_: Contes , comtes et comptes Festival . La 59e Mostra de Venise s' est achevée ce week-end . Le rideau est tombé sur la Salla Grande , heure de heurts comme de liesse . Cette édition , construite en quatre mois , sera parvenue à rameuter l' essentiel de ce qui importe en cette rentrée cinématographique . De Stephen Frears à Takeshi Kitano , aucun des noms attendus n' aura finalement fait défaut . Une fois encore , la Mostra aura triomphé des querelles intestines qui la minent et qui laminent . Moritz de Hadeln , son patron temporaire , l' a remporté sur tous les prétendants nationaux , à commencer par le poulain , ou plutôt la pouliche , de Silvio Berlusconi , illustre comtesse qui n' est autre que la petite fille du comte Volpi , qui fonda la manifestation en 1932 pour remplir les palaces dont il était propriétaire . Cette dernière , assurée d' occuper la place , s' était empressée de déclarer publiquement qu' il fallait débarrasser la Mostra de tous les films d' auteur au profit des vedettes et de ce qui plaît au public ( à savoir : non le peuple mais le box office ) , déclaration aussi peu diplomatique que révélatrice des méthodes de Sua Emittenza - jeu de mot italien sur " son éminence " et sur le fait d' émettre , de diffuser , au sens télévisuel . Silvio Berlusconi , bon prince , s' est empressé de la nommer à la direction d' Italia Cinema , l' organisme d' État qui gère la production transalpine . Autant dire que rien n' est joué pour la session 2003 , d' autant plus que la favorite , Irene Bignardi , actuelle directrice du festival de Locarno , a le malheur d' avoir été critique pendant longtemps à La Repubblica , donc dans la presse d' opposition . Moritz de Hadeln qui , après avoir dirigé Nyon , Locarno puis Berlin pendant vingt-deux ans , se trouve donc soudain pour un an à la tête du plus vieux festival au monde , Quelle est , pour ce vieux briscard de la chose , la recette d' une manifestation réussie ? Plaire à tous les publics , donc couvrir tout le spectre de la création , depuis des films dont la présence n' est justifiée que par les stars qui y jouent jusqu'à ceux relevant de la recherche la plus exigeante . Le principe d' une double compétition , établi l' an dernier par Alberto Barbera , a été maintenu , ainsi que celui d' une gamme de sections parallèles . Nous ignorerons les subtilités byzantines qui font que tel ou tel titre se retrouve là où il est , pour ne parler que des films . De ce festival , la France est finalement revenue bredouille dans les deux compétitions , un cheval menant la course en tête valant en ce domaine mieux que tous les pelotons de haute qualité . C' est sans doute dommage pour une sélection qui alignait Claire Denis , Raymond Depardon , Michel Deville , Patrice Leconte et Tonie Marshall . Cela dit , on se gardera bien d' être polémique vis-à-vis des jurys , des distinctions majeures ayant été attribuées à des films projetés avant notre arrivée au Lido . Sergueï Bodrov , dont on espérait beaucoup , s' est pris les pieds dans le tapis avec son Baiser de l' ours , variation sans doute involontaire sur la Belle et la Bête , de Cocteau , sise dans un cirque qui parcourt l' Europe . Tian Zhuan Zhuang , qui nous avait ému du temps du Voleur de chevaux ou du Cerf-volant bleu , revient après dix ans de silence avec un remake du célèbre Printemps dans une petite ville , qui , au-delà d' une mise en scène à l' élégance discrète , n' ajoute rien à la version de 1949 . Même Takeshi Kitano , ici tellement défendu , ne convainc que partiellement dans l' effort de renouvellement représenté par Poupées . L' image est magnifique , les plans remarquablement composés , mais le récit quasi incompréhensible dans l' entrecroisement de trois histoires elles-mêmes mises en miroir par rapport à une représentation scénique de marionnettes dans la tradition du " bunraku " . Ken Park , de Larry Clark et Ed Lachman , a divisé la salle , il était fait pour . Les auteurs s' attachent à quatre ados et leurs familles vivant dans un bled californien , milieu de beaufs où un relatif confort matériel ne fait que mieux mettre en valeur la vacuité totale de ces vies . Drague pour les jeunes et putes pour les vieux , engueulades à domicile , frustrations en tous genres sont là le sort commun . Le portait pourrait séduire dans sa cruelle justesse et son naturalisme froid si le scénario ne prêtait à ces gens ordinaires des comportements qui en viennent à virer à l' exceptionnel , aussi blasé soit -on en matière d' outrance . Comparée à Larry Clark et Ed Lachman , Catherine Breillat tourne des bluettes . Un homme sans l' Occident , de Raymond Depardon , est un essai remarquable tiré du livre de Diego Brosset . La voix off du narrateur , le noir et blanc d' une image qui donne aux dunes du Sahara toute leur force , ce récit tout simple d' un homme qui , à l' orée du vingtième siècle , refuse la colonisation , bouleverse . Bien entendu , une demi-salle fout le camp . Des nomades qui marchent pieds nus dans le sable , ça manque par trop d' action , sans doute . L' action , c' est chez Clint Eastwood qu' on la trouve . L' histoire de Blood Work est celle d' un retraité du FBI qui va être amené à conduire une dernière enquête après une transplantation cardiaque , mettant ses jours en danger pour que le Bien triomphe encore une fois du Mal . De quoi se gausser , comme il se doit et comme certains n' ont pas manqué de le faire , faute d' avoir perçu que c' est aussi en palimpseste l' histoire de Clint Eastwood pour qui il est vital , à soixante-douze ans , de produire , réaliser et interpréter encore un film et que ce combat manichéen est aussi celui qui se joue entre le noir d' une salle de cinéma et la lumière de l' écran . N' y aurait -il eu que Blood Work ( hors compétition ) , le voyage au Lido de Venise en valait la peine . Passons sur les titres qui avaient difficilement leur place comme Julie Walking Home , d' Agnieszka Holland , effort méritoire mais vain pour nous intéresser au drame intime d' une famille comprenant un aïeul confit dans le catholicisme , sa fille et son amant juif infidèle et les enfants de ces derniers , jumeaux dont l' un se trouve soudain au seuil de la mort . Parlons plutôt de Dirty Pretty Things . Le nouveau film de Stephen Frears , qui renoue avec le meilleur de la veine sociale du cinéma britannique dans un film sis dans le West End ( quartier chic ) londonien mais ne laissant place à aucun citoyen de la Couronne , hors l' apparition occasionnelle de deux fonctionnaires de l' émigration chargés de s' occuper des autres . A savoir , pour citer les acteurs , tous admirables , de préférence à leurs rôles , Audrey Tautou , émigrée turque clandestine qui gagne sa vie comme femme de chambre dans l' hôtel qui sert de cadre à l' oeuvre , prête à sacrifier tout sauf , si possible , sa virginité pour émigrer aux États-Unis ; Chjwetel Ejiofor , son ami , soupirant qui n' ose se l' avouer , chauffeur de taxi le jour , veilleur de nuit dans l' hôtel ensuite , dont on va découvrir par étapes qu' il est un médecin nigérian ayant été amené à fuir son pays ; Sergi Lopez , responsable hispanique du personnel , créature cynique et machiavélique pour qui l' exploitation de l' homme par l' homme est à prendre au pied de la lettre ; Sophie Okonedo , prostituée au grand coeur qui a ses habitudes dans la maison ; Benedict Wong , employé chinois à la morgue qui fournit le docteur en produits pharmaceutiques de la main à la main . Soit , sous la rutilance factice de la livrée , la crasse et la grandeur de l' homme , le plus beau sujet qui puisse être , n' en déplaise aux adeptes des mutants , loups-garous , androïdes et consorts . Stephen Frears avait démontré avec My Beautiful Laundrette son acuité dans l' observation d' une entité ethnique . Il prouve ici que le melting pot ne lui est pas davantage étranger , l' unité de lieu tenant cette fois la place de l' unité clanique . Unité de lieu , unité d' origine et de pensée , voici justement ce qui réunit les personnages d' Un monde presque paisible , tiré par Michel Deville du livre de Robert Bober Quoi de neuf sur la guerre ? Nous sommes à Paris en 1946 , dans l' atelier de confection d' une famille juive à l' heure où la vie reprend ses droits . Le patron ( Simon Abkarian ) , son épouse ( Zabou Breitman ) et un des employés ( Denis Podalydès ) sont quelques-unes parmi la dizaine de figures pittoresques mais pudiques animant ce microcosme qui renoue avec le cinéma de l' époque , celui de René Clair et Julien Duvivier . A la fois contemporain ( couleur et stéréo ) et d' alors ( les teintes sont délavées et le son privilégie les haut-parleurs d' écran sur ceux d' ambiance ) , le film touche à cette grâce qui souvent anime les films de ce gentleman à l' ancienne qu' est Michel Deville , trop discret pour qu' on ait assez souligné sa valeur . Oasis ( prix de la mise en scène ) , de Lee Chang-dong , est au cinéma coréen ce que Bad Boy Bubby a pu être au cinéma australien : un pari sur l' extrême , celui qui va lier un ex-détenu retardé mental à une jeune fille handicapée motrice et cérébrale . Le réalisateur impose leur normalité contre une société " normale " qui les rejette , dans un film sans concession , donc difficilement supportable , anonyme au départ , poignant à l' arrivée , qui méritait d' être distingué . Ombres obscures , d' Adoor Gopalakrishnan , représente le meilleur du cinéma indien exigeant actuel , à l' heure où les comédies chantées et dansées reprennent du poil de la bête . L' histoire se concentre autour de la vie d' un bourreau et de sa famille , avec les avantages et les inconvénients liés à la profession , dans les années quarante , donc avant l' indépendance . Une mise en scène aussi sûre qu' effacée , un traitement tout en nuances emportent la conviction . Ce qui est également le cas avec Pasos de Baile , le premier essai de John Malkovich en metteur en scène , qui confirme la sûreté de vue d' un comédien qui a toujours su choisir ses rôles . Ce film d' ambiance plus que d' action au-delà des apparences revisite État de siège , de Costa-Gavras , dans une Amérique latine fantasmatique recréée d' une main ferme au travers de personnages dont le mystère se dévoile progressivement . Ce qui est inutile est gommé , dans une volonté d' épure qui impose qu' on y revienne le moment venu .