_: Les licenciés de Moulinex disent non à Le Pen " J' ai été choqué . On ne met pas un bulletin de vote dans une enveloppe sans réfléchir . J' ai été licencié , j' en ai voulu aux politiques de droite et de gauche et pendant des mois je ne voulais pas voter , mais dimanche j' ai voté ( il ne dit pas pour qui , NDLR ) . Mais de là à voter Le Pen , c' est impensable . Ce n' est pas cet individu qui me redonnera du travail " . Roland Lebas , ouvrier chez Moulinex à Cormelles-le-Royal ( Calvados ) depuis vingt trois ans est en colère . Aujourd'hui ce n' est pas seulement parce que 123 ex-salariés de Moulinex ont retrouvé du travail ? ? ? ? ? ? ? sur les 3 243 laissés sur le carreau par Seb lors de la reprise de son concurrent de toujours par le groupe français d' électroménager ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? . Certes , Roland Lebas a mal pris que le PDG de Seb , Thierry de la Tour d' Artaise , se félicite d' avoir fait une bonne affaire en augmentant ses ventes grâce à la reprise partielle de Moulinex . Mais aujourd'hui la colère de Roland a pris une autre dimension . Elle exprime un cri d' alarme : " parce que je pense à mes enfants " dit -il , et qu' il refuse que " l' exaspération des uns et des autres , l' amertume de ceux qui ont perdu leur travail -alors que la gauche était au gouvernement- conduisent à faire n' importe quoi en donnant le pouvoir au pire ennemi des travailleurs " . Choqué , bouleversé , Roland l' est d' autant plus qu' il y a quelques mois il était en tête des manifestants qui , marchant vers la préfecture dans les rues de Caen , avaient suspendu leurs cartes électorales sur un fil à linge de manière à montrer que , dans leur situation d' ouvriers , de laissés-pour-compte , le droit de vote ne servait plus à grand chose . Il fut aussi de ceux qui sont restés de longues semaines sur leur lieu de travail pour sauver des machines toujours en place . Puis , lorsque la détresse poussa certains de ses collègues à menacer de faire sauter l' usine , il avait jugé cette attitude tout à fait légitime . Aujourd'hui à Cormelles ; il n' y a que 44 personnes dont seulement 3 femmes qui ont retrouvé un travail . Dans l' usine où les syndicats assurent une permanence et où les employés d' une cellule de reclassement reçoivent régulièrement les salariés à la recherche d' un emploi , on ne parle que du résultat des élections de dimanche . Même au poste de garde , les agents de sécurité sortent de leur réserve . " Je suis pour que ça bouge . Il y a trop d' insécurité " dit l' un en murmurant qu' il a " voté blanc " et qu' il s' entend très bien avec les étrangers . " Comme vous pouvez le voir : mon collègue de permanence n' est pas français " . Et le collègue de nous confier : " Si j' avais pu voter , ce n' est certainement pas pour Le Pen " et il ajoute qu' il souhaiterait " pouvoir voter aux municipales " et qu' " il y en a marre qu' on fasse porter le chapeau de l' insécurité aux immigrés " . Affaire entendue . Le vote blanc de l' un " pour que ça bouge " prend une résonance particulièrement ambiguë dans un lieu où il est très difficile de trouver un ex-salarié de passage qui dit avoir voté Le Pen , ni même le jeune facteur de la LCR ou Arlette Laguiller . En revanche , " ma fille qui est étudiante à Rennes a voté Besancenot et a manifesté deux fois depuis dimanche contre Le Pen " nous dit un ancien ouvrier des presses qui affirme avoir voté Mamère et votera Chirac à ' contre cour ' " le 5 mai . A " contre coeur " parce que " piégé " , un jeune dessinateur industriel sans emploi depuis des mois , qui a voté Hue , a décidé dès dimanche soir de voter Chirac le 5 mai " car il est urgent d' écraser Le Pen " . " Nous sommes entrés en résistance " indique Lionel Muller , délégué CGT , mais également militant communiste bien connu dans l' usine . Pour lui , " le double choc de dimanche , la montée du Front national et la chute du PCF , ne nous fera pas baisser les bras . Pas question de fuir le combat . Nous allons relever le défi dès jeudi lors de l' assemblée hebdomadaire des salariés convoquée dans l' usine par les syndicats ; puis le 1er mai , le 5 mai bien sûr et aux législatives . Il est temps de se ressaisir " . Le 5 mai , il votera Chirac " pas sur la base d' un débat de société entre droite et extrême droite ; ce n' est pas de cela dont il s' agit , mais bien de défendre les valeurs républicaines , comme le font des milliers de jeunes depuis dimanche " . Se ressaisir ? Chez Moulinex à Cormelles-le-Royal , dans cette usine arrêtée depuis des mois , la mobilisation pour faire barrage à l' extrême droite ne semble pas poser problème . Même ceux qui ont glissé dans l' urne dimanche dernier un bulletin de vote préparé depuis des mois où il était inscrit " Chirac , Jospin , souvenez -vous de Moulinex ... " ne recommenceront pas tous le 5 mai . Pourtant la rancune est tenace contre un pouvoir politique qui les a laissé tomber . " Mais ce n' est pour autant que Le Pen a gagné des voix chez les licenciés de Moulinex " dit Lionel Muller qui fait observer que " dans le Calvados , et plus particulièrement dans les communes où vivent les salariés de Moulinex , le Front national ne progresse pas . Chirac se maintient . En revanche , le PS et le PCF dégringolent au profit de la LCR et de LO ; alors qu' on n' a jamais vu ces derniers se manifester durant tout le conflit dans l' usine " .