et le simorgh est trente oiseaux . Simorgh , est le titre du dernier livre de Mohammed Dib . L' écrivain algérien s' est éteint vendredi 2 mai , à l' âge de quatre-vingt-deux ans dans la région parisienne . " Mohammed Dib est un des plus constructifs , des plus profonds et des plus lucides parmi les écrivains algériens de langue française " , écrivait Jean Déjeux . Assurément , Mohammed Dib laisse une oeuvre impressionnante . Il chemine d' abord sur les sentiers ardus de la poésie à propos de laquelle il se reconnaît : " On se trouve face à un problème momentanément insoluble : l' exercice de la poésie mène vers un tel affinement , à une recherche tellement poussée dans l' expression , à une telle concentration dans l' image ou le mot qu' on aboutit à une impasse ( ... ) Il faut briser le mur d' une façon ou d' une autre . Et voilà pourquoi je fais les deux choses à la fois . Le roman n' est -il pas , d' ailleurs , une sorte de poème inexprimé ? La poésie n' est -elle pas le noyau central du roman ? Et les anciens n' avaient -ils pas raison de baptiser leur oeuvre en prose mon poème ? " Entretien de Jeanine Parot , paru dans les Lettres françaises , 2 mars 1961 in Mohammed Dib , écrivain algérien , Jean Déjeux , éd. Naaman , Canada 1977 . Dans sa jeunesse , Dib avait longtemps hésité entre la peinture et l' écriture . Il a par la suite arpenté toutes les faces de cette dernière : poésie , roman , théâtre , contes pour enfants , nouvelles . Né le 21 juillet 1920 dans une famille bourgeoise ruinée , à Tlemcen , dans l' Ouest algérien , il est marqué dans son enfance par la rencontre avec un instituteur français , militant communiste , qui fait naître en lui un désir de langue dans la littérature . Il est lui-même instituteur à l' âge de dix-huit ans . Il exerce par la suite plusieurs métiers : cheminot , comptable , " Regent's professor " à Los Angeles , enseignant à la Sorbonne en passant par le journalisme ( Alger républicain et Liberté , organe du Parti communiste , parti dans lequel il fera lui-même un bref passage en tant que militant en 1951 ) . Enfant , il pose déjà un regard aigu sur une société frappée durement par la malédiction coloniale . On retrouve ce regard dans ses premiers textes publiés . Il est , avec Mouloud Mammeri , Mouloud Feraoun , Kateb Yacine Yacine , Jean Sénac , Malek Haddad , de la première génération d' écrivains algériens de langue française , celle qui a daté la naissance du roman algérien dans les années cinquante . Il s' en distingue par la constance et le foisonnement de l' oeuvre . L' étoile filante , Kateb Yacine , a brûlé sa vie par les deux bouts , dans une fulgurance magnifique . Mohammed Dib , plus en retrait , plus tranquille - du moins en apparence - , a mis toute son obstination , son énergie à nous laisser une oeuvre d' écrivain majeur . Et il l' a fait . D' abord en créant dans une langue qui n' était pas la sienne , une langue apprise à l' école , sa propre langue d' écrivain , une langue solaire . La langue propre à l' écrivain , celle que son souffle taille , façonne et fourbit dans la langue générique dont il dispose , constitue l' acte de naissance de l' écrivain . Elle date l' instant où il vient au monde et qu' il crée son monde . Expulsé de son pays en 1959 par l' administration coloniale en raison de ses activités militantes , il a connu l' exil . Il n' y a pas développé un pathos , mais le goût du questionnement et de la remise en cause . Du voyage aussi . Dès ses premiers romans , il fait le choix d' être une voix pour les humbles , les pauvres , les opprimés . Il va dans le dur dès l' abord , au plus profond de la misère , dans le monde des exclus et des gueux pour magnifier l' humanité des hommes . Son ouvre tout entière , et entièrement , est marquée par la recherche permanente de l' humanité commune aux hommes , au-delà de ce qui peut les différencier . Il publie la Grande Maison en 1952 , premier titre d' une trilogie sur l' Algérie - qui sera suivi par l' Incendie en 1954 et le Métier à tisser en 1957 . Il est un écrivain dès son premier roman . Malraux , Camus , Louis Guilloux le soutiennent au moment de l' épreuve , quand il est banni de sa propre terre . En 1961 , Aragon qui l' avait défendu lors d' une polémique avec le Parti communiste algérien qui reprochait à Dib de ne pas mettre en valeur des héros positifs , rédige une préface à son recueil de poésies Ombre gardienne . Installé dans les Alpes d' abord , avec sa belle-famille - en 1951 , il avait épousé Colette Bellissant - , puis dans la région parisienne , à La Celle-Saint-Cloud , il écrit . Avec l' obstination d' un élève appliqué , il écrit . Il entreprend également de nombreux voyages . De ses périples en Finlande naîtra sa trilogie nordique ( les Terrasses d' Orsol , le Sommeil d' Ève , les Neiges de marbre ) publiée aux éditions Sindbad . Dib , toujours en quête de lumière , adapte sa petite musique à la luminosité particulière des pays nordiques , et avant tout celle qu' il décèle dans les êtres rencontrés . Puis un retour aux origines , annoncé avec le Désert sans détours . Les derniers titres de Mohammed Dib , publiés chez Albin Michel , marquent l' accomplissement d' une trajectoire , d' une vie algériennes . Ils tiennent du roman , de la nouvelle , du conte ou du récit de voyage . Dib y revient régulièrement à l' Algérie , y explore souvent des souvenirs d' enfance , célèbre la rencontre , et toujours , d' une écriture solaire , constamment à la recherche de la lumière dans les yeux , magnifie ce qui aura été l' âme palpitante de son oeuvre : l' humanité de l' homme .