_: Une des rares pièces de Rilke servie avec un talent discret mais manifeste Les deux versions successives de la Princesse blanche sont à éprouver de toute urgence . " Et dehors des pas se rapprochaient , passaient plus loin ; mais pour moi , c' était le coeur d' un autre qui battait là-dehors , que j' endurais dedans . " Pourquoi la Princesse blanche , de Rainer Maria Rilke - tissée des fils autobiographiques de sa relation à Lou Andréas-Salomé , qui fut la compagne de Nietzsche - n' irradie -t-elle pas plus souvent les planches ? Aussi se réjouit -on d' être là , au Quartz de Brest , où se dévoile le travail du metteur en scène Cédric Gourmelon . De ne rien perdre de l' éblouissante fluidité d' une écriture sondant les sinuosités de l' âme d' une femme qui , son époux absent , décide , un jour seulement , de s' offrir à un amour secret pour lequel , onze ans de mariage durant , elle s' est gardée pure . Le miroir que Rilke tend à sa princesse interroge son attente bientôt obnubilée , sur le fil de l' empathie et d' une stupeur étrange , qui jamais ne juge . Les rimes du poète sont limpides , on les croit surgies d' un songe . Mais , rêveuse , la princesse ne l' est pas ; sa dureté est de celles qu' affermissent des années de silencieuses frustrations . Les domestiques ont déserté le château . La princesse est seule avec sa jeune soeur , Lara , encore pétrie d' enfance , qui voit , sans trop saisir , le masque résigné de son aînée se muer en résolution : le signal de l' amant , son étreinte la hante au plus haut point . On apprécie que Cédric Gourmelon fasse entendre les deux versions du texte de Rilke . Celle de 1898 , plus courte , est dite par quatre comédiens assis serrés dans l' obscurité . Sur leur torse , des stries de lumière ambrée . Au sol , des néons en pointillés . Les mains forment des ovales alors que les vers forcent la nuit comme des flammèches . Instructive , cette ouverture faite au point de rencontre entre les mots de Rilke et ceux chargés de les porter . Les voix sont monocordes , un rien scolaire . Celle de la Princesse , jamais dans les aigus , est d' un métal rare : " Je l' ai appelé avec violence ( ... ) . J' ai déchiré , les dents tremblantes , mes oreillers virginaux . " Les néons blessent les yeux . La version définitive de la pièce ( 1904 ) , où , entre autres , est creusée la force du rapport sororal entre la princesse et Lara , va opérer , sur la scène que les comédiens dénudent à vue : l' un porte à l' épaule une barre de néon . L' autre déroule un sol immaculé que termine un cube . Sur des sons contondants , la comédienne Nathalie Elain se couvre d' une fluide robe blanche et rôde , furtive , dans l' air encore sombre pour faire l' inventaire des dernières présences . Le serviteur Amadeo annonce le départ du Prince et boit les mots de la Princesse sur le temps et la sagesse . Il va et vient , tient un masque hilare à la main . Le remettra parfois . La manière dont Cédric Gourmelon a écouté les dialogues de Rilke , sa direction d' acteurs n' est guère ostentatoire . Il y a là quelque chose de vulnérable , et les gorges se serrent . Avec une gestuelle du peu , parfois biblique , les acteurs traduisent la radicale séparation de leur personnage avec l' extérieur . La Princesse accole son visage - parfois , étrangement , celui de l' enfance giflée - à celui de sa soeur , laquelle souffle dans son cou . La précocité du désir de Lara au contact de la sensualité impatiente de sa soeur est d' ailleurs rendue ici de manière saisissante . Dans ce château clos et cette absence du maître , les paroles se hâtent d' interroger l' intime sève des choses . La poussière sur le visage du messager , ses yeux rougis , ses mots enfin , disent pourtant le chaos du monde . Au dehors . Le corps de Lara , si paisible , en aura des soubresauts dont on se souviendra . Mais l' heure est à l' attente . À rien d' autre . De plus en plus dense , il s' y élève un parfum vénéneux chassant même la réalité de son objet . Lundi 12 et mardi 13 mai 2003 , à 20 h 30 , salle de répétition du Quartz , Scène nationale de Brest ( réservation , tél. : 02 98 33 70 70 ) . Les 16 , 17 , 19 , 20 et 23 mai à l' Air libre , à Saint-Jacques-de-la-Lande ( réservation , tél. : 02 99 30 70 70 ) .