_: Cinéma . " Il faut accepter des moments qui ne servent à rien " Alain Guiraudie Pas de repos pour les braves est un ( premier ) film manifeste en faveur du droit à la paresse et au rêve . Pas de repos pour les braves , d' Alain Guiraudie , France , 1 h 48 . Remarqué pour ses courts métrages , Du soleil pour les gueux et Ce vieux rêve qui bouge ( grand prix Côté court et prix Jean-Vigo 2001 ) , Alain Guiraudie a vu son premier long métrage sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année ( voir l' Humanité du 21 mai dernier ) . Après de nombreuses avant-premières à l' automne , dont une à l' espace cinéma de la Fête de l' Humanité , Pas de repos pour les braves sort en salles aujourd'hui . Dans le paysage actuel du cinéma français , ce film fait figure de coup de pistolet dans le concert du formatage , porté par un univers onirique , un humour , un regard sur le monde des plus régalants par les temps qui courent , servi par de jeunes acteurs ( Thomas Blanchard et Thomas Suire , entre autres ) remarquables . " Vit et travaille au pays " , disions -nous alors pour ce natif de Gaillac , Tarn . " Rêve " aussi ... Vous aimiez passer du temps à ne rien faire , adolescent ? Alain Guiraudie . Je reste persuadé que lorsqu' on est jeune , adolescent et même plus tard , il faut " s' emmerder " . J' aime beaucoup m' ennuyer , glander , ne rien faire même si je ne suis pas convaincu foncièrement que cela nourrit l' imaginaire ( rire ) . L' homme n' est pas si bien fait que ça pour rentabiliser tous les aspects de sa vie . Aujourd'hui , cela va jusqu'aux loisirs qui devraient être " intelligents " , avoir un " but " - culturel ou de travail du corps . Des gens ont parlé de l' inutilité sociale , du " droit à la paresse " à " l' éloge de la paresse " . Que faisons -nous là ? à quoi servons -nous ? Ce sont aussi des questions typiquement adolescentes . Il faut accepter ces moments -là , ne servir à rien . Mais chez moi , à l' adolescence , cela allait de pair avec une certaine culpabilité , nourrie par l' entourage parental ( rire ) . Et puis ça m' a plus de les sublimer par le cinéma , de les élever à un autre niveau . Cela m' a déculpabilisé aussi ! Autre question fondamentale : d' où vous vient ce goût pour la couleur orange ? Alain Guiraudie . Alors ça ! C' est une histoire de goût , de rétine qui capte quelque chose et de synapses qui se connectent . J' ai envie de réaliser des films drôles et joyeux face à d' autres descriptions du monde moderne en termes glauques , froids et tristes . Au-delà de l' orange , j' ai un goût pour la lumière chaude . Autant la peinture du quotidien m' intéresse , autant je veux extirper sa beauté , l' élever au rang de mythe , par la lumière et la couleur , entre autres . " Hongkongue " , " Nouillorque " , sont des panneaux indicateurs plantés dans des carrefours au milieu de nulle part dans votre film . Est -ce bien sérieux ce goût prononcé pour l' invention de la langue ? Alain Guiraudie . C' est encore et toujours quelque chose de très ludique . Je fais du cinéma pour recomposer , un peu , le monde , pour me le réapproprier . Cela passe chez moi par renommer les choses . Inventer des noms de boisson comme le " Potemkine " me plaît ; de même pour les lieux ou les villes : le Sud-Ouest se reforme à l' échelle du monde . C' était déjà le cas dans Du soleil pour les gueux , une conception du territoire à la fois comme prison et grands espaces qui ouvrent sur le reste du monde , le confiné qui laisse entrevoir quelque chose de possible et d' autre . Le hors champ est très présent dans mes films et le hors champ ouvre sur l' infini . Et comme dirait Jacques Chancel : " Et la part du rêve dans tout cela " ? Alain Guiraudie . Le rêve , les fantasmes sont essentiels mais si on en reste à ce niveau en soi , cela peut devenir une sale manie . ( Rires . ) En revanche les mettre en rapport avec le réel , effectuer des allers-retours rêve-réalité , rêve-quotidien , rêve-idéal , travailler cette confrontation -là m' intéresse énormément Dans la construction de Pas de repos pour les braves , il y a un aspect qui me plaisait par ses relents de surréalisme : la réalité nourrit le rêve , le rêve éclaire la réalité d' une manière nouvelle , lui donne tout son sens en fait , la reconstruit . Quand j' étais plus jeune , j' ai passé des années à écrire mes rêves au réveil et je me demande dans quelle mesure cet exercice n' induit pas une vie onirique encore plus riche la nuit suivante . Il y a aussi le rêve au sens d' utopie , d' idéal , conçu comme moteur de la vie , de l' existence . Je vois mal comment on peut avancer toute une vie sans rêver , même si cela demeure des points de mire , même diffus et difficilement situables . Il existe encore un autre rapport , entre cinéma et rêve , dans une mécanique similaire aux deux . Le temps et l' espace acquièrent d' autres dimensions . Le processus de la forme cinématographique me semble très proche de celui du rêve : tu es à un endroit puis , brusquement , tu peux être ailleurs et à un autre moment . Cela d' autant plus qu' au cinéma , on recompose toujours la réalité , qu' on veuille lui rester fidèle ou pas . J' avais écrit , dans ma note d' intention de mon dossier d' aide à la production , quelque chose comme " le film imbrique des réalités oniriques et des rêves naturalistes " ( sourire ) . Vous êtes engagé depuis le début de l' été dans le combat contre la modification du régime d' assurance chômage du spectacle et du cinéma . Comment le vit -on , lorsqu' on en est à son premier long métrage ? Alain Guiraudie . Je ne sais même plus si faire du cinéma pour moi aujourd'hui a à voir avec le rêve . Je viens de réaliser mon premier long métrage et je prends conscience qu' il y a de fortes chances pour que ça ne m' intéresse pas toute la vie de " faire du cinéma " . Aurais -je toujours des histoires à raconter , des choses qui me tiennent à coeur , l' envie de travailler avec des comédiens , des techniciens , dans des lieux précis ? Je ne sais pas . Je pensais , lorsque je faisais mes courts métrages , que le rapport au métier , aux films irait en se simplifiant . Je constate au contraire que cela devient de plus en plus compliqué , sans même parler du lien à l' argent , le montage par exemple devient plus compliqué . Pour moi en tout cas . Si on se place dans le contexte économique et social , personnellement je suis face à un grand point d' interrogation . La diversité et le renouvellement même de notre cinéma sont en jeu . La modification de notre régime d' assurance chômage ajoute à un paysage marqué par un moindre engagement de Canal Plus en faveur d' un certain cinéma et d' un service public de l' audiovisuel qui ne s' en occupe plus du tout , préférant les " grosses machines " . Ce que je sens poindre à l' horizon , c' est de demander à des gens comme moi ou d' autres de rentrer dans une logique de star-system , dans laquelle le financement est inféodé à une distribution d' acteurs comprenant des " têtes d' affiches " imposées et à un scénario calibré , donc qui aboutit à un formatage tout bête . Si le cinéma devient ça , cela ne m' intéressera donc plus .