_: Pays - Bas . L' assassinat de son leader , Pim Fortuyn , dope l' extrême droite populiste . Rotterdam , cité sous influence Dans la vague d' émotion suscitée par la disparition du leader populiste , les propos extrémistes se sont dangereusement banalisés et menacent une cohésion sociale déjà bien mise à mal dans la grande cité portuaire . " Pim avait compris comment nous vivons à la différence des hommes politiques traditionnels qui ne nous entendent plus et il disait ce que nous ressentons profondément . " Émotion dans la voix , une rose à la main , Carol , la cinquantaine élégante , est venue , en ce jeudi 9 mai , rendre un dernier hommage à Pim Fortuyn , le leader d' extrême droite néerlandais assassiné trois jours plus tôt dans la banlieue d' Amsterdam . Comme des milliers de ses compatriotes , elle passera devant le cercueil exposé dans la cathédrale de la grande cité portuaire . Mêmes scènes de ferveur devant la mairie . Les gens apparemment de tous horizons , parmi lesquels beaucoup de jeunes , n' hésitent pas à attendre plusieurs heures pour venir signer le registre de condoléances . Une grande banderole est étalée sur le sol avec cette inscription rageuse : " Dans certains pays quand vous avez votre propre opinion vous êtes condamné à mort . " Jetés pêle-mêle dans une immense marre de fleurs : des écharpes de supporters du club de foot de Feyenoord qui dispute au même moment la finale d' une Coupe d' Europe , des bannières arc-en-ciel en allusion à l' homosexualité revendiquée du disparu , des inscriptions griffonnées dont de nombreuses marques d' amour comme ce poème du groupe irlandais U2 , destiné à Martin Luther King , " one man came in name of love " Un homme est venu au nom de l' amour. , revu et détourné sans états d' âme à la gloire du défunt . Déjà très populaire , en particulier à Rotterdam , sa ville , où son parti avait créé la surprise en arrivant en tête aux municipales de mars dernier avec 35 % des suffrages , son assassinat a quasiment fait de Fortuyn un héros national . Et le risque est gros que son parti , la Liste de Pim Fortuyn ( LPF ) , inexistant encore il y a quelques mois , ne fasse , en dépit de l' absence de son chef de file , un véritable raz de marée au scrutin législatif du 15 mai dont la date a été maintenue malgré les événements . Le climat émotionnel qui s' est instauré après la mort de Fortuyn , coupe court en effet à tous les débats . D' un commun accord la campagne a été interrompue et plus aucun parti n' ose la moindre démarche qui pourrait passer pour une initiative électorale . Et même les plus décidés des militants antiracistes de Rotterdam ont annulé précipitamment une manifestation dans les rues de la ville prévue pour ce samedi 11 mai . " Nous n' aurions eu personne . Cela aurait été interprété comme une pure provocation . Nous risquions des incidents graves , " souligne Charlotte van Baaren , la jeune syndicaliste de gauche qui avait organisé ce rassemblement . Ce qui fait le succès de Fortuyn et laisse toute l' élite politique en plein désarroi , ajoute -t-elle , " c' est qu' il donne le sentiment aux gens - qu' ils se sentent assaillis par les difficultés de vivre , ou délaissés par les partis traditionnels ou bien encore frustrés de vraie confrontation politique - de parler de leurs problèmes et de faire mine de s' y atteler . Quand le lourd consensus dominant donne le sentiment qu' il n' existe guère de véritable différence entre les partis traditionnels , lui donne l' impression de donner un coup de pied dans la fourmilière et cela plaît " . Populiste au style flamboyant , Fortuyn était bien loin de cadrer avec les clichés traditionnels de l' extrême droite . Et ce n' est sans doute pas le moindre des dangereux paradoxes du personnage qu' il ait réussi à se prévaloir des traditions d' ouverture et de tolérance de la société néerlandaise ( comme à l' égard de son homosexualité par exemple ) pour percer sur des thèmes comme le rejet et l' intolérance à l' égard des immigrés et des demandeurs d' asile - trop nombreux , disait -il , " les Pays-Bas sont pleins " - et de sa haine à l' égard des musulmans en qualifiant l' islam de " culture arriérée " ou " homophobe . " Le climat d' aujourd'hui inquiète naturellement la forte communauté immigrée de Rotterdam ( près de 40 % des habitants sont étrangers ou d' origine étrangère ) . Car l' émotion soulevée par la disparition de Fortuyn a contribué à banaliser ses pensées . " Avant les gens se disaient d' accord avec lui en secret , aujourd'hui ils affichent ouvertement ses idées " , souligne un journaliste qui explique que les articles critiques à l' égard de la politique de Fortuyn ou du LPF ont disparu des colonnes des journaux . " Les années qui viennent s' annoncent difficiles pour les immigrés " , soupire Mohammed Bibi . D' origine marocaine , il appartient à la plus importante communauté immigrée de Rotterdam ( 80 000 personnes ) et anime une coordination des associations d' immigrés de la cité . Spangen au nord de Rotterdam est l' un de ses quartiers de la ville totalement désertés par les classes moyennes qui s' est transformé au fil du temps en semi-ghetto . Une majorité d' immigrés frappée par le chômage et les difficultés d' intégration s' entassent ici dans de hautes maisons de briques rouges . Ils y côtoient des Hollandais " de souche " , employés , ouvriers , le plus souvent réduits à la précarité du travail à temps partiel promu à tout va , ces dernières années , par le fameux " modèle des polders . " Cocktail explosif . Elsine , une jeune lycéenne du quartier qui s' apprête à prendre le chemin de la cathédrale , une rose rouge à la main , s' emporte : " On est tout le temps volé , racketté . La voiture de mes parents a été fracturée trois fois en deux mois . " Elle hésite un instant puis ajoute au bord des larmes : " Pim avait raison , lui , au moins il osait dire la vérité , en dénonçant la violence , l' insécurité et les méfaits de cette société multiculturelle dont on nous rebat les oreilles . " Pour subsister ici ou parce qu' ils subissent l' attrait de l' argent facile , des jeunes en errance , immigrés ou autochtones , se livrent au trafic de drogue . Les autorités qui ont libéralisé l' accès aux drogues douces se montrent très tolérantes à l' égard des autres stupéfiants . " L' idée , explique Marchid El Hadi , un jeune Marocain professeur de néerlandais dans un centre d' insertion , c' était qu' une libéralisation diminuerait le caractère lucratif de la vente et ferait donc reculer les trafics et la criminalité qui leur sont liés . " Mais ces mesures plaquées sur une réalité sociale que l' on n' a pas traitée - au contraire pour cause de coupes dans les dépenses publiques - ont des effets totalement contre-productifs . Marchid ne décolère pas . " Ce quartier est une machine à fabriquer des toxicos dépendants . " Spangen est devenu une sorte de plaque tournante de l' approvisionnement de toute l' Europe en ecstasy , héroïne ou autre cocaïne . Quand on s' attarde un peu dans le quartier on ne peut pas ne pas remarquer le manège des " Béhèmes " ou autres cabriolets de luxe , immatriculés en Belgique ou en France , de jeunes gens au volant , qui viennent faire ici leurs funestes emplettes . Et si les trafics sont visibles , les interventions de la police sont plus qu' épisodiques . Des citoyens ont tenté de s' organiser eux-mêmes pour dénoncer , déloger les gros dealers et même courser en désespoir de cause les voitures étrangères louches . En vain , malgré des incidents violents , " personne n' a répondu au courage de ces citoyens , à leur appel au secours lancé aux autorités " , s' indigne encore Marchid . Résultat : le poison raciste fait son oeuvre . Les " autochtones " accusent les immigrés . Et les immigrés d' une communauté pointent ceux d' une autre " forcément responsables " . " C' est ce qui explique cet autre paradoxe du phénomène Fortuyn , souligne le sociologue Theo Tempelman , de l' université Erasmus : beaucoup de personnes d' origine étrangère ont voté pour Fortuyn aux municipales de mars . " La crainte que , dans l' émotion ambiante , la banalisation des paroles du LPF ne renforce encore les clivages n' est pas un vain mot . Une radicalisation parallèle de l' opinion est déjà perceptible chez les immigrés , en particulier musulmans . Ils ont déploré contre eux un nombre record d' incidents racistes depuis le 11 septembre , les attentats aux États-Unis ayant contribué aussi à renforcer la position de l' extrême droite dans l' opinion . Cette aggravation des tensions conjuguée à la dégradation des conditions sociales et à un profond malaise identitaire au sein d' une population laissée pour compte " par excellence " de la mondialisation libérale , a dopé encore les associations islamistes qui depuis quelques années déjà marquent des points . " Il y a de plus en plus de gens à la mosquées et certains imams tiennent des prêches incendiaires , inqualifiables " , observe avec inquiétude Marchid El Hadi . Le jeune homme appartient , lui , à une association laïque , la Voie des démocrates marocains en Hollande , qui se bat vaille que vaille contre ce regain d' influence des religieux . Il insiste sur le fond du problème " d' abord social " pour dire que les Pays-Bas qui possédaient l' un des États providence les plus généreux de la planète , auraient tout intérêt à renouer avec cette tradition " avant qu' il ne soit trop tard . " . " Afin de répondre , précise -t-il , à ce qui devrait être un droit des jeunes immigrés à l' insertion dans l' emploi et à une vraie vie sociale au lieu d' emprunter une voie de plus en plus dangereuse en réduisant la solidarité " . La syndicaliste Charlotte van Baaren a pu mesurer sur son lieu de travail les dégâts occasionnés par ces coupes dans les investissements publics , en vertu d' une politique parfaitement conforme aux canons monétaristes de la Banque centrale européenne . Technicienne à l' hôpital psychiatrique Delta . Elle évoque le phénomène des listes d' attente qui touche désormais tout le secteur de la santé . Y compris le sien . " Il n' est plus rare que les gens attendent des mois pour une simple consultation de spécialiste . Chez nous , des patients , dont l' état aurait nécessité une hospitalisation rapide , sont maintenus en traitement à leur domicile pendant des semaines en dépit de leurs souffrances mentales et parfois des risques qu' ils peuvent constituer pour leur environnement . " Que l' on ajoute à cette dégradation des services de santé les classes mal entretenues et surchargées dans les écoles , des transports en commun en cours de privatisation dont la qualité s' est largement détériorée et l' on aura saisi la profondeur de la crise de confiance qui submerge le pays . Outre les boucs émissaires immigrés , le LPF donne à ce sujet des réponses ultralibérales - " réduire la bureaucratie et le nombre de fonctionnaire et privatiser " - qui ressemblent à s' y méprendre à celles de la confrérie des autres populistes et extrémistes de droite européens qui ont tant le vent en poupe aujourd'hui . Des temps sans doute particulièrement difficiles s' annoncent pour les progressistes des Pays-Bas . Au milieu des débris du vieux modèle social-libéral il va leur falloir lutter de toutes leurs forces pour éviter que certains clivages ne se creusent irrémédiablement au point de menacer la cohésion du pays , tenter de mettre en avant de nouvelles perspectives . Dès que l' émotion de ces derniers jours sera surmontée et que leur parole pourra à nouveau être entendue , ils se disent en tout cas déterminés . " Y compris en descendant cette fois dans la rue " , lance Charlotte van Baaren qui ajoute : " Car la xénophobie , les divisions , les exclusions n' ont pas plus de place dans notre société que la violence politique dont a été victime Pim Fortuyn . "