GGR: en mars dernier dans son numéro deux cent quarante-neuf la revue Phosphore publiait une enquête sur les codes du parler jeune c' est-à-dire sur l' expression verbale de communautés qui inventent et pratiquent les diverses variétés de français qui existent dans ce qu' on appelle désormais les cités qu' on désigne plus généralement par banlieues cette enquête retrouvait croisait les travaux de Jean-Pierre Goudaillier professeur de linguistique et doyen de la faculté des sciences humaines et sociale Sorbonne de l' université René Descartes Paris V et directeur du Centre de recherches Argotologiques c' est-à-dire du CARGO et cette enquête a pu se développer entre autre grâce à la participation des élèves de seconde de la classe de Frédéric Châtelain professeur de français au lycée Lursa dans le treizième arrondissement de Paris cette enquête présente un état des lieux concernant une variété de langue qui s' est formée dans les années mille neuf cent quatre-vingts et qui est parlée dans les cités alors mes invités sont au nombre de trois la rédactrice en chef de Phosphore Béatrice Toulon Jean-Pierre Goudaillier qui est aussi l' auteur d' un dictionnaire du français contemporain des cités Comment Tu Tchatches préfacé par Claude Hagège et publié par Maisonneuve et Larose et vous en êtes à la troisième édition qui est revue augmentée il y a peine un an euh d' une centaine d' expressions de mots toujours nouveaux comme coincer la maille pecs en avoir grave marre passer les gourmettes tou touzeur être doser de quelqu' un enfin troisième invité Frédéric Châtelain qui est aussi éditeur les éditions Châtelain-Julien ont publié notamment une édition critique du René Leys de Victor Segalen un ouvrage aussi sur la poétique de Victor Segalen alors qu' on le veuille ou non un un grand nombre de cités dans lesquelles vivent les jeunes et les moins jeunes aussi sont considérées comme des espèces de de de ghettos alors Jean-Pierre Goudaillier le le parler jeune dont nous allons parler peut-il être considéré pour rentrer tout de suite dans le vif du sujet comme un reflet de de de ces ghettos JPG: alors bon ghettoïsation faudrait peut-être en parler de manière beaucoup plus précise sur le plan social et voir effectivement est-ce que ces phénomènes sont poussés jusqu' au bout c' est-à-dire est-ce qu' on a vraiment ghettoïsation euh par des pratiques sociales et des pratiques langagières et linguistiques en tout cas ce que l' on constate c' est qu' il y a des pratiques identitaires c' est-à-dire que dans des cités on a la fois des des de souches comme on dit maintenant puisque par l' aphérèse du mot français de souche on parle de de souche donc on a des de souches on a aussi des personnes issues de l' immigration on a des personnes qui sont des des personnes étrangères au sens véritable du terme et tout cela créé un vivier ou un vivoir comme diraient nos amis canadiens un véritable réservoir comme vous disiez vous-même un laboratoire de langue et chacun va vouloir marquer sa propre identité dans la langue c' est-à-dire qu' on va avoir des réflexes identitaires celui d' origine française va vouloir marquer la langue avec ses vieux mots de la langue française avec son argot traditionnel et puis l' Africain va vouloir mettre aussi un peu de wolof un peu de bambara un peu de swahili et quant au maghrébin il va vouloir mettre un peu de berbère un peu d' arabe et donc chacun va vouloir marquer quand je dis maintenant tagger la langue avec ses propres marques d' origine alors ça vous donne un espèce de je sais pas de chaudron linguistique dans lequel des tas de choses sont en train de fourmiller et donc on constate des alors moi ce que j' appelle des mots métissés c' est-à-dire des mots du mélange c' est-à-dire le métissage linguistique est là devant nos yeux GGR: mais une sorte de s mot s valise JPG: alors bon le mot valise peut-être une une façon de métisser les mots mais je vais en prendre un un exemple parmi d' autres m-~ mais amusants un mot qui peut-être du type valise vous avez par exemple le le verlan de frère frère c' est frère frère refré reuf alors reuf bon c' est c' est on le connaît c' est le le frère mais quand on veut dire un grand frère celui qui la qui a le droit même beaucoup de droit sur les les les les petites soeurs de la communauté maghrébines on va parler du da reuf et le da vient du berbère da ça indique en berbère celui qui a euh le droit d' aînesse dans la fratrie donc c' est quand même pas rien c' est-à-dire c' est vraiment le le frère aîné celui qui a un peu le le droit presque de vie et de mort entre guillemets sur l' ensemble de la fratrie et voilà que ce dareuf est bien mot métissé puisqu' on a du français verlanisé plus un préfixe qui est du berbère c' est vraiment un un préfixe berbère bon voilà un exemple parmi d' autres il y en a d' autres je peux prendre l' exemple de carbichounette alors carbichounette ça paraît tout à fait gentil comme terme mais carbichounette c' est quoi c' est carba ça vient quand même de l' arabe qui ça veut dire la prostituée choune c' est une déformation phonétique du sexe féminin en berbère et ette le préfixe euh le suffixe euh du français et voilà que carbichounette c' est du berbère de l' arabe et du français voilà GGR: mais mais mais justement parce que là il y a une violence verbale voilà mais-ce que cette violence verbale JPG: il s' agit de la femme il s' agit de la de la femme GGR: euh qui se manifeste euh peut être mis en rapport avec une fracture sociale on pourrait parler de fracture linguistique par rapport à une fracture sociale vous associez les JPG: deux alors oui oui d' autant plus que fracture linguistique j' en suis le l' auteur euh c' est et j' ai proposé suite à justement fracture fracture sociale c' est un peu justement ce qui m' a fait repérer sur le le champ de ce ces descriptions des langues des langues des des parlers hein des for-~ véh véhiculaires que l' on a actuellement dans les cités puisque c' est bien parce qu' il y a fracture sociale qu' il y a euh production de langue autre que celle que l' on est en droit d' attendre à un moment déterminé qu' est-ce qu' ils me disent les jeunes dans les enquêtes ils me disent pourquoi est-ce qu' on va parler comme vous les costards cravates nous les casquettes baskets quelles raisons aurions-nous nous de parler le même français que vous alors on travaille actuellement dans le centre de recherche sur une une quelque chose qui nous intéresse depuis un certain nombre d' années j' ai même lancé des des des étudiants sur la question la langue en miroir le verlan ça peut paraître alors verlan on sait très bien que c' est plutôt la région parisienne qui parle verlan les parlers euh régionaux en France ont permis une alimentation de d' un ensemble de parlers des cités si on va Marseille on voit très bien qu' on a on a du corse on a du du provencal on va y revenir GGR: on va y revenir d' ailleurs sérier les problèmes JPG: alors m si on prend le le cas du verlan langue en miroir je prends ta langue je te la mets à l' envers et je te la renvoie c' est pas innocent ça peut être inconscient mais c' est quand même pas innocent comme processus GGR: c' est un phénomène de refus euh finalement de de l' autre JPG: ben c' est-à-dire que il y a quand même bon je voudrais pas vous faire du Bourdieu mais il y a quand même des choses qui se passent je veux dire on va pas quand même dire que dans les cités on a faire à des personnes qui sur le plan socio-économique sont favorisées hein je crois que si on veut pratiquer l' euphémisme on est plutôt dans le cas contraire et qu' une pression est exercée par la société sur les communautés qu' elles soient françaises d' origine ou qu' elles soient d' origine immigrée ou euh bon je veux dire in-~ incorporées sous forme d' assimilation ou sous forme de autre dans le cadre de la de la société française il est bien sûr que une pression est exercée sur eux et c' est une réaction c' est-à-dire qu' on a une violence sociale exercée et en réaction ben il y a une gestuelle parmi d' autres qui est la gestuelle langagière et qui permet d' exprimer justement cela par le langage je suis autre on exprime notre révolte employons les termes qu' il faut autre aire du langage alors tous ne sont pas là-dedans mais un certain nombre y sont réellement parce qu' une pression est exercée c' est un peu de l' Archimède cette histoire là exercez une pression par le haut et ben le bas va vous renvoyer GGR: quelque chose et là là nous sommes dans les cités mais il y a aussi des établissements euh scolaires Frédéric Châtelain vous vous êtes dans le treizième arrondissement est-ce que vous pouvez situer cette classe de seconde son recrutement sa population pour qu' on comprenne un petit peu la composante de de de cette classe euh qui finalement est aussi une classe dans lesquels un certain nombre de problèmes que l' on a dans les cités vont euh se retrouver FRC: ben c' est une classe de euh de seconde je dirais lambda pour la périphérie parisienne ou en tous cas les arrondissements périphériques donc j' ai environ dans une classe de trente-deux élèves sept élèves d' origine européenne donc euh un grand mélange de langue d' origine de communauté et ce sont des élèves normaux enfin sympathiques agréables avec des problèmes que beaucoup d' enfants de cet âge là ont des orig-~ originaires de cités H L M du treizième arrondissement mais qui me paraissent pas être très différents de ce qu' on voit en banlieue ou dans des arrond-~ des établissements parisiens moins euh enfin moins selects GGR: quoi donc vous vous avez des asiatiques des des des maghrébins FRC: de des asiatiques beaucoup de de maghrébins des portugais d' origi-~ des portugais j' ai des réunionnais beaucoup d' antillais euh des pakistanais enfin c' est c' est très mélangé et vous disiez que les élèves enfin incorporaient à leur langue des mots de leur culture familiale je trouve que enfin à mon sens c' est plutôt euh un élève qui a qui est meneur parce qu' il il porte des vêtements que son comportement est un comportement de rebelle et donc il est suivi par ses camarades emploie des mots qui sont repris après euh les mots du du lang-~ du langage gitan les mots du berbère de l' arabe même du portugais sont repris par les élèves qui suivent ou qui imitent ce ce leader GGR: et le le langage gitan vient vient d' où euh FRC: euh c' est c' est enfin à Paris ça une rais-~ une raison je crois spé~ spéciale c' est que beaucoup d' élèves de du treizième arrivent du quatorzième arrondissement d' un collège du quatorzième où les gitans sont scolarisés à Paris donc ils ont emprunté à leurs camarades de collège ces mots bon dans ma classe que j' ai c' est réduit à peu de mots c' est gadji gadjo enfin c' est réduit au au basique du gitan si vous voulez GGR: et ce sont des mots que vous entendez surtout euh pas tellement dans la classe mais plutôt dans le dans le couloir dans le voilà FRC: dans le couloir la cour de récré-~ dans le couloir voilà dans l' interclasse enfin ce qui est frappant c' est que d~ durant durant le cours les élèves font un vrai effort pour adhérer au code qu' on apprend à l' école il y a une une volonté un désir de d' accéder à au code des costumes cravates comme vous le disiez et alors bon et l' interclasse déroule parfois dans la salle de cours et durant cet interclasse en cours il y a une sorte de commutation et les élèves reprennent leur langage même si on est dans la salle mais on n' est plus en cours et ça c' est assez frappant GGR: et c' est c' est un un groupe qui n' est pas homogène donc par par exemple les Asiatiques ne réagissent pas de la même façon que les Africains FRC: oui j' ai le sentiment alors ça c' est de la sociologie sauvage que je fais que les Asiatiques sont beaucoup plus dans une dans un désir d' intégration de d' assimilation de conformisme que leurs petits camarades et donc euh ces élèves là connaissent très peu de mots de verlan durant l' enquête de Phosphore dans la classe les élèves étaient complètement euh abasourdis par les mots que leurs camarades connaissaient euh ils n' ont pas cette culture du de la langue jeune de l' argot scolaire de l' argot potache au contraire c' est plutôt des élèves qui qui luttent véritablement chaque jour pied à pied pour acquérir euh thésauriser les mots du langage euh euh soutenu et des costumes cravates GGR: mais mais comment est-ce que les élèves réagissent quand ils s' aperçoivent que vous vous intéressez euh à leurs mots FRC: bon au départ enfin il y a une espèce de de code qui est brisé le prof qui s' intéresse à leurs mots donc c' est toujours un petit peu bon joue là-dessus mais très rapidement les élèves découvrent que ce langage qu' ils emploient est destiné à échapper à l' autorité donc ils lâchent quelques mots et puis ils se rendent compte au bout d' un quart d' heure que mais en fait si je le lui dis ça il va savoir ce que je dis après donc cette fonction de l' argot qui qui est bon classique pas historiquement repéré vous l' aviez signalé euh elle leur apparaît consciente au bout de très peu de temps donc euh hé monsieur si on vous le dis après on pourra plus le dire devant vous sans que vous nous compreniez donc il va falloir qu' on change de mots mais bon je crois que dans ces classes là c' est des élèves qui sont très très très gent-~ très sympathiques agréables quoi et le plaisir de de communiquer au prof ce que eux savent et qui est leur savoir passe par dessus GGR: tout Béatrice Tou~ Toulon en publiant dans Phosphore sur votre enquête sur les codes des du parler jeune est-ce qu' est-ce que vous avez essayé de faire est-ce que vous avez essayé de faire passer un message est-ce que vous avez simplement voulu refléter un état des lieux refléter une situation aussi BEA: euh ben un peu les deux c' est-à-dire qu' au départ c' est sûr qu' on voulait euh on voulait refléter cette cette cette vie intense euh langagière des jeunes et puis euh on a voulu quand même euh aller voir si euh c' était au fond purement euh purement du du du jeu comme ça s-~ ou s' il y avait quand même finalement une culture une vraie culture de cette langue si euh si elle correspondait à quelque chose plus en profondeur et même euh et même historiquement je dirais et on a fait des tas de découvertes quand même intéressantes et et je dirais même valorisante pour pour ces jeunes qui inventent qui inventent cette langue puisque au fond des des linguistes euh euh travaillent dessus et et donnent euh des des beaucoup d' explications et au fond même les jeunes qui utilisent ces ces phrases ces mots ne savent pas qu' en fait ils par par moment ils utilisent tout à fait un vieux système argotique bien connu au dix septième siècle et par quel miracle ces ces ces gosses de de de banlieue ou de de de d' endroit comme ça arrivent finalement à re à fonctionner de cette manière c' est c' est quand même extraordinaire GGR: vous avez donc euh traduit un un aspect un peu jubilatoire de ludique dans qui qui qui transparaît bien dans dans dans ce numéro mais est-ce que vous n' avez pas cherché quand même à atténuer un petit peu la violence verbale de cette expression des des jeunes par exemple à canaliser notamment la violence sexuelle qui s' exprime dans le vocabulaire des jeunes BEA: oui alors euh on n' a pas voulu l' atténuer mais euh disons que il est il est certain on peut pas on peut pas nier il y a il y a deux choses hein il y a de toute façon une violence des mots euh qui qui est utilisée dans le langage d' une manière générale sans qu' il y ait euh forcément enfin qui est utilisée par une grande partie des jeunes une bombe si vous voyez finalement toute une bombe une mururoa euh une criminelle une belle fille alors c' est bon c' est c' est flatteur mais enfin c' est quand même un peu un peu violent mais c' est vrai qu' il y a quand même c' est c' est drôle c' est imagé bon voilà mais euh c' est vrai quand même qu' on a été impressionné c' était d' ailleurs intéressant parce que c' était c' était assez clivant entre des des des univers de jeunes FRC: fille une belle fille XYZ: mais c' est drôle aussi BEA: euh il y avait dans certains certaines banlieues donc euh cités énormément de ce vocabulaire qui portait sur la sur la la la sexualité alors et euh les jeunes d' autres milieux qu' on est allé euh interroger aussi partageaient beaucoup de de de ce vocabulaire sur des tas d' autres domaines mais ils lâchaient assez vite sur la sexualité ils étaient beaucoup beaucoup moins riches je dirais en vocabulaire ce qui veut dire quelque chose