_: Jean-Christophe Le Duigou Secrétaire national de la CGT , chargé des questions économiques. : " Nous voulons protéger les salaires et la retraite " La CGT s' engage résolument dans le processus ouvert par la loi Fabius sur l' épargne salariale . Il y a un an , pourtant , lors du débat parlementaire sur cette loi , vous aviez émis de fortes critiques . N' auraient -elles plus de raison d' être ? Jean-Christophe Le Duigou . La CGT poursuit la même démarche revendicative , hier face à la loi Fabius , comme aujourd'hui dans le cadre de son application . Nous voulons protéger les salaires et la retraite par répartition d' un développement de produits qui viendraient s' y substituer . Nous avons obtenu certaines améliorations du texte de loi , mais elles sont très loin d' ôter tous les risques . Une grande partie se joue donc dans l' application même de la loi , et c' est pour cela que nous souhaitons être présents , offensifs , en pesant sur ce que vont être les négociations sociales désormais obligatoires sur ce terrain de l' épargne salariale . Quels moyens vous donnez -vous pour éviter que cette épargne ne concurrence les salaires et la retraite ? Jean-Christophe Le Duigou . Dans la situation actuelle , où l' épargne salariale existe déjà et concerne près du quart des salariés des entreprises publiques et privées , les salariés et les négociateurs sont généralement pieds et poings liés devant les propositions des directions ou des institutions financières . Il n' y a même pas , d' ailleurs , d' obligation d' avoir l' accord des représentants des salariés pour mettre en place ces produits . La création d' un comité intersyndical de l' épargne salariale vise justement à rétablir un rapport de force plus favorable aux salariés . Avec trois objectifs : éviter l' empiétement sur les salaires et les retraites , garantir un haut niveau de sécurité pour cette épargne - et l' affaire Enron , après celle de Swissair et celle de Maxwell , montre que les dangers que nous dénoncions ne sont pas des vues de l' esprit - , et enfin faire en sorte que cette épargne , que nous considérons comme un salaire différé , ne puisse pas être utilisée contre l' emploi et les droits sociaux . Pour certains , ce système pourrait être un moyen , pour les salariés , de peser sur les pratiques sociales du patronat . N' y a -t-il pas là une certaine illusion , dans la mesure où le rapport des forces entre les salariés actionnaires ( la loi Fabius encourage à placer l' épargne en actions ) et les gros investisseurs risque d' être très inégal ? Jean-Christophe Le Duigou . Il est effectivement très inégal . La CFDT prétend pouvoir le rééquilibrer . Ce n' est pas la démarche de la CGT qui considère que les salariés pourront peser sur les choix de gestion des entreprises au travers , d' abord , de leur action revendicative , mais aussi avec un certain nombre de droits sociaux et de pouvoirs qui leur seraient reconnus en tant que salariés . Il n' y a donc pas illusion que l' on va transformer le capitalisme par l' actionnariat salarié ou même l' épargne salariale . Nous avançons d' ailleurs un certain nombre d' exigences , que ce soit à propos des licenciements , de l' intervention sur les choix stratégiques des entreprises ou sur toutes les questions de financement qui ne se résument pas , loin s' en faut , à l' épargne salariale : celle -ci représente entre 300 et 400 milliards de francs , alors que l' épargne en général , le patrimoine financier des ménages , représente 17 000 à 18 000 milliards de francs . Et on ne parle pas du crédit dont les masses et la circulation représentent des sommes aussi importantes , et servent trop , d' ailleurs , à appuyer la croissance financière et insuffisamment le développement de l' emploi ou des productions . Il faut voir la grande cohérence qu' il y a entre la bataille pour les salaires d' abord , la bataille pour les dépenses sociales et collectives ensuite , et la bataille pour la réorientation des moyens de financement qui n' est pas moins importante . Vous avez évoqué l' affaire Enron . On pourrait se demander s' il est raisonnable d' encourager l' épargne salariale , et son placement en actions , au moment où la Bourse recule ... Jean-Christophe Le Duigou . Ce qui n' est pas raisonnable , c' est la situation actuelle , où , déjà , près de la moitié de l' épargne salariale constituée est investie dans la propre entreprise du salarié . C' est-à-dire qu' on est dans la situation d' Enron ou de Swissair ! Là , il y a un extrême danger , et nous voulons mettre en garde les salariés par rapport à ces choix . Autre observation : le principal défi économique et social lancé à notre pays avec l' évolution démographique , c' est un risque de sous-consommation , et non un risque d' insuffisance d' épargne . Donc , quand nous disons qu' il ne faut pas que l' épargne salariale vienne remplacer salaire ou retraite , nous disons très clairement que nous ne voulons pas un développement global de l' épargne .