_: Plans sociaux Hewlett Packard : le rêve brisé des ingénieurs Le constructeur informatique américain va supprimer 1 206 postes en France . Considéré comme une entreprise modèle sur le plan social , le site de Grenoble perdra un quart de ses effectifs . " Chez Hewlett Packard , les salariés - surtout les cadres - se sentaient invulnérables . Il y avait une culture d' entreprise qui donnait l' impression d' être intouchable . Parfois ça tournait presque à l' arrogance . " A entendre Bruno Le prénom a été changé. , employé non cadre qui travaille depuis seize ans sur le site HP de Grenoble , on comprend la révolution culturelle que vivent les salariés du constructeur informatique américain , aujourd'hui touchés par les réductions d' effectifs . Alors qu' une vaste restructuration du groupe est à l' oeuvre , le président de HP France , Patrick Starck , a précisé fin septembre que 1 206 postes seraient supprimés en France . A cause de la fusion avec Compaq annoncée il y a un an , qui entraîne des doublons . Mais aussi pour des raisons d' adaptation au marché , selon la direction elle-même . Le plus gros site , celui de Grenoble , sera le plus concerné , avec 609 suppressions de poste . Un quart des 2 400 salariés actuels - des ingénieurs et des cadres à 80 % - seront donc touchés . L' unité de développement des PC ( 339 salariés ) doit être totalement fermée . Au printemps prochain , HP Grenoble vivra ainsi les premiers licenciements secs de son histoire . Jusqu'à l' année dernière , les effectifs du site ont connu une croissance continue Croissance qui masque cependant l' externalisation des activités de production , entraînant la disparition de la catégorie ouvrière et l' augmentation de la part d' ingénieurs et cadres .. Depuis son lancement au début des années soixante-dix , HP était considéré dans la région comme l' entreprise idéale . " C' était une entreprise atypique , un modèle sur le plan économique et social , en termes de performance , de croissance de l' emploi , mais aussi de management , poursuit Bruno . Il y avait une forte reconnaissance de l' individu , avec des conditions de travail et de salaire exceptionnelles , et des possibilités de formation et d' évolution . J' étais fier et heureux de travailler chez HP . Évidemment , il fallait s' investir beaucoup dans le travail . C' était donnant donnant . " La société , fondée en Californie en 1939 , a en effet su créer chez ses salariés un esprit d' entreprise très fort . " L' HP way , c' est un paternalisme très fort , qui place l' employé au centre de l' entreprise , explique Sylvain Boursier , délégué du personnel CGT . Le management privilégie le consensus , le travail en équipe . " " L' entreprise recrutait des profils techniques , et instaurait une culture de la qualité , renchérit Janick Collomb , également DP CGT . Aujourd'hui , on privilégie le marketing . Le mot d' ordre , c' est vendre , être rentable . Il faut travailler vite mais pas forcément bien . Dans la bouche des dirigeants , il n' y en a plus que pour les actionnaires et les clients . Ils ne font jamais allusion aux employés . " Pour les nostalgiques de l' HP way , le changement de culture est perceptible depuis trois ou quatre ans . A l' époque , la concurrence entre gros groupes informatiques s' exacerbe et HP est en perte de vitesse . Aujourd'hui , les analystes financiers préconisent une politique plus commerciale , plus agressive , plus réactive au marché , et fustigent la culture d' entreprise vieux jeu , contre-productive . Il faut réduire les coûts . Ce sera l' oeuvre de Carly Fiorina , l' actuelle PDG , qui est arrivée à la tête du groupe en 1999 . " Elle a dû prendre des mesures à contre-pied des employés " , explique Marc Jourdan , représentant CFDT au comité central d' entreprise ( majoritaire dans le groupe ) . Depuis deux ans , les augmentations salariales sont gelées , les budgets , resserrés , et les embauches ont marqué le pas . En septembre 2001 , Carly Fiorina annonce le rachat de Compaq , principal concurrent de HP , pour 20 milliards de dollars . " Elle a justifié cette fusion en termes économiques , poursuit le délégué CFDT . Mais on a l' impression que la fusion sert aussi à changer la culture d' entreprise en nous imposant le management directif et les objectifs de rentabilité qui existaient chez Compaq . " Sur le coup , les salariés chez HP ne s' inquiètent pas , alors que Carly Fiorina a programmé 15 000 suppressions d' emploi dans le monde . " Ils pensaient qu' ils seraient gagnants dans la fusion , qu' ils ne seraient pas touchés , puisque nos produits étaient meilleurs , regrette le syndicaliste . Sauf que les critères retenus ont été ceux de la rentabilité , pas de la qualité . Avec en plus une politique de recentrage protectionniste sur les États-Unis . " En juillet , Patrick Starck annonce 1 400 suppressions d' emploi chez HP et Compaq France . " C' était la première douche , souligne le délégué CFDT . Mais les gens n' ont pas voulu y croire . C' est seulement quand Starck a précisé la répartition par site qu' ils ont réellement pris conscience de la menace . " Avec 80 % de cadres , le site de Grenoble n' est pas vraiment à la pointe de l' action collective . " Chez HP , il n' est pas de bon ton d' exprimer ses opinions , de réagir , de critiquer , note Bruno , qui , d' origine ouvrière , se sent un peu en décalage . On parle travail ou loisirs , mais surtout pas des questions économiques ou sociales . Les cadres surtout sont plutôt individualistes . Ils ont toujours raillé les syndicalistes . Mais là , il y a du changement . " Après l' annonce des 609 suppressions de poste sur Grenoble , mille salariés participent à l' AG des syndicats , jeudi 3 octobre . " Un délégué a prononcé le mot de mobilisation , et des centaines de bras se sont levés pour approuver , c' est historique . Les salariés ont compris qu' ils sont concernés . Ils savent que les possibilités de reclassement dans la région sont limitées , car beaucoup d' entreprises sont en difficulté . Les tracts syndicaux , qui d' habitude terminaient à la poubelle , sont lus avec attention maintenant . " L' inquiétude est d' autant plus forte que circulent des rumeurs de fermeture du site à moyen terme . Ce jour -là , l' idée d' une grève est même approuvée à 70 % , à condition " de ne pas faire grève pour faire grève " . Les syndicats planchent sur une journée de mobilisation nationale . " La direction en a très peur , ça serait mauvais pour son image , estime Marc Jourdan ( CFDT ) . Tous les syndicats sont d' accord sur l' objectif de négocier pour réduire le nombre de licenciements , injustifiés puisque HP France est bénéficiaire . Mais d' un autre côté , beaucoup de salariés jugent les licenciements inéluctables et poussent pour qu' on obtienne des " packages " ( indemnités - NDLR ) honorables . " Selon la procédure légale , et malgré les pressions de la direction , les négociations sur le plan social ne commenceront que lorsque seront achevées celles sur les justifications économiques de la restructuration . " C' est-à-dire pas avant novembre , juge Michel Rognin , délégué central CGT . Les annonces de suppressions de poste sont faites très en amont , mais les licenciements n' interviendront pas avant février ou mars . " D' ici là , la direction va probablement susciter des départs " volontaires " . " Elle va mettre de l' argent sur la table , prévoit Bruno . Il y aura des volontaires , car les perspectives de l' entreprise sont assez sombres . La direction veut amener les salariés , surtout ceux de l' unité des PC qui sont déjà en chômage technique , à se dire qu' il vaut mieux prendre le package et partir avant le licenciement sec . "