_: Un monde si parfait ( " Le sentiment de gratuité " , a dit encore le premier ministre , voilà l' ennemi . Car dans le meilleur des mondes de Jean-Pierre Raffarin , tout se paye , tout doit rapporter . ) La France , on le savait déjà , se prend , selon les mots du premier ministre , pour " un immense parc de loisirs " . Et maintenant , la France va au ski . Faut -il , faisait mine de s' interroger Jean-Pierre Raffarin voici quelques jours en installant le Haut-Conseil de l' assurance maladie , " couvrir dans les mêmes conditions une fracture du bras causée par une chute dans la rue ou par un accident de ski " ? La ficelle est de la taille d' un câble de remonte-pente . Bon sang ! devrait se dire la " France d' en bas " , pourquoi devrais -je payer les risques dus aux plaisirs des autres ? La crevasse du déficit de la Sécu , mais bien sûr , c' était le ski . Quoique ... Car , pensons -y , le quidam qui se casse un bras dans la rue , que faisait -il exactement ? Il rejoignait son entreprise , uniquement habité par la tenace volonté de " réhabiliter le travail " , ou bien il flânait , un peu distrait , pendant son temps de repos , il faisait du footing , ou pire , car dans ce cas c' est presque du ski , il faisait du skate-board ? Ou encore , ayant fait la fête , il aurait glissé dans les escaliers . La route est droite , mais la pente devient très glissante . Il faudrait , dans la réforme de l' assurance maladie que prépare le premier ministre et qui , selon le voeu de Jacques Chirac , devrait moderniser notre système de santé , distinguer ce qui relèverait de la solidarité collective ou de la responsabilité individuelle . De la Sécurité sociale et des assurances complémentaires ou privées . " Le sentiment de gratuité " , a dit encore le premier ministre , voilà l' ennemi . Car , dans le meilleur des mondes de Jean-Pierre Raffarin , tout se paye , tout doit rapporter . Quelle logique , au fond , qui va de la volonté de supprimer un jour férié à cette perfide démagogie dénonçant les loisirs et leurs risques , faisant le tri entre les malades irresponsables et les bons . Dénonçant les mauvais conducteurs mais pas les constructeurs automobiles , les fumeurs responsables de leur cancer mais pas les fabricants de tabac , ou , aussi , " les arrêts de travail " . Avec , derrière cela , le spectre des 35 heures , de cette France qui prendrait son temps et aurait perdu le goût de l' effort . La France des autres . Celui qui se casse le bras , celui qui faute , c' est l' autre . Cette démagogie n' est sans doute pas sans effets . Mais cette logique , précisément , il faut la pousser jusqu'au bout . Il n' y aurait de solidarité collective , alors que , pour ceux dont le temps entier - ce vieux rêve du capital ! - serait voué à produire des richesses pour ceux qui les possèdent . Sans jamais qu' un seul centime aille à la construction d' une société moderne - vraiment moderne , pour le coup - , faite de travail enrichissant comme d' épanouissement personnel et collectif . C' est cela , le piètre rêve de Jean-Pierre Raffarin . Il le partage avec d' autres . Il faut entendre Ernest-Antoine Seillière : " Le lien entre la politique de santé et le contrat de travail , à la source de l' organisation de la Sécurité sociale , s' est trop distendu . C' est à la société civile de générer la forme de gestion dans le cadre d' une assurance maladie rénovée . " C' est bien de la mise en cause directe du système créé en 1945 qu' il s' agit . Il faisait de l' entreprise , du lieu de la création de la valeur , le lieu même de financement du progrès social . C' est cela que le gouvernement et le MEDEF veulent casser en distinguant entre les risques . Déjà , les assurances privées veulent sortir des remboursements , l' optique , les prothèses auditives , le dentaire . Ce qui coûte déjà le plus cher est le plus mal remboursé , mais aussi ce qui peut rapporter très gros . Il n' y aura pas que les accidentés du ski à se payer leurs soins ou à ne pas y arriver , mais aussi les presbytes et les myopes , les malentendants et les édentés . Cela fait du monde . Et ne profiteraient au final , de l' Assurance maladie , que les travailleurs besogneux et en bonne santé , les " parfaits " qui ne lèveraient jamais le nez du guidon ... Jusqu'à l' accident . Et qui pourrait dire alors qu' ils n' en seront pas tenus pour responsables ?