_: Le lapin de mai ( Quand les philosophes reprennent les propos des patrons il y a sans doute quelque chose qui ne va pas dans la république . ) Un an jour pour jour après le 21 avril 2002 voilà que le premier ministre , Jean-Pierre Raffarin , sort un lapin de son chapeau . Il s' appelle " l' esprit de mai " . L' esprit de mai , mai 2002 , s' entend , ce serait faire face , selon lui , à l' impuissance politique antérieure , faire confiance aux Français et parler " le langage de la vérité " , ce serait la conjugaison de l' humanité et de la fermeté , ce serait " travailler aux racines du mal , et que la victoire s' efface devant le devoir " . Ce serait , sur la question des retraites dont on mesure mieux désormais comment les projets de réforme du gouvernement vont la mettre à mal , avoir conscience de " l' effort collectif " nécessaire . C' est curieux - non , en fait c' est banal ! - de voir à quel point certains mots vont toujours ensemble . Le langage de la vérité va avec la fermeté . La fermeté va avec le devoir . Le devoir va avec l' effort , qui lui-même va très souvent , même si le premier ministre n' a pas utilisé le mot , avec les sacrifices . Ainsi , le ministre de l' Éducation nationale qui va envoyer gracieusement à 800 000 enseignants sa prose coûteuse sur ses conceptions personnelles de l' école veut -il , en matière d' incivilités , " siffler la fin de la récréation " . Il faut croire qu' enseignants et éducateurs , coiffés jusqu'alors de chapeaux de mirliton , faisaient la fête tous les jours . Ce pourquoi sans doute ils pourraient se passer des 20 000 aides éducateurs et emplois-jeunes qui vont au mois de juin , retourner à l' ANPE . Fin de la récréation aussi pour tous ceux là ? Mais il faut en rester aux mots . La fin de la récréation . Curieusement , c' est en ces termes que le président du MEDEF , lors des dernières assises de ce dernier , s' était adressé au premier ministre qui lui avait rendu visite , on s' en souvient , en " partenaire " : " Vous avez sifflé la fin de la récréation , vous n' avez pas encore remis la France au travail . " Un appel , en d' autres termes , au devoir , à la fermeté , à la vérité ... Voilà donc les mêmes mots dans la bouche du philosophe et ministre Luc Ferry . Quand les philosophes reprennent les propos des patrons il y a sans doute quelque chose qui ne va pas dans la république . Car de quelle récréation s' agit -il ? Luc Ferry , encore lui , nous le suggère . Oh non , pas seulement les cinq ans de gouvernement Jospin , pas seulement même les années de cohabitation depuis 1981 . Non , mais la récréation ouverte en mai soixante-huit , voyons . Ce mai soixante-huit qui a , toujours selon Luc Ferry , " précipité l' école dans la crise , en valorisant l' innovation au détriment de la tradition , l' authenticité aux dépens du mérite , le divertissement contre le travail et la liberté illimitée en lieu et place de la liberté réglée par la loi " . Sous le couvert de l' école , de quoi est -il question ? Mai soixante-huit , non seulement en France mais dans le monde , ne fut pas seulement un prurit libertaire et quelques barricades . Mai soixante-huit fut , ici , l' entrée en grève de millions de salariés , dans le monde une levée multiforme , jeune , puissante , une formidable éclosion d' aspirations nouvelles contre les oppressions , la guerre du Vietnam et les B52 , le capitalisme , pour le libre épanouissement des individus . Pour que la liberté des peuples et des individus l' emporte sur les oppressions , les catéchismes et les dogmes de la " tradition " , du " mérite " , du " travail " comme l' entendent les Ernest-Antoine Seillière et autres barons de la finance . Depuis les cercles néoconservateurs qui entourent George Bush au gouvernement Raffarin , en passant par François Fillon qui remettait en cause il y a quelque mois devant l' Assemblée les acquis de 1936 et du Front populaire , en passant par l' ex-nouveau philosophe Luc Ferry , rejetant l' héritage du siècle des Lumières , c' est un pilonnage : non , disent -ils , on ne peut pas changer le monde . C' est cela , l' esprit de mai de Jean-Pierre Raffarin .