_: Une décentralisation très libérale Le projet que présentera Jean-Pierre Raffarin au Conseil des ministres mercredi prochain est -il vraiment d' inspiration girondine ? A moins qu' il ne s' agisse d' une réforme d' inspiration ultralibérale . Quels sont les enjeux et les oppositions qui sous-tendent les nécessaires débats sur la question ? A première vue , la décentralisation dépasse les clivages . Inspirée par un gouvernement de gauche lors des lois Mauroy-Deferre en 1982 , c' est aujourd'hui un premier ministre de droite qui s' attache à la poursuivre . Lorsqu' on prononce le mot " décentralisation " , élus et acteurs locaux de tous bords se retrouvent pour souligner ses mérites en référence aux transferts de compétences en matière de lycées et de collèges . Sur la nécessité d' une plus grande efficacité des services publics , l' urgence d' un rapprochement des centres de décision et des Français après le traumatisme du 21 avril , l' importance des économies à réaliser par une rationalisation de la mise en oeuvre des politiques publiques en cette période de contrainte budgétaire , ou encore sur la pertinence d' une meilleure prise en compte des spécificités territoriales , personne ne rechigne . Et c' est bien à une organisation décentralisée de la République que le Conseil des ministres devrait donner son accord le 16 octobre , lançant ainsi l' une des plus importantes réformes qu' ait connues la Ve République . Jacques Chirac devrait d' ailleurs en parler dès lundi . Car par ce projet de loi constitutionnelle , le gouvernement Raffarin entend réformer l' État en réorganisant en profondeur la répartition des pouvoirs entre le centre et les collectivités territoriales . C' est à peu près là que s' arrête le consensus . L' une des principales pierres d' achoppement qui prêtera à débats concerne la réorganisation des pouvoirs locaux . Au-delà d' une simple " remise à niveau " par une consécration constitutionnelle dans l' article 72 , la région semble être destinée à jouer le rôle de collectivité prépondérante en devenant la principale bénéficiaire des transferts de compétences de l' État et du droit à l' expérimentation , qui sera autorisé par la loi ou par décret . Nombre d' acteurs locaux , principalement au sein des régions , souhaitent la voir endosser des responsabilités de coordination de la planification des politiques locales afin de mieux répartir , de façon plus lisible , les compétences . Ce qui n' est pas du goût de tous . Au sein des départements , certains , tel Philippe Leroy ( UMP ) , président du conseil général de la Moselle , dénoncent une dérive éventuelle où la région exercerait une tutelle sur les autres collectivités , tutelle contraire aux lois Mauroy-Deferre . Par ailleurs , si le projet de loi ne supprime pas les départements , le législateur peut cependant créer des collectivités à " statut particulier " , en procédant à des redécoupages territoriaux , ce qui pourrait bien aboutir à la disparition de quelques départements , notamment en zones urbaines où leur visibilité est limitée . Une réforme souple donc , qui tente de ne pas heurter de front les crispations locales , mais continue d' inquiéter . L' unité nationale est également en question : si l' État entend rester le garant en matière d' égalité , dans tous les domaines de la vie en société , les transferts de compétences évoqués , en matière d' éducation particulièrement , font grincer des dents . Notamment parce que le recours au référendum local décisionnel est désormais reconnu pour les collectivités dans leurs domaines de compétences , ce qui pourrait légitimer des empiétements sur les prérogatives de l' État en la matière . Et surtout parce que l' éducation n' est pas un service public comme les autres dans l' inconscient collectif français , mais bien l' un des fondements de la nation . De même , l' introduction d' un droit à l' expérimentation , même s' il donnera lieu après coup à une règle unique qui s' appliquera partout , fait craindre à de nombreux élus , tel Jean-Luc Laurent ( apparenté PS ) , vice-président de la région Ile-de-France chargé du logement , l' avènement d' une " France à la carte " , où l' État ne pourrait plus garantir l' unité . Pas question de mettre en place un État fédéral , certes , puisque seul un pouvoir réglementaire réaffirmé est confié aux collectivités dans leurs domaines de compétences , mais le risque est bien de voir les collectivités , les régions en particulier , constituer leur " panier " de compétences à la va-vite comme on va au marché - un peu de fonds structurels européens en Alsace , un " bloc éducatif " plus ou moins " complet " en Rhône-Alpes ou en Aquitaine ... - sans par ailleurs pouvoir assumer ces responsabilités rapidement . Quelle serait alors la valeur de l' expérience acquise lors de cette expérimentation , et pourquoi ne pas transférer directement ces compétences ? Autre débat houleux , la question de la réforme de la fiscalité locale . " Marché de dupes ! " s' exclame -t-on dans les collectivités après le report de la réforme par le premier ministre . " Trop complexe et sensible pour en faire un préalable à la réforme " , réplique -t-on au gouvernement . Dialogue de sourds , pourrait -on enfin constater . Les collectivités , échaudées par l' impressionnante augmentation des charges qu' elles ont dû supporter suite aux transferts déjà réalisés - collèges , lycées , transports régionaux , allocations personnalisées d' autonomie ( APA ) ... - souhaitent que l' État leur donne les moyens de leurs nouvelles compétences afin que ces transferts ne se résument pas à " un transfert d' impopularité " , comme le craint Martin Malvy , président de l' Association des petites villes de France ( APVF ) et maire ( PS ) de Figeac . Si la réforme constitutionnelle prévoit que les inégalités de ressources seront corrigées par la péréquation financière et que les collectivités pourront désormais " percevoir tout ou partie des impositions de toute nature " , c' est-à-dire y compris une partie des impôts nationaux , reste à savoir dans quelle mesure . Cette incertitude sur les moyens de la réforme est l' un des fondements , avec la réduction de l' État à ses fonctions régaliennes , des critiques , formulées essentiellement à gauche , qui y voient une orientation libérale . Comme l' exprime , dans une interview au quotidien Libération en date du 25 septembre , Jean-Pierre Balligand , député PS de l' Aisne et coprésident , avec Adrien Zeller , de l' Institut de la décentralisation , une réduction du budget de l' État pourrait bien être " le vrai fil conducteur de la réforme " . " Le but semble être de drainer des fonds vers le secteur privé " , tempête Robert Clément ( PCF ) , président du conseil général de Seine-Saint-Denis ( lire ci-après ) , en référence aux impasses financières dans lesquelles les collectivités risquent de se trouver acculées . Une France riche de ses régions ou des départements et communes exécutant vaille-que-vaille les volontés d' " en haut " ? Le gouvernement dit qu' il va s' attacher à démêler tout cela lors des assises régionales des libertés locales qui doivent se tenir jusqu'en janvier . Et préciser sa vision de l' intégration européenne , tant il est vrai que quoi qu' il en dise l' État se désengage au profit d' un axe régions-Union européenne en pleine affirmation , institutions amenées à dialoguer de plus en plus en " direct " . En cette période où l' on appelle à plus de lisibilité des décisions politiques , ne serait -il pas temps d' en parler plus clairement aux Français ?