_: Théâtre . Dans le cadre de l' Année de l' Algérie , El Lithem ( le Voile ) , d' Abdelkader Alloula , se joue au Théâtre national d' Alger ( TNA ) . Événement . Les jeunes lions d' Oran restent indomptablesLes jeunes acteurs de la troupe El Ajouad , basée à Oran , présentent El Lithem au TNA et cassent la baraque . " Alloula , le lion d' Oran . " Ces quelques mots écrits sur le fronton du TNA - le Théâtre national d' Alger - effacent d' un seul trait les images de cette ville que l' on a connue meurtrie , en proie à la terreur . Ce 15 janvier 2003 , El Lithem , le Voile , se joue non pas à guichets fermés , mais devant une salle attentive . Les jeunes acteurs de la compagnie ont tous l' estomac noué . Deux jours avant , les tensions sont à leur comble et tous , les uns après les autres , éclatent en larmes lors des derniers filages . Cela fait plus d' un an qu' ils répètent et , ces derniers temps , quinze heures par jour . Ils ont tout plaqué , leurs études , leurs habitudes , vivant d' expédients pour se consacrer entièrement au théâtre . Dans un pays qui se reconstruit doucement , où les portes des théâtres sont restées fermées des années durant , leur engagement dépasse de loin le cadre de la seule aventure théâtrale . Elle symbolise cette Algérie qui a résisté au rouleau compresseur de l' intégrisme et de l' obscurantisme . Ce soir , ils ne sont pas les seuls à avoir l' estomac noué . Raja Alloula , la veuve du dramaturge assassiné le 10 mars 1994 alors qu' il se rendait au théâtre d' Oran et qu' il travaillait sur une mise en scène de Tartuffe , mais aussi Djahida , journaliste et réalisatrice d' un documentaire sur Alloula , et Aziz , jazzman qui a su trouver les mots justes en coulisse pour les acteurs , tous sans exception sont sous pression . L' explosion de joie et les bravos qui fusent à la fin de la représentation balaient toutes ces appréhensions . La salle , conquise , est debout . L' émotion est à son comble . En coulisse , on s' embrasse , on essuie quelques larmes de joie . Ces mômes ont vingt ans et viennent de nous donner une belle leçon de vie . Paris , printemps 2001 . Je croise pour la première fois Raja Alloula , au Forum culturel du Blanc-Mesnil . Ce bout de femme toute menue fait preuve d' une énergie et d' un courage impressionnants . Restée à Oran après l' assassinat de son mari , elle n' a jamais cessé de poursuivre le travail du dramaturge . Elle se bat , avec trois bouts de ficelle et une volonté sans faille , pour préserver l' oeuvre du dramaturge , crée la Fondation Alloula et s' acharne à regrouper tous les documents , textes , photos , notes , films ... qui peuvent exister et qui se sont éparpillés , pour ne pas dire volatilisés par monts et par vaux . Contre vents et marées , elle résiste aux menaces des intégristes et à la passivité - voire à l' indifférence - des autorités algériennes . " Pour ne pas laisser tuer Alloula symboliquement une deuxième fois " , dit -elle dans un soupir . Au forum , elle rencontre Marina Da Silva et Xavier Crocci , son directeur . Auprès d' eux , elle va trouver un soutien indéfectible pour mener à bien ce rêve qu' elle caresse depuis des années de remonter le théâtre d' Alloula en Algérie . Invitée à Grenoble en juillet 2001 au Festival de théâtre européen , elle s' y rend avec les jeunes acteurs de la compagnie . Dès lors , l' idée prend corps . Au printemps 2002 , le projet se dessine et participe de l' Année de l' Algérie en France . Marina Da Silva séjourne à Oran dans le cadre d' un stage avec les jeunes acteurs . En août 2002 , c' est au tour d' Arnaud Meunier , metteur en scène . Si , au départ , les relations sont un peu tendues , quelques semaines de répétition avec ces mômes tisseront des liens de confiance et d' amitié entre eux tous . Meunier vient apporter et partager son savoir , en aucune manière il ne se pose en " donneur de leçons " . En décembre 2002 , Kheïreddine Lardjam vient quelques jours à Amiens auprès d' Arnaud Meunier pour travailler sur la mise en scène . Kheïreddine a appris le théâtre sur le tas . Comme le reste de la troupe , dont la moyenne d' âge ne dépasse pas vingt ans . Nabila , Djamila , Rihab , Amira , Jamil , Fethi , Abdelkader , Azzedine , Habbib avaient une dizaine d' années au moment de l' assassinat d' Alloula . Ils ont grandi dans un pays où les théâtres avaient fermé leurs portes , et pourtant ... Leur soif d' apprendre comme de jouer est grande . Ils répètent dans des conditions indignes , au centre culturel d' Oran , dans une salle où les vitres , explosées , n' ont jamais été réparées , où les toilettes dégagent une odeur nauséabonde . Qu' importe ! Ils tiennent bon . Ils ne sont pas payés , rencontrent plus de difficultés qu' autre chose , se heurtent à l' indifférence , polie dans le meilleur des cas , de l' administration algérienne : cela n' entame en rien leur folle énergie et leur désir de théâtre . L' aventure est lancée , plus rien ni personne ne pourra les arrêter . Alger , 15 janvier . Dans un joli appartement sis dans une cité de la ville , nous nous retrouvons , à quelques heures de la représentation , pour visionner un documentaire réalisé en 1994 par Djahida Boudjelal quelques semaines après l' assassinat d' Alloula . Réalisé à partir d' archives de la télévision algérienne , ce documentaire est - à ce jour encore - interdit d' antenne . Raja Alloula est présente . Premier plan , un rideau s' ouvre sur une scène vide . Une voix off indique que nous sommes en mai 1989 , pour la première du Voile au TNA . Zoom sur une salle comble , où les gens rient et tapent dans les mains . Retour dans les rues d' Oran . Alloula déploie son immense carcasse , déambule dans les artères de sa ville natale . Dans les rues , on le salue , on l' interpelle , on échange quelques mots avec lui . Il répond à chacun , avec un sourire dont il ne se départit jamais . Il arrive face au TRO , le Théâtre régional d' Oran . Sur ces images , bien plus qu' émouvantes , on le découvre en répétition , acteur et metteur en scène , conférencier , écrivant sans cesse sur des bouts de papier . Voulant rompre avec le modèle aristotélicien de la représentation , il défend " un théâtre d' action , un théâtre qui libère l' imaginaire et les capacités créatrices du spectateur " . Il s' inspire du halqa , cette forme ancienne où le théâtre se joue dans la rue , au marché le plus souvent . Le public forme une ronde autour des acteurs , qui se lancent alors dans une interprétation qui tient compte des apostrophes et des incantations des spectateurs . Un jeu fondé sur l' oralité , une joute verbale qui crée une dynamique irréversible . On est fasciné par ces images , la force qui se dégage de ce poète et dramaturge . Un reconnaît à maintes reprises Sirat Boumédiene , dit Didem , un acteur époustouflant qui fait hurler de rire le public . On le voit dans les Généreux , dans d' autres pièces d' Alloula déployer un jeu extraordinaire . Suivent les images de l' enterrement d' Alloula . Images d' autant plus terribles qu' elles ont marqué à jamais ce pays où le théâtre était le lieu de tous les possibles . D' autres noms , d' autres visages apparaissent , tous des intellectuels , des journalistes , des artistes assassinés les uns après les autres , chaque lundi , dans un rituel abominable . Alger , même jour , conférence de presse de la troupe . La presse algérienne a été conviée à cette présentation . Les jeunes de la troupe sont là , ainsi que Raja Alloula . Mohamed Ziani , directeur du TNA , est présent lui aussi . " La majorité de la troupe n' a pas l' âge d' avoir connu Alloula . Mais , dans notre enfance , nous avons toujours entendu parler de El Lithem , qui a été monté plus de cinq cents fois à Oran , raconte kheïreddine . Chacun de nous a été séduit par la pièce , chacun en a sa propre lecture . Nous avons travaillé sur ce théâtre de la parole avec notre propre sensibilité , en accélérant le phrasé , la posture de chacun d' entre nous sur le plateau . " Il ajoute : " Le théâtre nous a appris des choses de la vie . Le théâtre , c' est une passion , on donne sa vie ou on ne la donne pas . " Ceux -là ont visiblement décidé de donner leur vie au théâtre . Mohamed Ziani écoute ces jeunes . Prend alors la parole . " L' Année de l' Algérie peut montrer que la relève dans le théâtre algérien existe . L' aventure menée par ces jeunes est l' occasion rêvée de prouver qu' il existe une vraie dynamique et de dépoussiérer nos institutions . Il faut changer le comportement des professionnels dans ce pays , qui ne s' expriment plus dans le travail et la curiosité mais dans la planque et la fiche de paie . De telles attitudes ne peuvent conduire qu' à l' appauvrissement de notre théâtre . L' expérience de ces jeunes d' Oran , mais aussi celles menées à Mostaganem , ou encore à Tizi , même si elles contiennent des maladresses , représentent un pari pour l' avenir . " " Je vous parle des enfants qui ont été calomniés / De mes soeurs qui ont été violées / On est comme des oiseaux en cage ... / Va dire à ta mère / Va dire à ton père ... / Ce ne sont pas des paroles en l' air ... / On est où là ? " Jamil a troqué ses habits de Hô Chi Minh dans la pièce pour celui de chanteur . Dans un restaurant d' Alger , la petite troupe au complet savoure le succès de la première . Tous reprennent en choeur les paroles de Jamil , qui dans la tradition des griots et des " protests singers " compose et écrit des petites ballades bien troussées , drôles et irrévérencieuses . On chantera presque toute la nuit . Des chansons de Khaled , de Hasni , de Cabrel , un vieux blues du Sud marocain de derrière les fagots ... El Lithem est plus qu' une réussite . Il est un événement qui marquera la vie artistique algérienne . Il s' est passé quelque chose de beau ce soir -là à Alger . De jeunes acteurs ont déployé une énergie revigorante , ont fait preuve de talent dans le jeu et l' interprétation étonnant . L' histoire de Barhoum le Timide , fils de Ayoub le Sec , ne connaît pas de frontières . Universelle , elle nous en apprend beaucoup sur les hommes , leur lâcheté , leur feinte , mais aussi leur résistance et l' incroyable ressort de vie que chacun porte en soi . Ils en ont présenté une version d' une fraîcheur rare . On quitte le TNA direction la Librairie du Tiers-Monde , dont les rayons offrent des sommes de lectures inespérées . On passe devant la Cinémathèque d' Alger , qui n' a jamais fermé ses portes . Dans les rues , des jeunes filles en cheveux se promènent , font du lèche-vitrines . De jeunes couples d' amoureux se tiennent par la main . La vie semble reprendre ses droits à Alger ... El Lithem se joue au TNA le 20 janvier à 15 heures , les 22 , 23 et 24 janvier à 19 heures . Renseignements : 00 213 ( 0 ) 21 71 67 61 . Représentations en France : le 7 mars à Épinay ; les 14 et 15 mars à Champigny-sur-Marne ; les 20 , 21 et 22 mars au Centre dramatique de Montpellier ; les 27 , 28 et 29 mars au Forum culturel de Blanc-Mesnil ; les 4 et 5 avril à la Scène nationale du Creusot ; les 11 et 12 avril au théâtre de La Presle ; les 24 , 25 , 26 et 27 avril au centre culturel de Villeneuve-la-Garenne ; le 27 mai à l' espace 600 de Grenoble ; le 13 juin à Tremblay-en-France . La plupart des écrits d' Abdelkader Alloula sont publiés chez Actes Sud-Papier , dans une très belle traduction de Messaoud Benyoucef .