_: Les barbouzes Imaginez un peu la scène . La nuit tombante dans l' Allier , une ville du nom de Cusset , 13 000 âmes , pas loin de Vichy ( ça ne s' invente pas ) . Tout à côté de l' entreprise Applifil , des lumières mi-closes , des chuchotements , des précautions pour une ronde macabre . Puis une cinquantaine de camions , trouant le silence , comme des vautours pour un dépeçage inimaginable : l' usine elle-même . Une vraie opération de commando qui glace le sang . Vers 20 heures , une soixantaine d' hommes de main - des " vigiles " employés par une société " de sécurité " suisse ... - déboulent devant le portail et écrasent littéralement les rares ouvriers à leur poste . Des coups , pas de quartier . Une femme , anciennement atteinte à la colonne vertébrale , ne se relèvera pas , grièvement blessée . Les salauds . Janvier 2002 : on a peine à imaginer les cris d' horreur et d' effroi de salariés français , couvrant mal un déchaînement de haine s' abattant sur eux , mais pas de doute : le vendredi 11 janvier dernier , des barbouzes étaient bel et bien en action à Cusset pour un véritable " coup de poing " mafieux dont l' objectif final consistait à délocaliser le tout en Pologne . Tout devait en effet disparaître en quelques heures , machines et outils ... Or ces nervis casseurs d' usine , cagoulés et en tenues de combat , dont quelque uns sont connus des services de police , n' étaient pas missionnés par n' importe qui , puisqu' il s' agit du PDG lui-même de cet équipementier automobile , sous-traitant de PSA Peugeot-Citroën . Cet homme porte un nom qui restera gravé en noir dans l' histoire sociale de la France : Pierre Vanel . Retenez -le . Sans la vigilance de citoyens , d' élus , de syndicalistes , qui se sont inquiétés toute la journée du 11 janvier de va-et-vient incessants et d' une présence anormale de camions polonais , le chef d' entreprise ( mérite -t-il encore ce titre ? ) aurait sans doute mis en oeuvre jusqu'au bout cette délocalisation manu militari . Le plus incroyable dans cette affaire , c' est la réaction du MEDEF local face à ces agissements non seulement illégaux mais indignes dans un pays comme le nôtre . Accusant les " législations " et les " réglementations inadaptées " dans notre pays , les qualifiant " d' irréalistes , sclérosantes et coûteuses " , citant bien évidemment les 35 heures , le MEDEF Allier ( sans jeu de mots ) évoque des " décisions que l' urgence et le stress économique peuvent expliquer " . On croit rêver . Ou plus exactement , le MEDEF rêve à voix haute , et ça fait peur . Inutile de tourner autour du pot : masques tombés , voici le patronat tel qu' il voudrait être et voilà ce que nous préparent , dans sa vision ultime , le baron Ernest-Antoine Seillière et ses amis pour la France du XXIe siècle . Fondamentalement , le MEDEF et ceux qui le soutiennent veulent remettre en cause deux principes républicains élémentaires : l' égalité et le droit . En prétendant se faire les chantres du contrat sur la loi , expression , disent -ils , des aspirations de la société civile , les théoriciens du patronat ne se trompent pas d' objectif et tout est prétexte pour le profit maximum . L' exemple d' Applifil , après des années de bons résultats , est donc emblématique . Une semaine après le ralliement du Conseil constitutionnel aux thèses du MEDEF sur la liberté de licencier en toute impunité - décision des neuf juges contestée depuis par une majorité de Français - , Seillière et son candidat suprême à l' élection , Jacques Chirac , poursuivent leur travail de sape . Le premier veut peu à peu " désocialiser " le paysage pour que les Pierre Vanel se multiplient . Le second - c' est à pleurer mais c' est ainsi - vient , lui , de redécouvrir la " fracture sociale " et la misère . L' indécence n' a décidément plus de bornes et il n' y a jamais de hasard . En ces circonstances , on nous permettra de citer un certain Victor Hugo : " Je hais l' oppression d' une haine profonde . " " Si vous avez la force , il nous reste le droit . "