_: Le muet et la rue ( Jean-Pierre Raffarin aurait tort de mésestimer la détermination des salariés qui demain feront grève . C' est leur vie qui est en jeu . ) Mais où est donc passé le MEDEF ? Ernest-Antoine Seillière serait -il fâché , bouderait -il dans son coin ? Comment expliquer cette subite retraite médiatique ? Il n' y a pas si longtemps , le patron des patrons ne manquait pas une occasion d' occuper le devant de la scène sociale , fustigeant la moindre revendication , menaçant à tout va de boycotter la gestion des organismes sociaux , criant au loup à la moindre grève , et le voilà qui enfile sans rechigner le rôle de muet du sérail . Quelle est donc la clé de cette énigme ? On la devine en vérité aisément . Cette discrétion lui a été suggérée en haut lieu . Toutes les enquêtes d' opinion confirment que les Français ne font aucune confiance au patronat sur le dossier des retraites . Jean-Pierre Raffarin , qui le sait et craint la réaction des salariés à son projet , n' a pas manqué de conseiller à l' organisation de la rue Pierre- 1 er-de-Serbie cette nouvelle devise : " Sois toi-même et tais -toi . " Le patronat , il est vrai , n' a pas à s' inquiéter de cette répartition des rôles . Dans son projet de loi sur les retraites , le gouvernement ne fait preuve d' aucune imagination . Sa réforme est la copie conforme des propositions patronales , toutes organisées autour d' une option : l' allongement de la durée de cotisation des salariés . Ce choix des patrons français n' est d' ailleurs pas une innovation du cru : c' est l' exacte recommandation adoptée par les chefs d' État et de gouvernement européens au sommet de Barcelone début 2002 , qui préconisait le recul de cinq ans en moyenne de l' âge de cessation d' activité . Tous ces choix n' en font donc qu' un , comme si le même raisonnement était partout imposé , afin d' éluder tout débat alternatif . La question centrale , systématiquement évacuée , est en effet la suivante . La situation des régimes de retraites se modifie du fait de l' allongement de l' espérance de vie ( donc de la durée des retraites ) , de l' allongement des études ( donc de la réduction des années de cotisation ) , et de la multiplication des périodes de chômage et de précarité . Cette dernière donnée dégrade d' ailleurs tout autant le volume des cotisations versées par les actifs pour financer la retraite de leurs aînés , que les profils de carrière sur lesquels sera calculée la pension des futurs retraités . Mais de ces évolutions , quelles conclusions faut -il tirer ? Que tout cela doit se traduire par une augmentation des années passées au travail ou par une baisse sensible du " taux de remplacement " , avec pour les plus petits salaires le retour assuré à des retraites de misère ? Ou plutôt que la société doit se donner les moyens collectifs de financer des retraites plus longues , en orientant une plus grande part des richesses produites vers ce financement ? Le gouvernement veut imposer la première solution . Si la rue a décidé de prendre la parole , Monsieur le premier ministre , c' est pour demander que la seconde solution soit étudiée , négociée , discutée . Ne méprisez la voix de ceux qui s' échinent au travail , ne mésestimez pas la détermination des salariés qui demain vont s' engager tous ensemble dans l' action . C' est leur vie qui est en jeu . Leur vie au travail , et leur vie après le travail , si tant est qu' on leur laisse la possibilité d' en profiter . Plutôt que de reculer l' âge de la retraite , pourquoi ne pas chercher en priorité le relèvement du temps d' emploi de ceux qui voudraient travailler davantage et n' y parviennent pas , des millions de femmes à temps partiel imposé , des jeunes subissant la précarité , des chômeurs durablement exclus de l' emploi ? Plutôt que de faire peser une nouvelle fois tout le poids sur les salariés cotisants , pourquoi ne pas regarder en priorité du côté des revenus financiers qui ne contribuent en rien au système , et des cotisations patronales dont la part dans le financement de l' assurance vieillesse a chuté de 8 % en quinze ans , tandis que celle des cotisations salariales augmentait d' autant ? Pourquoi , Monsieur le premier ministre , refuser d' entendre ce message de la rue ? Il est temps d' ouvrir le chemin d' une autre réforme .