_: ALSACE . Strasbourg , la culture encadrée De la Laiterie au festival Babel , comment une municipalité de droite démantèle les associations culturelles en marge . Fabienne Keller et Robert Grossmann règlent leurs comptes avec la culture estampillée Catherine Trautmann et Roland Ries . La droite , même anti-Le Pen reste la droite . A Strasbourg , elle coiffe désormais la plupart des activités culturelles . " En Alsace , les habitants de villages qui n' ont jamais vu un immigré ont voté massivement pour Le Pen . C' est bien dans l' imaginaire que ça se passe et la culture a un rôle prédominant . Il ne suffit pas de dire à ces gens venez au spectacle , je vais vous balancer la leçon ... " Jean Hurstel , directeur de la Laiterie , Centre européen de la jeune création est comme tous les démocrates alsaciens abasourdi par la présence d' un néo fasciste au second tour de l' élection présidentielle . A un point tel que le conflit qui l' a opposé durant trois mois à la municipalité de droite de Strasbourg semble passer au second plan . La culture , absente des grands débats nationaux de la campagne électorale a pourtant occupé un rôle de premier plan dans la ville . Ce n' est pas un hasard , dans un département et une région qui ont offert à l' extrême droite ses plus forts pourcentages de voix en France . Jean Hurstel a été simplement débarqué de la direction de la Laiterie , tout comme Roger Siffer , le bouillonnant cabaretiste , directeur de " La Choucrouterie " et fondateur du festival Babel contraint d' abandonner le festival , faute de subventions municipales . Roger Siffer caricature dans son cabaret de la rue Saint-Louis : " Quelle est la ville qui a supprimé un festival juif , un théâtre d' avant-garde , une rencontre ethnique , le Conseil consultatif des étrangers et la Gay Pride ? La question est difficile mais ce n' est pas Orange , ni Vitrolles ... " L' élection de Fabienne Keller en mars 2001 et la reprise en main des questions culturelles par l' adjoint au maire Robert Grossmann a fait des vagues dans une ville qui consacre un quart de son budget à la culture . Roger Siffer parle d' une " déconstruction " , Jean Hurstel de la poursuite d' une politique culturelle assez élitiste qui n' a jamais vraiment changé à Strasbourg , même avec Catherine Trautmann . La municipalité s' est d' abord penchée sur le cas du festival Babel en faisant voter en décembre un budget réduit de moitié . La polémique prend corps dès le mois de janvier . Roger Siffer dénonce une philosophie consistant à supprimer une culture régionale contrairement aux Bretons et aux Occitans . Dans une région qui vote depuis 1995 à 25 % pour Le Pen - " le quart de blanc " - Siffer l' attribuait à une perte d' identité régionale : " La peur de l' étranger n' existe que quand tu ne le connais pas . Ton voisin c' est ton miroir . Babel justement favorisait les rencontres entre toutes les cultures . " Robert Grossmann réagit vivement , met en cause la viabilité du festival , la faible mobilisation des Strasbourgeois et un concept flou : " Nous étions favorables à un festival qui mobiliserait les Strasbourgeois , qui impliquerait un maximum d' acteurs de la vie culturelle autour d' un concept clair " , déclare -t-il le 25 janvier . Trois mois plus tard , Robert Grossmann qui nous reçoit dans son bureau de la place de l' Etoile confirme la décision prise et accepte la notion de " remise en cause " : " A la commission culturelle au Conseil régional que je présidais , nous avons toujours aidé Roger Siffer à " La Choucrouterie " . Mais Roger Siffer Siffer a voulu lancer quelque chose de plus ambitieux , avec le soutien de l' ancien maire Roland Ries qui a voulu se tailler un champ culturel bien à lui fondé sur la culture régionale . Babel n' a jamais été rattaché au service culture de la ville mais au service communication ! Le festival avait 4 , 5 millions de francs de subventions pour deux jours . Je considère que faire venir Moustaki , Eicher ou Muvrini ne devrait pas bénéficier de subventions publiques . Je pense qu' il n' y avait pas de concept artistique . " Le maire adjoint reconnaît cependant qu' au début Babel avait une création fine et intelligente . Roger Siffer rétorque : " Si quelque chose avait bien un concept clair , c' est bien Babel . " La reprise en main est évidente . Robert Grossmann affirme que " la culture est un élément moteur de notre politique de la ville . Nous avons une grande ambition , que la culture qui est d' abord le partage soit impliquée dans un plus grand nombre de quartiers et rayonne dans la ville . Nous voulons tirer le public vers le haut . " Pourquoi alors prendre pour cibles les deux associations les plus dynamiques , Babel et " La Laiterie " qui justement , occupent ce terrain de la culture dans la ville ? Pourquoi confisquer deux salles de théâtre , " Les Lisières " et le " Hall des Chars " , au Centre européen de la jeune création , le privant ainsi de lieux essentiels à son existence ? Le conflit entre Jean Hurstel , animateur chevronné de la culture dans les milieux ouvriers - le bassin houiller lorrain , Montbéliard et enfin le quartier de la Laiterie à Strasbourg - et Robert Grossmann a pris une tournure brutale . L' organisation en février d' un Salon des refusés où Hurstel invite les acteurs culturels en conflit avec leurs municipalités scandalise la municipalité . La présence de Gérard Paquet , la figure historique de Chateauvallon est perçue comme une gifle par Robert Grossmann : " Effectivement , je n' ai pas été heureux de l' amalgame . J' ai été injustement assimilé à des gens avec lesquels je suis foncièrement éloigné . " La bataille laisse des traces . Le 21 mars Robert Grossmann parle d' " insulte à notre honneur " et dans la foulée annonce que la convention de mise à disposition du Hall des Chars au CEJC prendra fin le 30 juillet . Six jours plus tard , une soirée débat organisée au CEJC dégénère au point que la collaboratrice chargée de la culture au cabinet de Fabienne Keller , Corinne Ibram crache sur un conseiller général socialiste , Jean-Jacques Gsell . Corinne Ibram présentera ses excuses les plus plates ainsi que Robert Grossmann . Vaincu , Jean Hurstel ( qui obtient un sursis d' un an ) accepte finalement la proposition , tardive , d' une animation culturelle au quartier du Neuhof dans le cadre d' un grand projet de ville . La Laiterie sera à la disposition de la mairie qui souhaite en faire un des lieux privilégiés du pôle du spectacle vivant , offrant aux nombreuses petites compagnies locales des salles qu' elles ont le plus grand mal à trouver . La municipalité obtient ainsi la mainmise quasi totale de l' activité théâtrale strasbourgeoise . Bien joué . Vaincu , Roger Siffer abandonne le festival Babel , faute de moyens . Vaincus , les promoteurs du Centre européen des cultures yiddish initié par Catherine Trautmann , laissent tomber un projet exceptionnel , mais trop coûteux . Il n' y aura pas non plus de Nuit de strass l' été à Strasbourg comme il n' y a pas eu de Gay Pride . Le plus étrange dans ces affaires , c' est le fatalisme des principaux acteurs culturels qui après s' être rebellés et parfois violemment concentrent leurs futures activités sur d' autres terrains . Robert Grossmann a beau jeu de dénoncer le conservatisme de certains milieux culturels devenus un " establishement assez bourgeois " qui ne se remet pas en cause : " Hurstel est une institution . " Mais les grandes institutions , les vraies ( l' Opéra , l' orchestre philharmonique , le TNS , l' École des arts décoratifs , le Centre d' art contemporain ) , qui concentrent la plus grande partie du budget pour le plus grand plaisir d' une infime minorité de Strasbourgeois ( 7 % d' entre eux les fréquentent ) bénéficient de moyens accrus . Fabienne Keller ( UDF ) et Robert Grossmann ( RPR ) bouleversent le paysage culturel en prenant possession de territoires libres . La culture à Strasbourg est désormais encadrée .