_: Ambiguïtés La présentation par Lionel Jospin de ses " engagements " provoque depuis quarante-huit heures des commentaires contradictoires . Certains relèvent qu' attendu au centre , le candidat socialiste a plutôt exposé des " réformes ciblées à gauche " . D' autres notent qu' en dépit de quelques innovations qui sont absentes du projet Chirac , les " convergences " l' emportent , au point qu' on ne verrait pas très bien où se situe l' affrontement de projets et d' idées . Le programme de Lionel Jospin laisse en effet place à ces deux interprétations . Manifestement , le propos de début de campagne , plaçant délibérément le curseur au centre , a été corrigé . Certains objectifs , comme le " zéro SDF en 2007 " , la couverture logement universelle , ou la réduction de moitié de la taxe d' habitation ( hier réclamée par les communistes mais refusée par le gouvernement Jospin ) sont soigneusement mis en avant à cet effet . Le candidat Jospin tient compte d' une critique qui monte à gauche , notamment portée par le candidat communiste , contre la tentation de " blairiser " le paysage politique national . Cette correction d' affichage ne dissipe pourtant pas le malaise que fait naître la comparaison des projets . Il y a plusieurs raisons à cela . Dans quelques cas , comme la sécurité , la similitude est malheureusement revendiquée . Dans d' autres , comme la lutte contre le chômage , il faut reconnaître que la confusion n' a d' autre origine que la démagogie éhontée de Jacques Chirac , qui est prêt à promettre monts et merveilles , sachant qu' il jettera ses promesses aux oubliettes une fois élu , comme il l' a fait avec la fracture sociale en 1995 . Mais l' origine principale du malaise est ailleurs . Elle tient à l' ambiguïté fondamentale entretenue sur les moyens et les ressorts d' une véritable politique de gauche . Comment prétendre au zéro SDF sans dire un mot du relèvement significatif des minima sociaux ? Avec quelles ressources conforter les principes de solidarité du système de retraites par répartition si l' on introduit un système concurrent de financement basé sur des fonds d' épargne salariale ? Comment garantir l' avenir des services publics si l' on accepte à Barcelone de les hypothéquer ? Comment promettre une nouvelle réduction du chômage de 900 000 personnes , sans s' expliquer sur les causes de sa reprise ces derniers mois ? Comment parier sur 3 % de croissance annuelle pour financer tout cela , sans relance du pouvoir d' achat , sans nouvelle politique de crédit pour soutenir des investissements créateurs d' emplois ? Comment compter enfin sur le seul Parti socialiste pour appliquer le droit de vote aux étrangers , l' introduction de la proportionnelle , l' allocation d' autonomie de la jeunesse ... tous projets jusqu'ici refusés à ses partenaires ? Alors , devant tant de questions , que conclure ? Baisser les bras ? Se laisser gagner à une inévitable confusion des genres entre la droite et la gauche ? Sombrer dans le ridicule avec un Chevènement qui déclare : " Je suis le seul qui puisse être un président qui cohabite parce que je suis à moi seul une cohabitation " , ou se résigner à l' impuissance avec une Arlette Laguiller qui tire à vue sur Robert Hue au risque de tirer un trait sur toute perspective de changement ? Ce serait faire un beau cadeau aux promoteurs du fatalisme , et faire la part belle aux hésitations , réelles mais de toujours , du Parti socialiste . Ce serait enterrer un peu vite les urgences sociales qui frappent à la porte . Ce serait décider que les manifestants de Gênes , de Porto Alegre , de Barcelone n' ont pas droit au chapitre pour cinq ans , sauf dans la rue , mais jamais dans les lieux de pouvoir . Ce serait oublier les leçons de l' histoire , qui nous enseignent ce que la convergence de fortes aspirations à la transformation sociale et de progrès électoraux du PCF peut faire bouger . Quoi qu' en disent les sondages , le vote Hue peut encore bousculer la donne . A leur manière , les ambiguïtés du projet Jospin disent le défi à relever .