_: De l' utilité des hommes libres ( Quand un syndicaliste est contraint à se taire , ce n' est pas seulement un déni de démocratie , c' est un manque pour la démocratie . ) La libération de José Bové , samedi , vient le confirmer avec éclat : la place d' un syndicaliste n' est pas en prison . Ou bien , dit autrement , où donc José Bové est -il le plus utile ? Dans une cellule de quelques mètres carrés à tourner en rond ? Ou dans la société , en posant , avec la force qui est la sienne , et celle de ses amis , tous ses amis , des questions fondamentales de notre temps et de notre devenir . Les problèmes soulevés par le leader de la Confédération paysanne touchent bien aux enjeux de la mondialisation , aux rapports Nord-Sud , au développement des agricultures , à la faim dans le monde , à la maîtrise des peuples face à la puissance des multinationales , notamment celles de l' agroalimentaire , mais pas seulement . José Bové , il l' a annoncé dès samedi , veut aller à Cancun pour le prochain sommet de l' Organisation mondiale du commerce . Cette OMC qui , en plus d' imposer ses règles inéquitables aux peuples les plus pauvres , entend faire passer aussi sous l' empire de la marchandise la santé , l' école , la culture . Ce serait un gag , dont on pourrait sourire si cette libération n' avait été à ce prix , de voir ainsi la moustache la plus célèbre de France assujettie à un chantier extérieur , une sorte de travail " d' intérêt général " . Un syndicaliste astreint à un travail d' intérêt général ! Cherchez l' erreur . Quel aveu d' étroitesse , non pas , bien entendu , du juge qui a pris fort pertinemment cette décision , mais de la démocratie , dans une des premières démocraties du monde . Il y aurait d' un côté le syndicalisme , de l' autre l' intérêt général . Mais qui est du côté de l' intérêt général ? Jean-Marie Messier quand il se vote lui-même ses indemnités pharaoniques pour avoir emmené Vivendi vers un précipice financier ? Les " maîtres du monde " qui se réunissent en sommets entre hélicoptères , chiens , matraques et grenades lacrymogènes , quand ce n' est pas , comme à Gênes , au prix d' un assassinat ? Ceux qui délocalisent froidement pour , après avoir exploité les salariés français , surexploiter ailleurs des travailleurs asiatiques , latino-américains , indiens , en laissant derrière eux le désespoir et des villes saignées , créant de nouveaux esclavages d' autant plus féroces qu' ils se couvrent des prétextes de l' utilité ? Qui sert l' intérêt général ? Les adorateurs de la marchandise et de la finance où les femmes et les hommes libres qui veulent un autre monde ? Ceux qui essaient de faire quelque chose de leur vie ou ceux qui craignent comme la mort la chute de leurs actions ? On pourrait aussi sourire des mots du Figaro , à l' annonce de cette libération , tant ils suent le dépit et l' aigreur . Bové , " cet écologiste d' opérette " , Bové qui s' est comporté " comme un délinquant " . Mais quelle conception misérable ! Écologiste d' opérette , quand José Bové , que l' on partage ou non toutes ses conceptions , se bat pour que n' importe quel agriculteur , de Corrèze , du Larzac ou de Bretagne soit autant concerné par le devenir notre monde qu' un paysan - ou un mineur - du Cap , du Chili , du Canada . Délinquant ! Que de délinquants dans l' histoire dont les noms sont ceux d' insurgés ! L' indignation du Figaro est au diapason de la pensée sans grandeur de cette droite qui ne conçoit la démocratie que lorsque ses contradicteurs sont d' accord avec elle . Depuis des mois , les poursuites envers des centaines de syndicalistes se sont multipliées , le gouvernement a frappé les grévistes au porte-monnaie et fait passer en force ses lois de régression sociale , avouant ainsi sa faiblesse , sa crainte de la liberté . Quand un syndicaliste est contraint à se taire , ce n' est pas seulement un déni de démocratie , c' est un manque pour la démocratie . " À l' homme , écrivait Spinoza , rien de plus utile que l' homme . " Libre , cela va de soi .