_: | INTRODUCTION sens et objet de la géographie humaine . 1 . - examen critique de la conception de géographie humaine : la géographie humaine est une des branches qui ont récemment poussé sur le vieux tronc de la géographie . S' il ne s' agissait que d' une épithète , rien ne serait moins nouveau . L' élément humain fait essentiellement partie de toute géographie ; l' homme s' intéresse surtout à son semblable , et , dès qu' a commencé l' ère des pérégrinations et des voyages , c' est le spectacle des diversités sociales associé à la diversité des lieux qui a piqué son attention . Ce qu' * Ulysse a retenu de ses voyages , c' est " la connaissance des cités et des moeurs de beaucoup d' hommes " . La géographie botanique s' appuie déjà sur un nombre imposant d' observations et de recherches ; l' exotisme ne se traduit pas moins par les moyens de nourriture et l' aspect physique des hommes , que par les montagnes , les déserts , les fleuves qui forment leur entourage . La géographie humaine ne s' oppose donc pas à une géographie d' où l' élément humain serait exclu ; il n' en a existé de telle que dans l' esprit de quelques spécialistes exclusifs . Mais elle apporte une conception nouvelle des rapports entre la terre et l' homme , conception suggérée par une connaissance plus synthétique des lois physiques qui régissent notre sphère et des relations entre les êtres vivants qui la peuplent . C' est l' expression d' un développement d' idées et non le résultat direct et pour ainsi dire matériel de l' extension des découvertes et des connaissances géographiques . Il semblerait que la grande lumière qui se projeta au XVIe siècle sur l' ensemble de la terre eût pu donner lieu à une véritable géographie humaine . Tel ne fut pas le cas . Les moeurs des habitants tiennent assurément une grande place dans les récits et les compilations que nous a légués cette époque . Mais quand ce n' est pas le merveilleux , c' est l' anecdote qui y domine . Dans ces divers types de sociétés qui défilent sous nos yeux , aucun principe de classification géographique ne se fait jour . Ceux qui , d' après ces données , essayaient de retracer des tableaux ou des " miroirs " du monde , ne se montrent en rien supérieurs à * Strabon . Lorsque , en 1650 , * Bernard * Varenius écrit sa géographie générale , l' oeuvre la plus remarquable qui ait paru avant * Ritter , il emploie à propos des phénomènes humains qui doivent figurer dans les descriptions de contrées , des expressions montrant une condescendance presque dédaigneuse . Ainsi deux siècles de découvertes avaient accumulé des notions sur les peuples les plus divers , sans qu' il s' en dégageât , pour un esprit préoccupé de classification scientifique , rien de satisfaisant et de net ! Cependant la pensée scientifique avait été de longue date attirée par les influences du monde physique et leur action sur les sociétés humaines . Ce serait faire injure à une lignée de penseurs qui va des premiers philosophes grecs à * Thucydide , * Aristote , * Hippocrate et * Eratosthène , que de ne pas tenir compte des vues ingénieuses , parfois profondes , qui sont semées dans leurs écrits . Comment le spectacle varié et grandissant du monde extérieur n' eût -il pas éveillé , par un juste retour sur la marche des sociétés humaines , un écho dans ces écoles philosophiques nées sur les rivages d' * Ionie ? Il s' était trouvé là des penseurs qui , comme * Héraclite , véritable prédécesseur de * Bacon , jugèrent que l' homme , plutôt que de river la recherche de la vérité à la contemplation de " son microcosme " , aurait grande raison d' étendre son horizon et de demander des lumières " au monde plus grand " dont il fait partie . Ils commencèrent par chercher dans le milieu physique l' explication de ce qui les frappait dans le tempérament des habitants . Puis , à mesure que les observations sur la marche des événements et des sociétés s' accumulèrent dans le temps et dans l' espace , on comprit mieux quelle part il convenait d' y assigner aux causes géographiques . Les considérations de * Thucydide sur la * Grèce archaïque , de * Strabon sur la position de l' * Italie , procèdent des mêmes exigences d' esprit que certains chapitres de l' esprit des lois ou de l' histoire de la civilisation en * Angleterre de * Thomas * Buckle . * Ritter s' inspire aussi de ces idées dans son erdkunde , mais il le fait davantage en géographe . Si , par un reste de prévention historique , il assigne un rôle spécial à chaque grande individualité continentale , du moins l' interprétation de la nature reste pour lui le pivot . Au contraire , pour la plupart des historiens et des sociologues , la géographie n' intervient qu' à titre consultatif . On part de l' homme pour revenir par un détour à l' homme . On se représente la terre comme " la scène où se déroule l' activité de l' homme " , sans réfléchir que cette scène elle-même est vivante . Le problème consiste à doser les influences subies par l' homme , à faire la part d' un certain genre de déterminisme s' exerçant à travers les événements de l' histoire . Questions assurément graves et intéressantes , mais qui pour être résolues exigent une connaissance à la fois générale et plus approfondie du monde terrestre qu' il n' était possible de l' obtenir jusqu'à ces derniers temps . II . - le principe de l' unité terrestre et la notion de milieu : l' idée qui plane sur tous les progrès de la géographie est celle de l' unité terrestre . La conception de la terre comme un tout dont les parties sont coordonnées , où les phénomènes s' enchaînent et obéissent à des lois générales dont dérivent les cas particuliers , avait , dès l' antiquité , fait son entrée dans la science par l' astronomie . Suivant l' expression de * Ptolémée , la géographie est " la science sublime qui lit dans le ciel l' image de la terre " . Mais la conception de l' unité terrestre resta longtemps confinée dans le domaine mathématique . Elle n' a pris corps dans les autres parties de la géographie que de nos jours , et surtout par la connaissance de la circulation atmosphérique qui préside aux lois du climat . De plus en plus , on s' est élevé à la notion de faits généraux liés à l' organisme terrestre . C' est avec raison que * Fr. * Ratzel insiste sur cette conception dont il fait la pierre d' angle de son anthropogéographie . les faits de géographie humaine se rattachent à un ensemble terrestre et ne sont explicables que par lui . Ils sont en rapport avec le milieu que crée , dans chaque partie de la terre , la combinaison des conditions physiques . Cette notion de milieu , c' est surtout la géographie botanique qui a contribué à la mettre en lumière , lumière qui se projette sur toute la géographie des êtres vivants . * Alexandre * De * Humboldt avait signalé , avec sa prescience accoutumée , l' importance de la physionomie de la végétation dans la caractéristique d' un paysage , et , lorsqu' en 1836 * H . * Berghaus publia , sous son inspiration , la première édition de son atlas physique , le climat et la végétation y étaient mis nettement en rapport . Cet aperçu fécond ouvrait la voie à une nouvelle série de recherches . Il ne s' agissait plus en effet d' un classement suivant les espèces , mais d' une vue embrassant tout l' ensemble du peuplement végétal dans une contrée , de façon à noter les caractères par lesquels s' exprime l' influence des conditions ambiantes : sol , température , humidité . La physionomie de la végétation est bien le signalement le plus expressif d' une contrée , comme son absence en est un des traits qui nous étonne . Lorsque nous cherchons à évoquer un paysage enfoui dans nos souvenirs , ce n' est pas une plante en particulier , un palmier , un olivier , dont l' image se dresse dans notre mémoire ; c' est l' ensemble des végétaux divers qui revêtent le sol , en soulignent les ondulations et les contours , lui impriment par leur silhouette , leurs couleurs , leur espacement ou leurs masses , un caractère commun d' individualité . La steppe , la savane , la silve , le paysage de parc , la forêt-clairière , la forêt-galerie , sont les expressions collectives qui résument pour nous cet ensemble . Il ne s' agit pas d' une simple impression pittoresque , mais d' une physionomie due aux fonctions mêmes des plantes et aux nécessités physiologiques de leur existence . C' est ce que les observations et les recherches expérimentales de la géographie botanique , surtout depuis qu' elles se sont étendues aux régions tropicales et tempérées , à toutes les inégalités d' altitudes , ont démontré par l' analyse et la comparaison . La concurrence des plantes entre elles est si active qu' il n' y a que les mieux adaptées au milieu ambiant qui parviennent à s' y maintenir . Encore n' est -ce jamais qu' à l' état d' équilibre instable . Cette adaptation s' exprime de diverses manières , la taille , les dimensions et la position des feuilles , le revêtement pileux , les fibres des tissus , le développement des racines , etc. Non seulement chaque plante pourvoit de son mieux à l' accomplissement de ses fonctions vitales ; mais il se forme entre végétaux différents des associations telles que l' une profite du voisinage de l' autre . Quelles que soient les variétés d' espèces qui cohabitent , quelles que soient même les différences extérieures des procédés d' adaptation dont elles usent , il y a dans toute cette population végétale un signalement commun , auquel ne se trompe pas un oeil exercé . Telle est la leçon d' oecologie , que nous devons aux recherches de la géographie botanique : oecologie , c' est-à-dire , suivant les termes mêmes de celui qui a inventé ce nom , la science qui étudie " les mutuelles relations de tous les organismes vivant dans un seul et même lieu , leur adaptation au milieu qui les environne " . Car il est évident que ces relations n' embrassent pas seulement les plantes . Sans doute , les animaux doués de locomotion , et l' homme avec son intelligence , sont mieux armés que la plante pour réagir contre les milieux ambiants . Mais , si l' on réfléchit à tout ce qu' implique ce mot de milieu ou d' environnement suivant l' expression anglaise , à tous les fils insoupçonnés dont est tissée la trame qui nous enlace , quel organisme vivant pourrait s' y soustraire ? En somme , ce qui se dégage nettement de ces recherches , c' est une idée essentiellement géographique : celle d' un milieu composite , doué d' une puissance capable de grouper et de maintenir ensemble des êtres hétérogènes en cohabitation et corrélation réciproque . Cette notion paraît être la loi même qui régit la géographie des êtres vivants . Chaque contrée représente un domaine où se sont artificiellement réunis des êtres disparates qui s' y sont adaptés à une vie commune . Si l' on considère les éléments zoologiques qui entrent dans la composition d' une faune régionale , on constate qu' elle est des plus hétérogènes ; elle se compose de représentants des espèces les plus diverses , que des circonstances , toujours difficiles à préciser , mais liées à la concurrence vitale , ont amenés dans cette contrée . Pourtant ils s' y sont accommodés ; et , si les relations qu' ils entretiennent entre eux sont plus ou moins hostiles , elles sont telles cependant que leurs existences semblent solidaires . Les îles mêmes , pourvu qu' elles aient quelque étendue , ne font pas exception à cette diversité . Nous recueillons chez les naturalistes zoo-géographes , des expressions telles que " communauté de vie " , ou bien " association faunistique " . De quelle application ces données sont -elles susceptibles quant à la géographie humaine ? C' est ce que nous allons rechercher . III . - l' homme et le milieu : mais avant d' aller plus loin , une question se rencontre à laquelle il faut brièvement répondre . Pour la plupart des auteurs anciens auxquels la géographie fait remonter ses titres d' origine , l' idée de contrée est inséparable de celle de ses habitants ; la géographie zoologique , quoique bien moins avancée , compte de fructueuses explorations à son actif : quelles sont les données dont dispose la géographie humaine ? D' où lui viennent -elles ? Sont -elles assez nombreuses pour autoriser les conclusions que nous avons déjà laissé entrevoir ? Dans l' étude des rapports de la terre et de l' homme , la perspective a été changée ; plus de recul a été obtenu . On n' envisageait guère auparavant que la période historique , c' est-à-dire le dernier acte du drame humain , un temps très court par rapport à la présence et à l' action de l' homme sur la terre . L' investigation préhistorique nous a montré l' homme répandu depuis un temps immémorial dans les parties les plus diverses du globe , armé du feu , taillant des instruments ; et , si rudimentaires que paraissent ses industries , on ne saurait considérer comme négligeables les modifications qu' a pu subir , de leur fait , la physionomie de la terre . Le chasseur paléolithique , les premiers cultivateurs néolithiques ont ouvert des brèches et créé aussi des associations dans le monde des animaux et des plantes . Ils ont opéré sur des points divers , indépendamment les uns des autres , comme le prouvent les diversités restées en usage dans les procédés de production du feu . L' homme a influé , plus anciennement et plus universellement qu' on ne pensait , sur le monde vivant . De ce que l' espèce humaine s' est répandue ainsi de bonne heure sur les régions les plus diverses , il résulte qu' elle a eu à se soumettre à des cas d' adaptations multiples . Chaque groupe a rencontré dans le milieu spécial où il devait assurer sa vie , des auxiliaires ainsi que des obstacles : les procédés auxquels il a eu recours envers eux représentent autant de solutions locales du problème de l' existence . Or , jusqu'au moment où , l' intérieur des continents s' étant ouvert , des explorations scientifiques en ont systématiquement observé les populations , un épais rideau nous dérobait ces développements variés d' humanités . Les influences de milieu ne se révélaient à nous qu' à travers une masse de contingences historiques qui les voile . La vision directe de formes d' existence en étroit rapport avec le milieu , telle est la chose nouvelle que nous devons à l' observation systématique de familles plus isolées , plus arriérées de l' espèce humaine . Les services que nous signalions tout à l' heure comme ayant été rendus à la géographie botanique par l' analyse des flores extra-européennes , sont précisément ceux dont la géographie humaine est redevable à la connaissance des peuples restés voisins de la nature , aux naturvolker . quelque part qu' on fasse aux échanges , il est impossible d' y méconnaître un caractère marqué d' autonomie , d' endémisme . il nous fait comprendre comment certains hommes placés en certaines conditions déterminées de milieux , agissant d' après leur propre inspiration , s' y sont pris pour organiser leur existence . N' est -ce pas , après tout , sur ces bases que se sont élevées les civilisations qui ne sont que des accumulations d' expériences ? En grandissant , en se compliquant , elles n' ont pas entièrement rompu avec ces origines . Plusieurs de ces formes primitives d' existence sont périssables ; plusieurs sont éteintes ou en voie d' extinction : soit . Mais elles nous laissent , comme témoins ou comme reliques , les produits de leur industrie locale , armes , instruments , vêtements , etc. , tous les objets dans lesquels se matérialise , pour ainsi dire , leur affinité avec la nature ambiante . On a eu raison de les recueillir , d' en former des musées spéciaux où ils sont groupés et géographiquement coordonnés . Un objet isolé dit peu de chose ; mais des collections de même provenance nous permettent de discerner une empreinte commune , et donnent , vive et directe , la sensation du milieu . Aussi des musées ethnographiques tels que celui qu' a fondé à * Berlin l' infatigable ardeur de * Bastian , ou ceux de * Leipzig ou d' autres villes , sont -ils de véritables archives où l' homme peut s' étudier lui-même , non point in abstracto , mais sur des réalités . Autre progrès : nous sommes mieux instruits sur la répartition de notre espèce , nous savons mieux dans quelle proportion numérique l' homme occupe les diverses parties de la terre . Je n' affirmerais pas qu' on possède un inventaire exact de l' humanité , et que le chiffre de 1 . 700 millions représente positivement celui de nos semblables ; mais ce qui est certain , c' est que grâce à des sondages pratiqués un peu partout dans l' océan humain , à des recensements répétés , à des estimations plausibles , on dispose de chiffres déjà assez précis pour permettre d' établir des rapports . Dans la mobilité qui préside aux rapports de tous les êtres vivants , l' état numérique et territorial de chaque espèce est une notion scientifique de haute valeur . Elle jette un jour sur l' évolution du phénomène . La population humaine est un phénomène en marche ; c' est le fait mis pleinement en évidence , lorsque , par-dessus les statistiques particulières des états , on considère l' ensemble de sa distribution sur le globe . Il y a des parties qu' elle occupe en force , où elle semble avoir utilisé , même outre mesure , toutes les possibilités d' espace . Il y en a d' autres où , sans que des raisons de sol et de climat justifient cette anomalie , elle est restée faible , clairsemée . Comment expliquer ces inégalités , sinon par des courants d' immigration ayant pris naissance en des temps antérieurs à l' histoire et dont la géographie seule peut nous aider à trouver la trace ? Et naturellement aujourd'hui ces contrées négligées deviennent des foyers d' appel pour les mouvements qui agitent l' humanité actuelle . Un des rapports les plus suggestifs est celui qui existe entre le nombre d' habitants et une certaine portion de surface ; autrement dit la densité de population . Si l' on met en regard des statistiques détaillées de population avec des cartes également détaillées , comme en possèdent aujourd'hui presque tous les principaux pays du monde , il est possible , par un travail d' analyse , de discerner des correspondances entre les rassemblements humains et les conditions physiques . On touche ainsi à l' un des problèmes essentiels que soulève l' occupation de la terre . Car l' existence d' un groupement de population dense , d' une cohabitation nombreuse d' êtres humains dans un minimum d' espace , garantissant à la collectivité des moyens assurés de vivre , est , si l' on y réfléchit , une conquête qui n' a pu être réalisée qu' à la faveur de rares et précieuses circonstances . Aujourd'hui les facilités du commerce nous masquent les difficultés qu' ont rencontrées , pour former sur place des groupes compacts , les hommes d' autrefois . Cependant , la plupart des groupements actuels sont des formations qui remontent haut dans le passé ; leur étude analytique permet d' en comprendre la genèse . En réalité la population d' une contrée se décompose , comme l' a bien montré * Levasseur , en un certain nombre de noyaux , entourés d' auréoles d' intensité décroissante . Elle se groupe suivant des points ou des lignes d' attraction . Les hommes ne se sont pas répandus à la façon d' une tache d' huile , ils se sont primitivement assemblés à la façon des coraux . Une sorte de cristallisation a aggloméré sur certains points des bancs de populations humaines . Ces populations y ont , par leur intelligence , accru les ressources naturelles et la valeur des lieux , de telle sorte que d' autres sont venues pour participer , de gré ou de force , aux bénéfices de ce patrimoine , et des couches successives se sont accumulées sur les terrains d' élection . Nous possédons aujourd'hui des données anthropologiques sur quelques-unes des contrées où se sont ainsi superposées des alluvions humaines . L' * Europe centrale , le bassin méditerranéen , l' * Inde anglaise , nous présentent , à titres divers , des exemplaires d' après lesquels il est possible de se rendre compte de la composition des peuplements humains . La complexité de ces peuplements est , d' une façon générale , ce qui nous frappe . Lorsqu' on essaie de distinguer , d' après les indices anthropologiques réputés les plus persistants , les éléments qui entrent dans la population non seulement d' une grande contrée , mais d' une circonscription régionale de moindre étendue , on constate qu' à peu d' exceptions près c' est l' absence d' homogénéité qui est la règle . L' anthropologie distingue en * France des éléments très anciens , remontant aux temps préhistoriques , à côté d' éléments venus ultérieurement , souvent d' une région , d' un département même . Il y a dans cette diversité des degrés qu' expliquent suffisamment la nature et la position des contrées ; mais , dans l' état actuel de l' évolution du peuplement humain , bien rare sont les parties qui semblent avoir entièrement échappé aux flots d' invasions qui ont circulé à la surface de la terre : quelques archipels lointains , quelques cantons montagneux , tout au plus . Même dans la région des silves africaines , les nègres de haute taille et les pygmées à teint plus clair coexistent en rapports réciproques . On peut dès à présent considérer comme acquise , contrairement aux habitudes du langage courant qui les confond sans cesse , la distinction fondamentale du peuplement et de la race . Sous les conformités de langue , de religion et de nationalité , persistent et ne laissent pas de travailler les différences spécifiques implantées en nous par un long atavisme . Cependant ces groupes hétérogènes se combinent dans une organisation sociale qui fait de la population d' une contrée , envisagée dans son ensemble , un corps . Il arrive parfois que chacun des éléments qui entrent dans cette composition s' est cantonné dans un genre de vie particulier : les uns chasseurs , les autres agriculteurs , les autres pasteurs ; on les voit , en ce cas , coopérer , unis les uns aux autres par une solidarité de besoins . Le plus souvent , à l' exception de quelques molécules obstinément réfractaires tels que gypsies , gitanes , tziganes , etc . - dans nos sociétés d' * Europe , l' influence souveraine du milieu a tout rallié à des occupations et à des moeurs analogues . Des signes matériels traduisent ces analogies . Telle est la force assouplissante qui prévaut sur les différences originelles et les combine dans une adaptation commune . Les associations humaines , de même que les associations végétales et animales , se composent d' éléments divers soumis à l' influence du milieu . On ne sait quels vents les ont réunis , ni d' où , ni à quelle époque ; mais ils coexistent dans une contrée qui , peu à peu , les a marqués de son empreinte . Il y a des sociétés de longue date incorporées au milieu , mais il y en a d' autres en formation , qui vont se recrutant et se modifiant de jour en jour . Sur celles -ci , malgré tout , les conditions ambiantes exercent leur pression et on les voit en * Australie , au * Cap , ou en * Amérique , s' imprégner aussi des lieux où se déroulent leurs destinées . Les boers ne réalisent -ils pas un des plus remarquables types d' adaptation ? iv . - l' homme facteur géographique : par-dessus le localisme dont s' inspiraient les conceptions antérieures , des rapports généraux entre la terre et l' homme se font jour . La répartition des hommes a été guidée dans sa marche par le rapprochement et la convergence des masses terrestres . Les solitudes océaniques ont divisé des oecoumènes longtemps ignorantes les unes des autres . Sur l' étendue des continents les groupes qui ont essaimé çà et là , ont rencontré entre eux des obstacles physiques qu' ils n' ont surmontés qu' à la longue : montagnes , forêts , marécages , contrées sans eau , etc. La civilisation se résume dans la lutte contre ces obstacles . Les peuples qui en sont sortis vainqueurs ont pu mettre en commun les produits d' une expérience collective , acquise en divers milieux . D' autres communautés ont perdu , par un long isolement , la faculté d' initiative qui avait mis en oeuvre leurs premiers progrès ; incapables de s' élever par leurs propres forces au-dessus d' un certain stade , elles font songer à ces sociétés animales qui semblent avoir épuisé la somme de progrès dont elles étaient susceptibles . Aujourd'hui toutes les parties de la terre entrent en rapport ; l' isolement est une anomalie qui semble un défi , et ce n' est plus entre contrées contiguës et voisines , mais entre contrées lointaines qu' est le contact . Les causes physiques dont les géographes s' étaient précédemment attachés à montrer la valeur , ne sont pas pour cela négligeables ; il importe toujours de marquer l' influence du relief , du climat , de la position continentale ou insulaire sur les sociétés humaines ; mais nous devons envisager leurs effets conjointement sur l' homme et sur l' ensemble du monde vivant . C' est ainsi que nous pouvons le mieux apprécier le rôle qu' il convient d' attribuer à l' homme comme facteur géographique . Actif et passif , il est à la fois les deux . Car , suivant le mot bien connu , " natura non nisi parendo vincitur " . Un éminent géographe russe , * M. * Woeïkof , a fait remarquer que les objets soumis à la puissance de l' homme sont surtout ce qu' il appelle " les corps meubles " . Il y a en effet sur la partie de l' écorce terrestre qui est directement soumise à l' action mécanique des eaux courantes , des gelées , des vents , des plantes par leurs racines , des animaux par les transports de molécules et le piétinement , un résidu de désagrégation sans cesse renouvelé , disponible , susceptible de se modifier et d' accueillir des formes diverses . Dans les parties les plus ingrates du * Sahara les dunes sont le dernier asile de la végétation et de la vie . L' action de l' homme trouve plus de facilités à s' exercer dans les contrées où ces matériaux meubles sont répartis avec abondance que dans celles où une carapace calcaire , une croûte latéritique par exemple ont endurci et stérilisé la surface . Mais il faut ajouter que la terre elle-même , suivant l' expression de * Berthelot , est quelque chose de vivant . Sous l' influence de la lumière et d' énergies dont le mécanisme nous échappe , les plantes absorbent et décomposent les corps chimiques ; les bactéries fixent dans certains végétaux l' azote de l' atmosphère . La vie , transformée en passant d' organismes en organismes , circule à travers une foule d' êtres : les uns élaborent la substance dont se nourrissent les autres ; quelques-uns transportent les germes de maladies qui peuvent détruire d' autres espèces . Ce n' est pas seulement à la faveur des agents inorganiques que se produit l' action transformatrice de l' homme ; il ne se contente pas de mettre à profit , avec sa charrue , les matériaux de décomposition du sous-sol ; d' utiliser les chutes d' eau , la force de pesanteur accrue par les inégalités du relief ; il collabore avec toutes ces énergies vivantes qui se groupent et s' associent suivant les conditions de milieu . Il entre dans le jeu de la nature . Ce jeu n' est pas exempt de péripéties . Il faut remarquer que , dans beaucoup de parties de la terre , sinon dans la totalité , les conditions de milieu déterminées par le climat n' ont pas la fixité que semblent leur attribuer les moyennes enregistrées par nos cartes . Le climat est une résultante qui oscille autour d' une moyenne , plutôt qu' il ne s' y tient . Les données beaucoup trop imparfaites encore que nous possédons , ont toutefois mis en lumière le fait que ces oscillations semblent avoir un caractère périodique , c' est-à-dire qu' elles persistent plusieurs années tantôt dans un sens , tantôt dans un autre . Des séries pluvieuses alternent avec des séries sèches ; et si ces variations n' apportent pas grand trouble dans les contrées abondamment arrosées , il n' en est pas de même dans celles qui ne reçoivent que le minimum nécessaire . On comprend la portée de cette observation , car l' intervention de l' homme peut consolider le moment positif , asseoir sur un état temporaire un état fixe , fixe du moins jusqu'à nouvel ordre . Prenons un exemple : du nord de l' * Afrique au centre de l' * Asie , les observateurs sont frappés de spectacles de désolation qui contrastent avec les vestiges de culture et les ruines qui attestent une ancienne prospérité . Celle -ci reposait sur le fragile échafaudage de travaux d' irrigation , grâce auxquels auxquels l' homme réussissait à étendre aux périodes sèches le bénéfice des périodes humides . Que la fonction bienfaisante soit interrompue quelque temps , tous les ennemis que combattait l' irrigation prendront le dessus . Surtout , chose plus grave , l' adaptation aura pris un autre cours . D' autres habitudes auront prévalu chez les hommes ; leur existence sera liée à d' autres moyens , à d' autres êtres exigeant d' autres disponibilités d' espace . La forêt n' a pas de plus grand ennemi que le pasteur ; les digues et les canaux ont un adversaire acharné dans le bédouin dont elles gênent les pérégrinations . L' action de l' homme tire sa principale puissance des auxiliaires qu' elle mobilise dans le monde vivant : plantes de culture , animaux domestiques ; car il met ainsi en branle des forces contenues , qui trouvent grâce à lui le champ libre , et qui agissent . La plupart des associations végétales formées par la culture se composent d' éléments primitivement dispersés . C' étaient des plantes nichées sur des pentes exposées au soleil , ou sur les bords des fleuves , qu' avait reléguées sur certains points la concurrence d' espèces groupées en plus grandes masses et constituées en plus gros bataillons . Du cantonnement propice où elles s' étaient retranchées , ces plantes , que la reconnaissance des hommes devait un jour bénir , guettaient le moment où des circonstances nouvelles leur livreraient plus d' espace . L' homme , en les adoptant dans sa clientèle , leur a rendu ce service , il les a déliées . Du même coup , il a frayé la route à un cortège de végétaux ou d' animaux non conviés ; il a substitué des associations nouvelles à celles qui avaient avant lui pris possession de l' espace . Jamais , sans l' homme , les plantes de culture qui couvrent aujourd'hui une partie de la terre , n' auraient conquis sur les associations rivales l' espace qu' elles occupent . Faut -il donc penser que , si la main de l' homme se retirait , les associations aux dépens desquelles desquelles elles se sont étendues , reprendraient leurs droits ? Rien de moins certain . Une nouvelle économie naturelle peut avoir eu le temps de se substituer à l' ancienne . La forêt tropicale en disparaissant a fait place à la brousse ; et ce changement , en modifiant les conditions de lumière , a éliminé en partie les êtres qu' elle abritait , notamment les glossines redoutables qui en écartaient d' autres espèces . Ailleurs c' est le sous-bois qui , sous forme de maquis ou de garrigues , a succédé à la forêt : d' autres enchaînements se sont produits , transformant aussi bien le milieu vivant que les conditions économiques . On entrevoit qu' un champ nouveau , presque illimité , s' ouvre aux observations , peut-être à l' expérimentation . En étudiant l' action de l' homme sur la terre , et les stigmates qu' a déjà imprimées à sa surface une occupation tant de fois séculaire , la géographie humaine poursuit un double objet . Elle n' a pas seulement à dresser le bilan des destructions qui , avec ou sans la participation de l' homme , ont si singulièrement réduit depuis les temps pliocènes le nombre des grandes espèces animales . Elle trouve aussi , dans une connaissance plus intime des relations qui unissent l' ensemble du monde vivant , le moyen de scruter les transformations actuellement en cours et celle qu' il est permis de prévoir . à cet égard , l' action présente et future de l' homme , maître désormais des distances , armé de tout ce que la science met à son service , dépasse de beaucoup l' action que nos lointains aïeux ont pu exercer . Félicitons-nous -en , car l' entreprise de colonisation à laquelle notre époque a attaché sa gloire , serait un leurre si la nature imposait des cadres rigides au lieu d' ouvrir cette marge aux oeuvres de transformation ou de restauration qui sont au pouvoir de l' homme . I. RÉPARTITION HOMMES SUR GLOBE chapitre I. Vue d' ensemble . I . - inégalités et anomalies : pour apprécier les rapports de la terre et de l' homme , la première question qui se pose est celle -ci : comment l' espèce humaine est -elle répartie sur la surface terrestre ? Ou , pour serrer de plus près , dans quelles proportions numériques en occupe -t-elle les différentes contrées ? Il est à présumer , en effet , bien que le critérium ne soit pas infaillible , que l' homme , rare ou nombreux , en groupes denses ou clairsemés , imprime au sol une marque plus ou moins durable , que son rôle est plus actif ou plus passif , qu' il s' exerce en tout cas d' une façon différente . Le géographe ne peut se contenter des chiffres que fournissent les statistiques officielles . Il faut bien qu' il y joigne les données que peuvent lui fournir des sources diverses , puisqu' il s' agit de déterminer , par la comparaison des espaces disponibles et des effectifs , jusqu'à quel degré est accomplie actuellement l' occupation humaine de la terre . Toutes les parties de la surface terrestre doivent entrer en ligne de compte ; ce qui , malgré l' insuffisance de certains renseignements , n' a rien aujourd'hui de chimérique . L' ensemble seul a une pleine signification , précisément par les différences , les contrastes et anomalies qu' il découvre . Ces anomalies ne laissent pas d' être suggestives . L' aire de répartition d' une espèce , qu' il s' agisse de l' homme ou de toute autre espèce vivante , n' est pas moins instructive par les lacunes et les discontinuités qu' elle révèle , que par les étendues qu' elle couvre . On estime que la population de la terre , en 1913 , s' élève environ à 1 . 631 . 517 . 000 habitants . D' où il résulterait , pour l' ensemble de la terre , une densité moyenne de 11 habitants par kilomètre carré : chiffre qu' on peut traiter de pure abstraction , car , entre le maximum atteint par les civilisations avancées et le minimum réalisé par les sociétés rudimentaires , il ne correspond à aucune étape qui semble durable dans les contrées en voie de peuplement . Or , comment cette population est -elle répartie ? Les deux tiers des habitants de la terre sont concentrés dans un espace qui n' est que le septième de sa superficie . L' * Europe , l' * Inde , la * Chine propre et l' archipel du * Japon absorbent à eux seuls plus d' un milliard d' habitants . C' est dans ce groupe de territoires , isolés les uns des autres , restés longtemps sans rapports directs , que se sont rassemblés tous les gros bataillons . Un autre groupe , il est vrai , s' avance depuis un siècle à pas de géant : on compte , en 1910 , plus de 101 millions d' habitants aux * états- * Unis . Ce chiffre , toutefois , n' égale pas encore le quart de la population de l' * Europe , à superficie à peu près égale . Bien plus fortement s' accusent les différences , si on les calcule entre contrées situées au nord et contrées situées au sud de l' équateur . La zone tempérée est loin d' atteindre sans doute dans l' hémisphère austral la même étendue que dans le nôtre ; mais si l' on compare la population du sud du * Brésil , des états de la * Plata , du * Chili , du * Cap , de l' * Australie et de la * Nouvelle- * Zélande à celle qui occupe des régions correspondantes et ni plus ni moins favorisées dans notre hémisphère , la disproportion , malgré les accroissements récents qui modifient peu à peu la balance , reste encore extrêmement marquée . Il faut évaluer à 15 millions environ de kilomètres carrés , une fois et demie l' * Europe , l' étendue des contrées tempérées de l' hémisphère austral ; et ce n' est guère , tout compte fait , qu' au chiffre de 26 à 27 millions qu' on peut en estimer la population actuelle . Un certain rapprochement tend sans doute à s' opérer entre ces chiffres ; mais combien grande est encore la distance à conquérir , si tant est qu' elle doive être conquise ! On peut dire que , avant l' essor inouï de l' émigration européenne au XIXe siècle , phénomène qui représente un point tournant dans l' évolution du peuplement humain , la répartition de notre espèce sur le globe ne différait guère de ce que l' on observe aujourd'hui , par exemple , à * Madagascar , où plus du tiers de la population s' accumule sur un espace qui n' est que le vingtième de l' île . De telles inégalités sont -elles justifiées par les conditions naturelles ? La multiplication de l' espèce humaine rencontre de graves obstacles , en partie insurmontables , soit dans une surabondance de vie végétale et microbienne , étouffant l' activité de l' homme , comme c' est le cas dans les silves équatoriales ; soit dans une pénurie qui , par insuffisance d' eau ou de chaleur , anémie en quelque sorte toutes les sources d' existence . Au contraire , la clémence du climat , l' abondance spontanée des moyens de nourriture sont des circonstances propices . On a essayé , à la suite de * Candolle , de dresser le bilan des plantes nourricières d' après l' origine : si parmi les régions les plus favorisées on compte le domaine méditerranéen et l' * Inde , le * Soudan pourrait y figurer au même titre , et l' on ne voit pas que sa contribution ait jamais été bien forte au peuplement du globe . Un critérium plus sûr serait dans les facilités d' acclimatation qu' offrent certains climats . Celui , par exemple , où une période pluvieuse et chaude de quatre à cinq mois succède à des hivers de température et d' humidité modérées , permet à la végétation d' accomplir par an deux cycles et à l' homme de pratiquer deux récoltes . Les européens s' émerveillent du changement à vue qui , de mai à juin , transforme les campagnes du sud du * Japon . Aux joies bruyantes de la moisson succède en un clin d' oeil l' activité silencieuse des nouveaux germes qu' on vient de déposer dans le sol . Ce régime , qui est celui de l' * Asie des moussons , a sûrement stimulé la fécondité humaine ; mais l' a -t-il fait partout ? Un autre type de climat favorable , quoique moins libéral en somme , est celui qui ménage à la végétation , après une interruption hivernale , une période d' au moins six mois de température dépassant 10 degrés , avec des pluies suffisantes . Le cycle est assez long pour ouvrir à l' acclimatation une marge considérable ; il est peu de céréales qui n' y trouvent place , et avec elles nombre d' arbres fruitiers et de légumineuses . Cette heureuse variété , par les compensations qu' elle offre et les garanties contre ce danger de famine qui fut le cauchemar des anciennes sociétés humaines , est assurément une des circonstances les plus propices qu' ait pu rencontrer leur développement . Aucune de ces causes ne peut être négligée ; aucune ne peut suffire . Tout ce qui touche à l' homme est frappé de contingence . De toutes parts , à côté de domaines propices où l' homme a multiplié , on peut en signaler de semblables dont les effets ont été faibles ou nuls : à côté du * Bengale surpeuplé , l' * Assam et même la * Birmanie faiblement occupés ; à côté du * Tonkin , le * Laos . Et qu' était , avant le dernier siècle , cette vallée du * Mississipi dont le climat , avec ses pluies de printemps et de commencement d' été , est , au dire de * A . * W. * Greely , " une des principales bases sur lesquelles repose la prospérité de la grande république " ? Un terrain de chasse qui , devenu terrain agricole , ne peut opposer à l' * Europe qu' une densité inférieure à 20 habitants par kilomètre carré . La même impression d' inégalité et d' anomalie nous frappe , si nous tournons notre attention vers ces marches-frontières de la terre habitée que l' homme n' occupe qu' à son corps défendant , sans doute sous la pression des populations voisines . Notre race a poussé des avant-postes dans les hautes altitudes , dans les déserts , dans les régions polaires . Il y a , dans cette extension de l' homme en dépit du froid , de la sécheresse , de la raréfaction de l' air , un défi qui est bien une des affirmations les plus remarquables de son hégémonie sur la nature . Dans ces domaines qui semblaient pour lui frappés d' interdit , l' homme s' est avancé ; mais pas partout du même pas . La force d' impulsion qui a poussé l' humanité hors de ses limites naturelles , s' est exercée inégalement suivant les régions . C' est dans l' hémisphère boréal de l' ancien continent que les régions désertiques ont le plus d' étendue ; elles sont pourtant relativement moins dépourvues de population que les parties arides de l' * Amérique et de l' * Australie . L' homme a réussi à s' y accrocher à tout ce qui pouvait lui donner quelque prise . Les explorations qui de nos jours ont pénétré au plus profond des continents nous permettent de circonscrire à peu près les parties où l' homme ne paraît qu' à la dérobée et en fugitif . L' * Arabie a le * Dahna ; l' * Iran , ses * Khévir et ses * Karakoum ; le * Turkestan , son * Taklamakan ; le * Tibet , ses lugubres plateaux que l' on traverse des semaines entières sans rencontrer un être humain . Le * Sahara oriental , dans le désert de * Libye , qui a pourtant ses oasis , et le * Sahara occidental , dans le * Tanesrouft , sont des déserts au sens absolu . Mais , en dehors de ces parties tout à fait déshéritées , nous remarquons que , dans ces régions arides d' * Afrique et d' * Asie , pour peu que s' offre un espace moins inhospitalier , une population s' en est emparée . Dès qu' un peu d' eau apparaît ou se laisse soupçonner , l' homme , guettant ces points d' élection , a creusé des puits , pratiqué des canalisations qu' il a prolongées parfois par un effort sans cesse renaissant , obstiné devant l' aggravation des sévérités du climat à avoir tout de même le dernier mot . Il lutte comme agriculteur ; il lutte aussi comme pasteur , rôdant de pâturages en pâturages , à mesure qu' ils s' épuisent , ce qui ne tarde guère . On a dit de ces tribus touareg que , si peu nombreuses qu' elles soient , elles sont encore en excès par rapport aux ressources de la contrée . Si donc il y a des contrées où l' on s' étonne de trouver trop peu d' hommes , il y en a d' autres où l' on peut s' étonner à bon droit d' en rencontrer trop . Les hautes altitudes sont l' équivalent des déserts . à 5 . 000 m. , la pression de la colonne d' air a déjà diminué de moitié , les sources de chaleur vitale s' appauvrissent dans l' oxygène raréfié ; et cependant , dès 400 ou 500 m . Au-dessous de cette altitude , au * Tibet , commencent à se montrer quelques bourgades en pierre et des rudiments de culture . Presque aussi haut , sur les plateaux du * Pérou et de la * Bolivie , se hasardent quelques établissements miniers et quelques lopins de terre . C' est dans les climats secs , exempts des brouillards intenses et de l' humidité équatoriale , que l' habitat permanent atteint ses plus grandes altitudes : il s' épanouit entre 3 . 000 et 2 . 000 m . Sur les plateaux tropicaux de la région sèche , au * Mexique comme en * Abyssinie et dans l' * Yémen . Point de différence en cela entre l' ancien et le nouveau monde ; ces hauts plateaux furent même le séjour de prédilection des civilisations américaines . Mais , dans les montagnes de la zone tempérée , les choses ont pris un cours différent . La zone des pâturages , qui surmonte celle des forêts , est fréquentée dans le * Pamir , l' * Alaï , les * Tian- * Chan , par les pâtres kirghiz à des hauteurs dépassant 4 . 000 m . Moins élevés , quoique dépassant parfois 3 . 000 m. , sont les yaïlas , domaines où s' est implantée la vie pastorale des kourdes et des turcomans . Enfin le mot * Alpes était déjà connu des anciens comme synonyme de hauteurs et de pâturages . Cette annexion régulière des hautes altitudes à la vie économique n' avait jusqu'à nos jours rien d' équivalent dans les parcs des montagnes * Rocheuses , les paramos des * Andes , sans qu' aucune raison de climat ni même de faune justifiât ces différences . Sans doute la présence de l' homme n' y est que temporaire ; mais c' est précisément à l' envergure de ses migrations et de l' espace qu' elles englobent , que se mesure , dans ces régions en marge , la force d' expansion de l' humanité . La plus sensible inégalité , en somme pourtant , est celle qui se révèle entre le nord et le sud , entre l' hémisphère continental et l' hémisphère océanique , l' arctogée et la notogée de certains zoologues . C' est un fait remarquable que l' existence d' une chaîne de populations adaptées , sur presque toute l' étendue du front que les terres opposent au pôle boréal : de la péninsule des tchouktches à la * Laponie , du * Groenland à l' * Alaska . Numériquement faibles , elles rachètent cette infériorité par l' amplitude de leurs mouvements . On a trouvé des traces d' établissements temporaires jusqu'au jusqu'au delà de 80 degrés de latitude dans le * Groenland . L' habitat ne saurait avoir , dans ces parages , de limites fixes . Un perpétuel va-et-vient y est la loi d' existence des animaux et des hommes . Il y a un flux et un reflux dans cette marée humaine qui bat les abords inhospitaliers du pôle septentrional . Nulle trace de cette énergie d' expansion , de cette force de conquête , ne se montre dans les extrémités méridionales que projettent les continents en face du pôle opposé . Le climat n' eût pas été plus défavorable ; tout au contraire . Les étapes intermédiaires n' eussent pas manqué entre la * Terre * De * Feu et les terres antarctiques ; la distance de 700 à 800 kilom . Qui les sépare n' eût pas été au delà des moyens de navigateurs tels que les eskimaux . Et pourtant , il n' a pas été trouvé trace humaine dans l' intérieur des fiords relativement abrités de la terre de * Graham , à la latitude de l' * Islande . L' effort a langui faute d' espace ; et l' infériorité relative que l' on constate chez les mammifères de l' hémisphère austral semble s' être étendue aux hommes . Il résulte de ce qui précède que la répartition des hommes ne s' explique pas par la valeur des contrées . Celui qui , jetant un regard de connaisseur sur les climats et les sols , essayerait d' en déduire le degré d' occupation humaine , s' exposerait à des mécomptes . Le calcul d' un fermier supputant les probabilités de récoltes d' après les qualités de ses champs , n' est pas de mise pour le géographe . Une foule d' anomalies nous avertissent que la répartition actuelle de l' espèce humaine est un fait provisoire , issu de causes complexes , toujours en mouvement . Actuellement , nous constatons , dans un coup d' oeil d' ensemble , un chiffre approximatif représentant le total des hommes très inégalement répartis sur la surface terrestre . Cet état n' est qu' un point , et nullement un point d' équilibre , dans une évolution dont nous ne pouvons encore saisir que très imparfaitement les allures . Parmi les causes dont il dérive , il y en a qui persistent , d' autres qui s' éteignent , d' autres qui entrent en jeu . Le résultat actuel est essentiellement mobile et provisoire ; néanmoins , c' est un résultat , ayant comme tel la valeur d' un point de perspective , d' où il est possible d' observer rétrospectivement la marche des phénomènes , et peut-être de hasarder quelques prévisions . Sur ce point , toutefois , une grande réserve s' impose . On a exprimé , au XVIIIe siècle , l' opinion que la terre pourrait tout au plus nourrir trois milliards d' habitants . Il suffirait à ce compte que la population actuelle doublât , comme elle a fait en * Europe au XIXe siècle , pour que le plein fût dépassé . Témoins du peuplement actif de nombre de contrées nouvelles , nous sommes tentés aujourd'hui de nous croire en marche vers des totaux bien supérieurs . Nous pourrions peut-être nous tromper aussi , et exagérer les chances futures de population , comme nos devanciers étaient enclins à les réduire . Rien ne dit qu' il y ait , entre régions analogues , une densité normale atteinte par les unes , vers laquelle les autres s' acheminent . Il y a trente ou quarante ans , une des contrées les plus fertiles du monde , celle des prairie states , au centre des * états- * Unis , s' est élevée presque d' un bond à 16 ou 17 millions d' âmes ; ce chiffre ne représente en somme qu' une densité de 15 à 20 habitants par kilomètre carré , bien inférieure à celle des contrées agricoles d' * Europe ; et il ne semble pas , d' après les derniers recensements , qu' il y ait tendance à le dépasser . La civilisation contemporaine met en mouvement , à côté de causes qui favorisent l' accroissement de la population , d' autres causes qui tendraient plutôt à la réduire . Si ce sont surtout les premières qui ont agi pendant le XIXe siècle , il se pourrait que les autres prissent le dessus au cours des générations suivantes . ii . - le point de départ . on pourrait penser que les irrégularités que présente la répartition de l' espèce humaine sont dues à un état d' évolution peu avancée . L' homme étant nouveau-venu dans certaines parties de la terre , on s' expliquerait que ces régions n' eussent pas encore le nombre d' habitants que mériteraient leurs ressources . Elles n' auraient commencé que tard à être atteintes par la marée montante du flot humain . Mais cette vue n' est pas confirmée par les faits ; car il semble que , presque sur tous les points de la terre , l' homme est un hôte déjà très ancien . Les recherches qui ont été poussées de nos jours dans les parties les plus diverses de la surface terrestre ont mis à jour , soit sous forme de squelettes , soit sous forme d' objets travaillés , des traces presque universelles de l' antique présence de l' homme . Des enquêtes systématiques dans l' * Amérique du nord ont conclu à la diffusion générale de l' homme quaternaire sur ce continent . Ni dans l' * Amérique du sud , ni au * Cap , ni en * Australie , c' est-à-dire dans les parties de la terre qu' on pourrait croire arriérées , les antiques vestiges humains ne font défaut . C' est un fait acquis que dès les âges dits paléolithiques , tandis que les glaciers qui avaient envahi une partie des continents n' avaient pas encore accompli leur retrait définitif , l' humanité avait déjà réalisé un progrès qui constitue , dans la classe supérieure des êtres vivants , une véritable singularité géographique : elle avait étendu son aire d' habitat dans des proportions telles qu' elle équivalait presque à l' ubiquité . Ce privilège de quasi-ubiquité , elle l' avait communiqué déjà , ou devait le communiquer dans la suite , aux animaux entrés dans sa clientèle , notamment au chien , son précoce acolyte . Cette " vaste et précoce diffusion " , suivant l' expression de * Darwin , suppose l' exercice d' une mentalité supérieure ; elle prouve qu' il était de longue date armé des dons intellectuels et sociaux qui pouvaient assurer son succès dans la lutte pour l' existence . Dès lors et pas plus tôt commence l' oeuvre dont nous avons à nous occuper ici , l' oeuvre géographique de l' homme . Les routes de la géographie se détachent à ce moment de celles de l' anthropologie . Par quelle suite d' acquisitions et de perfectionnements , mêlés de pertes à certains égards , l' organisme humain était -il entré en possession de ces précieux avantages ? à l' anthropologie de le rechercher . Nous ne pouvons ici que jeter un regard furtif sur ces questions d' origine . Ce n' est pas le début , mais l' aboutissement d' une longue évolution antérieure qui correspond au moment où l' homme s' est répandu sur la terre . à une époque où ni le climat , ni la configuration des terres et des mers ne correspondaient exactement à l' état actuel , il se présente à nous comme un être constitué de longue date en ses traits fondamentaux , en possession d' une quantité de traits communs qui excèdent de beaucoup la somme des différences . Si intéressant qu' il soit de constater chez l' australien ou le négrito un moindre développement de la colonne vertébrale , une gracilité plus grande des membres inférieurs servant de support au tronc , ces différences sont peu de chose en comparaison de la chaîne de ressemblances physiques et morales qui unit entre eux les membres du genre humain et en fait un tout . Je ne puis parler qu' en passant de l' enquête ethnographique qui , de nos jours , s' est étendue aux peuples les plus divers . Sous les variantes des milieux ambiants , une impression d' unité domine . Comment expliquer qu' à travers ces différences on ait tant d' occasions de constater entre contrées très éloignées des similitudes et des convergences ? Sur les principaux incidents de l' existence , et particulièrement sur la mort , la maladie , la survivance des âmes , des idées qu' on peut regarder comme le triste et universel partage de l' humanité ont engendré des rites , des superstitions , des représentations figurées , masques ou statuettes , tout un matériel ethnographique analogue . Il y a un fond primitif commun , sur lequel l' homme se rencontre à peu près partout semblable à lui-même . Conformément aux mêmes idées il a dressé , aligné , échafaudé des blocs ou simplement amoncelé des pierres pour abriter des sépultures . Suivant les mêmes arrangements il a construit en * Suisse et en * Nouvelle- * Guinée des cases lacustres sur pilotis . On peut se demander si ces analogies ne s' expliquent pas par des emprunts réciproques , car les relations , même à grande distance , n' ont jamais manqué absolument . Les emprunts deviennent toutefois fort invraisemblables entre contrées arides séparées par la zone équatoriale , ou entre contrées tropicales séparées par des océans . Combien n' a -t-il pas fallu de siècles , en * Europe même , pour que l' usage du fer , connu sur les bords de la * Méditerranée , se répandît en * Scandinavie ? L' hypothèse d' emprunts , quand elle ne s' appuie que sur ces analogies mêmes , est gratuite . Il faut se rappeler que nos conceptions et nos habitudes se sont accumulées sur un tuf plus ancien et plus profond qu' on n' imagine . Cette diffusion générale de l' espèce humaine s' effectua par des voies que nous n' avons pas le moyen de retracer . Soit qu' il y ait eu un centre unique de dispersion , soit qu' on admette une pluralité qui , en tout cas , ne put être qu' assez restreinte , il faut que l' humanité ait trouvé devant elle de vastes espaces continus pour se répandre . Un morcellement insulaire eût été incompatible avec les déplacements que suppose cette extension . C' est comme être terrien , par les moyens de locomotion appropriés à son organisme , qu' il put franchir des distances qui nous étonneraient si nous ne savions pas de quoi sont capables les peuples primitifs . La mer n' entra que plus tard au service des migrations humaines . Il est significatif que les tribus vivant à proximité de la mer ou même dans des archipels , comme ces négritos épars sur les côtes méridionales de l' * Asie , soient restées étrangères à toute vie maritime . L' usage de la navigation est un progrès tardivement acquis , qui resta longtemps l' apanage d' un petit nombre , et qu' on ne saurait compter au rang de ces inventions primordiales qui hâtèrent universellement la diffusion de l' humanité . Quand les européens ont étendu leurs découvertes et leurs observations sur l' ensemble du globe , ils ont trouvé beaucoup de tribus qui ignoraient l' usage de la voile , d' autres qui ne pratiquaient pas la poterie , un plus grand nombre auxquelles les métaux étaient inconnus ; mais la possession du feu faisait partie du patrimoine commun . Des trouvailles d' objets calcinés accompagnent les plus anciennes traces de l' homme . La différence des procédés en usage pour obtenir le feu , par frottement , par percussion , ou autres moyens plus particuliers , indique que l' invention dut s' accomplir d' une façon indépendante en différents points de la terre . Il n' est pas interdit de penser que ce fut dans une des régions tropicales à intervalles de saison sèche que l' invention fit fortune . Lorsqu' on nous conte comment les indigènes de l' * Afrique tropicale recueillent , sur une couche d' herbes sèches particulièrement inflammables , la poudre incandescente qu' ils ont fait jaillir en frottant une pièce de bois tendre avec une pièce de bois pointue , il semble qu' on assiste à une des expériences décisives qui donnèrent lieu à la conservation et au transport de la flamme une fois obtenue . Le climat qui met à portée l' un de l' autre le tapis desséché de la brousse et le bois dur , c' est-à-dire le combustible et l' allumette , représente le milieu le plus favorable à la marche de cette invention . C' est là sans doute que vécurent les prométhées inconnus qui parvinrent les premiers à s' approprier cette force incalculable que recélait un jaillissement d' étincelle . L' extension presque universelle d' une très ancienne humanité s' explique par la possession de cette arme . Le feu n' était pas seulement un instrument d' attaque et de défense contre la faune rivale , à laquelle elle avait à disputer son existence ; il lui fournit la possibilité de s' éclairer , de cuire ses aliments . L' homme put ainsi s' accommoder à peu près de tous les climats , disposer d' un plus grand nombre de moyens de nourriture . Il fut plus libre de se mouvoir à travers la création vivante . Ce ne fut , il est vrai , qu' une couche très mince et discontinue que la population qui se répandit ainsi sur la surface de la terre . La comparaison des peuples actuels dont les genres de vie se rapprochent de ceux que pratiquaient ces primitifs , peut donner quelque idée de la densité moyenne qu' ils pouvaient atteindre . Exceptons comme négligeable la minime somme d' habitants relégués au delà du cercle polaire ou dans les déserts intertropicaux : il y a , aux abords de 60 degrés lat . N. , une série de peuples de civilisation relativement fixée , auxquels la chasse et la pêche , accompagnée chez quelques-uns d' un peu d' élevage et d' agriculture , fournissent le principal de leur subsistance . Tchouktches , toungouses , iakoutes , samoyèdes , lapons , etc. , circulent ainsi à travers cet ensemble de forêts , steppes et toundras qui composent dans l' * Asie septentrionale un paysage peu différent de celui où nos paléolithiques de l' * Europe centrale chassaient le renne . Un nomadisme réglé d' après les migrations des animaux , ainsi que la nécessité de ne se mouvoir que par petits groupes : telles sont les conditions actuelles , analogues à celles qu' on entrevoit dans le lointain passé . Elles sont favorables à une large diffusion en espace , comme le prouve l' extension des eskimaux , et elles s' accordent ainsi avec les faits que constate l' archéologie préhistorique . C' est donc une leçon d' archaïsme que nous donne cet état social . Lorsqu' on a essayé d' évaluer en chiffres la population de ces peuples qui garnissent sur une étendue immense la ceinture boréale des continents , les calculs les plus probables ne sont pas arrivés à un total de 500 . 000 habitants : ce n' est pas même 1 par kilomètre carré ; ils ne composeraient pas , à eux tous , la population d' une seule de nos grandes villes de deuxième ordre ! De vastes espaces n' ont pu être occupés autrement pendant la période , décisive déjà pour l' avenir , de la création vivante , où l' homme , armé du feu , entra , nouveau champion , dans l' arène . Ce n' est pas que , dès cette époque , il ne se soit formé sur certains points de premières ébauches de condensations humaines . La pêche , plus que la chasse , y donna lieu . Parmi les amas de rebuts de cuisine ( kjokkenmoddingen ) trouvés sur les côtes de * Danemark , où des débris d' oiseaux et de bêtes sauvages se mêlent à des amoncellements d' arêtes de poissons et d' écailles de mollusques , il y en a qui n' ont pas moins de 400 pieds de long , 120 de large , et jusqu'à 8 pieds de haut . Ils datent d' une époque où l' homme n' avait d' autres instruments que des os ou des silex taillés , ni d' autre animal domestique que le chien . L' abondance du menu , autant que les dimensions des amas , montrent que des groupes relativement nombreux ont vécu là . La mer , au contact des côtes ou des bancs qui favorisent l' accomplissement des fonctions vitales , est une grande pourvoyeuse de nourriture . Des témoins ont décrit , sur les côtes méridionales du * Chili , les scènes qui se déroulent à marée basse , quand non seulement hommes et femmes , mais chiens , porcs et , avec de grands cris , oiseaux de mer accourent vers la provende laissée par le flot , vers la table que quotidiennement la nature tient ouverte à tous ces commensaux . La vie de pêche côtière suppose un certain degré de sédentarité qui s' accommode d' une densité supérieure . C' est elle qui , dès les temps très anciens , a ramassé sur les côtes du * Japon une population de professionnels , vivant de poissons crus , dont le nombre , encore aujourd'hui , égale le vingtième de la population totale de l' empire du soleil-levant . Peut-être a -t-elle contribué aussi à condenser les populations de la * Chine méridionale . Sur les côtes de la * Colombie * Britannique , les ethnologistes américains ont remarqué que les tribus nutkas , thlinkits , haïdas , qui se livraient à la pêche , avaient une densité très supérieure à celle des algonquins vivant de chasse dans l' intérieur des continents . On saisit dans ces faits le premier anneau de chaînes qui ne se sont pas rompues ; on perçoit des conséquences significatives de différences sociales déjà applicables à ces anciens âges . N' exagérons pas cependant . Une contrée que son isolement conserve archaïque , l' * Islande , peut servir de terme de comparaison . Dressée au milieu de l' océan comme un pilier d' appel pour les êtres vivants de l' air et des eaux , elle ménage aux poissons l' abri de ses fiords , aux oiseaux de mer les anfractuosités de ses falaises , à tous des refuges où ils viennent frayer et nicher ; et dans ce pullulement de vie animale ne manquait pas encore il y a un demi-siècle le grand pingouin , l' alca impennis , un des animaux aujourd'hui disparus dont les restes entrent dans la composition des kjokkenmoddingen . la population humaine n' a pas manqué d' affluer aussi à ce rendez -vous , particulièrement sur la côte de l' ouest , baignée par les courants chauds . Les contingents , si clairsemés dans l' intérieur , s' y renforcent . Mais à combien se monte au total la densité de l' étroite bande littorale ? à 9 habitants environ par kilomètre carré . C' est sans doute , par analogie , le maximum qu' on puisse envisager pour les époques primitives . Que sur de vastes espaces , parcourus par des poignées d' hommes , certaines places favorisées en aient retenu ensemble un plus grand nombre : il faut donc l' admettre . Mais ce maximum ancien de densité ne représenterait qu' un minimum dans les conditions actuelles ; c' est le plus que puissent atteindre les libres dons de la nature . Il y a lieu de se demander si cette espèce humaine aux rangs si clairsemés a pu exercer déjà une influence sensible sur la physionomie de la terre . Serf des conditions naturelles , l' homme était -il en mesure de les modifier ? Il ne faudrait peut-être pas se hâter de conclure par la négative . Les usages du feu sont multiples ; rien ne prouve qu' il se soit borné à allumer des foyers fugitifs , comme ceux qui noircissent pour quelques jours le sol , là où a stationné un campement de nomades . L' idée de ménager des espaces découverts est née , comme la domestication du chien , d' un besoin de sécurité et de vigilance , qui semble avoir présidé dès les premiers temps aux moindres établissements humains . à défaut d' instruments capables de venir à bout des arbres , le feu offrait le moyen d' extirper la végétation parasite , de dégager le sol environnant , d' écarter les possibilités d' embuscades et de surprises . L' humidité du climat ne protège la forêt que lorsqu' elle n' est pas interrompue périodiquement par le retour de longs mois de sécheresse . Les incendies de brousse qui avaient frappé le navigateur * Hannon le long des côtes du * Sénégal , se pratiquent encore en grand jusque dans les parties les plus intérieures de l' * Afrique . La cendre de certaines plantes fournit le sel , condiment essentiel de nourriture ; l' herbe croît plus fine et plus savoureuse , plus recherchée par les antilopes , à la suite des incendies qui ont amendé le sol . Et si le chasseur tire parti de ces avantages , il n' est pas dit qu' ils aient passé inaperçus pour ceux de ses compagnons ou de ses compagnes qui pratiquaient déjà la cueillette de certaines graines alimentaires . L' usage de semer des grains sur brûlis , pour en tirer successivement deux ou trois récoltes , est une des formes les plus universellement répandues de culture primitive . Elle s' associe naturellement à la vie de chasse ; comme on le voit encore chez les tribus gonds , bhils ou autres , qui hantent les plateaux herbeux de l' * Inde centrale . Beaucoup de parties de la terre ont échappé sans doute à toute modification sensible pendant ces périodes , puisqu' il en reste encore aujourd'hui que l' action de l' homme n' a pas atteintes . Mais il n' en fut pas de même partout . Le paysage naturel fut entamé à l' endroit le plus sensible . La réduction de l' étendue forestière au nord et au sud de la zone équatoriale est un fait qui frappe les observateurs spéciaux . L' existence de nombreux représentants du sous-bois dans des espaces aujourd'hui découverts , la transformation de lianes qui , d' aériennes , sont devenues quasi souterraines pour s' adapter à de nouvelles conditions d' existence , semblent indiquer qu' une partie du domaine immense occupé par la savane a été taillé aux dépens de la forêt . Si l' on voit celle -ci , dès qu' on s' éloigne de quelques degrés de l' équateur , se réfugier , pourchassée des plateaux et des croupes , dans les ravins et vallées , le climat seul n' est pas responsable de cette élimination . Beaucoup de vestiges de l' âge de pierre , par exemple dans le * Fouta- * Djalon et le * Soudan occidental , nous avertissent qu' il faut beaucoup tenir compte de l' homme . C' est dans ces régions que s' est déroulé le premier acte de cette lutte aveuglément sans merci que l' homme a engagée et qu' il poursuit encore contre l' arbre . Son action s' exerçait à cet égard , de complicité avec la puissante faune d' herbivores que l' époque miocène avait répandue dans le monde . Réunies par bandes énormes , telles que les ont décrites avec stupéfaction certains observateurs , dans l' * Afrique centrale , les antilopes sont , à certains moments de l' année , une armée dévorante , dont les jarrets nerveux étendent au loin les ravages . D' immenses quantités de nourriture herbacée ont dû alimenter les besoins de ces troupeaux d' hémiones , onagres , chevaux , éléphants sauvages , ainsi que de ces bisons qui , avant 1870 , s' étaient multipliés par plusieurs dizaines de millions dans les prairies des * états- * Unis . L' herbe renaît à la pluie suivante , mais les jeunes pousses d' arbres sont détruites . Dans la concurrence toujours allumée entre l' herbe et l' arbre , l' action de ces armées d' herbivores , dont nous ne voyons plus aujourd'hui que des effectifs réduits , pesa certainement d' un grand poids . L' homme , plus tard , eut à les combattre pour défendre contre eux ses cultures ; mais à l' origine il avait trouvé en elles des auxiliaires pour l' aider à se faire place nette . chapitre II . Formation de densité . I . - groupes et surfaces de groupements : depuis l' époque lointaine où l' espèce humaine se répandit sur les continents , elle a peu gagné en diffusion . Les progrès accomplis sous ce rapport dans la période qui nous est connue se réduisent à peu de choses : quelques îles au centre de l' * Atlantique et surtout dans l' océan * Indien et les mers australes . Que les * Mascareignes , à 150 lieues seulement de * Madagascar , fussent restées un asile où vivait en paix , avant l' arrivée récente de l' homme et du chien , le dronte ( dudo ineptus ) , cela ne laisse pas de surprendre . Le flot humain a fini par atteindre ces rogatons terrestres ; mais à ces maigres annexions se borne à peu près le bilan des conquêtes récentes de l' oecoumène . en revanche , la population a gagné prodigieusement , quoique inégalement , en densité . Elle s' est moins accrue en étendue qu' elle ne s' est localisée en profondeur . Il faut s' unir pour collaborer , en vertu des nécessités primordiales de la division du travail ; et d' autre part des difficultés s' opposent à la coexistence de forces nombreuses réunies . Tel fut le dilemme qui s' est posé aux sociétés les plus rudimentaires , aussi bien qu' il se pose aux civilisations les plus avancées . Il n' y a pas d' hiatus entre les deux , mais seulement des différences de degrés . Quelle que soit l' importance des groupes dont il fait partie , l' homme n' agit et ne vaut géographiquement que par groupes . C' est par groupes qu' il agit à la surface de la terre ; et même dans les contrées où la population semble former un ensemble des plus cohérents , elle se résoudrait , si l' on regardait de près , en une multitude de groupes ou de cellules vivant , comme celles du corps , d' une vie commune . groupes moléculaires . - ces groupes sont en dépendance manifeste de la nature des contrées . Comme les plantes se rabougrissent à défaut de chaleur ou d' humidité , ainsi se racornissent en pareilles conditions les groupes humains . Une douzaine de huttes , chez les eskimaux , passe pour une grande agglomération ; et au delà de 75 degrés de latitude , le maximum est de deux ou trois . Un rassemblement de 14 yourtes est un village qui fait figure dans la province d' * Anadyr . La sécheresse au * Sahara , dans le * Kalahari , en * Australie , produit le même effet que le climat polaire . * Foureau note chez les touareg " le fractionnement infini par petits groupes des habitants " . Dans l' * Aïr , les groupes se réduisent à 3 ou 4 tentes . Les krals des hottentots réunissent parfois plus de 100 individus ; on en compte à peine une douzaine dans les campements de bochimans ou d' australiens . Ailleurs , dans la silve équatoriale africaine , dans la montana ou les bosques du versant oriental des * Andes , l' importance des établissements humains est en proportion inverse de la luxuriance végétale . Ce qu' on rencontre au * Congo , entre l' équateur et le 6e degré de latitude nord ou sud , ce sont des villages d' une trentaine de cases ; on nous parle de villages n' en ayant que 8 ou 10 . Ces chiffres ne seraient sans doute guère dépassés dans l' intérieur de * Bornéo ou de * Sumatra . Mais la différence entre les contrées dont le climat pèche par exubérance et celles où il pèche par anémie , se montre dans la rapidité avec laquelle les groupes grossissent dès que cesse l' oppression de la forêt ; une recrudescence subite dans le nombre et l' importance des villages se produit sur la lisière de la silve . Tandis que la forêt elle-même accroît sa population au voisinage de la savane , celle -ci se couvre de villages dont les habitants se chiffrent par centaines , atteignent parfois le millier . groupes nomadisants . - ces groupes , à quelque genre de vie qu' ils appartiennent , sont en rapport déterminé avec une certaine portion d' espace . Ni la raison ni l' expérience n' admettent de peuple sans racines , c' est-à-dire sans un domaine où s' exerce son activité , qui assure et maintient son existence . Pas de groupe , même au plus bas degré de l' échelle sociale , qui n' ait et ne revendique âprement son territoire . On dit que les plus humbles peuplades australiennes avaient l' habitude de déterminer par des pierres ou certaines marques connues les espaces dont la contenance pouvait pourvoir à leurs besoins de chasse , de cueillette , de provisions d' eau et de bois . L' étendue suppléant à l' insuffisance , ce sont en général les groupes les plus indigents qui réclament le plus d' espace . Mais une très faible densité de population n' exclut nullement un certain degré de richesse et de puissance . Les tribus pastorales de l' * Asie et du * Sahara ont leurs pâturages attitrés qu' elles fréquentent successivement dans leurs parcours périodiques . Ces pâturages ont leur nom ; ce sont , à la différence des vagues étendues de bled , des contrées pourvues d' un état civil . Il est possible que des mois se passent sans que ces domaines soient visités par leurs possesseurs ; il faut que l' herbe ait eu le temps de pousser en l' absence de l' homme . Ces surfaces que ses pieds foulent si rarement n' en sont pas moins un domaine , une dépendance du groupe . Quelques-uns de ces groupes , surtout au coeur des déserts , ne sont que d' humbles et insignifiantes collectivités . Mais tel n' est pas toujours le cas . Certaines tribus du * Sahara oriental ont des ramifications depuis l' * égypte jusqu'au centre de l' * Afrique . Les larba , dans leurs migrations périodiques entre le * Mzab et les marchés de * Boghar et de * Teniet- * El- * Had , embrassent un parcours d' environ 500 km . C' est aussi une longue étape que celle qui mène les 6 . 500 kirghiz des vallées du * Ferghana vers les hauts plateaux de l' * Alaï . De tels exodes supposent un certain degré d' organisation territoriale . Le sort de cette richesse ambulante qui se chiffre par des centaines de mille moutons ou chèvres , sans compter ânes , chevaux et chameaux , ne saurait être livré au hasard . Il implique des dispositions relatives aux passages , aux ravitaillements en eau , aux étapes , tout ce qu' exige la jouissance régulière d' un vaste domaine pastoral . Le cercle ne peut être déterminé avec une entière rigueur ; une certaine marge est nécessaire , car il faut compter avec les caprices des saisons , suppléer au besoin à l' absence de végétation aux endroits prévus . Paissant tour à tour les herbes des dayas ou redirs , celles qu' humecte le lit des oued , les touffes aromatiques des steppes , les générations aussi vite épuisées que parues des plantes annuelles , se rabattant au besoin sur les jachères des champs limitrophes , ces troupes dévorantes ont besoin de larges disponibilités d' espace . Rarement même elles peuvent réunir tous leurs membres ; il faut se séparer pour vivre ; * Abraham et * Loth vont paître leurs troupeaux vers les points opposés de l' horizon . Ce n' est qu' en des occasions solennelles , joyeusement accueillies , que la tribu peut se donner à elle-même le spectacle de sa magnificence et déployer , comme * Israël devant * Balaam , toute la multitude de ses tentes . Ainsi est exclue du domaine où prévaut la vie pastorale toute occupation intensive du sol ; ou du moins la part qui est faite à celle -ci ne peut s' accroître sans grave dommage pour le pasteur . rapports des groupes entre eux . - la silve tropicale , la savane herbeuse , la steppe pastorale se traduisent , sous le rapport de la densité d' habitants , par des groupes dissemblables , disposant d' une part très inégale d' espace . Toutefois , comme ils font partie d' un ensemble terrestre qu' anime en son entier la présence de l' homme , des réactions s' échangent entre eux . Par l' effet des transactions qui s' établissent ou des mouvements qui se répercutent entre les populations humaines , des renflements de densité tendent à se former sur les lignes où des genres de vie différente entrent en contact . Nous avons signalé plus haut l' accroissement qui correspond , en * Afrique , à la zone de contiguïté entre la silve et la savane . On peut observer le même phénomène sur la marge indécise qui s' interpose , dans l' ancien continent , entre le domaine de la vie pastorale et le domaine agricole : aussi bien sur les confins sahariens du * Tell et du * Soudan que sur les lisières des steppes de l' * Asie occidentale . Des marchés , parfois des villes , surgissent sur ces points de rencontre , ou plutôt de soudure , car c' est un lien de solidarité qui unit ces diverses familles de groupes . Si l' on se demande , en effet , comment ont pu se former et durer ces grandes organisations pastorales qui gravitent depuis le * Sahara jusqu'en * Mongolie , on constate que leur existence est en rapport avec les marchés agricoles qui leur permettent d' échanger leurs produits . L' éparpillement d' un côté et la concentration de l' autre apparaissent comme deux faits connexes . L' exploitation pastorale , qui , de nos jours , a pris possession de grandes surfaces en * Australie et en * Amérique , confirme , en les systématisant , ces rapports . Dans les contrées vouées à la vie pastorale , telles que le * Grand- * Bassin de l' * Amérique du nord , le sud des * Pampas de l' * Argentine , la partie occidentale de la * Nouvelle- * Galles * Du * Sud , les contrastes atteignent leur maximum entre l' exiguïté de main-d'oeuvre humaine et l' abondance de capital pastoral . La disproportion est infiniment plus forte que dans l' ancien monde entre le nombre du bétail et celui des hommes . On peut estimer à 5 ou 6 moutons par homme le chiffre que possèdent les puissantes tribus pastorales dont nous avons parlé . Au contraire , en * Australie , on cite des troupeaux de 50 . 000 à 80 . 000 moutons qui n' exigent qu' un personnel de 15 à 20 personnes . Dans la république argentine , des estancias détiennent à elles seules des troupeaux de 160 . 000 moutons . Autre exemple : l' état de * Wyoming , aux * états- * Unis , possédait , en 1900 , plus de 5 millions de moutons et n' a pas 150 . 000 habitants . C' est donc sur de grands espaces la réduction au minimum de l' élément humain ; mais cela , précisément parce qu' il existe ailleurs des centres de commerce , de puissants foyers de consommation , des ports , des villes immenses , où ces manufactures de laine et de viande ont leurs débouchés . Ces contrastes font partie de l' économie générale . l' accumulation sur place . - voulant caractériser des peuples qui végètent dans un état de civilisation rudimentaire sans un espoir de progrès , * Virgile s' exprime en disant " qu' ils ne savaient ni faire masse de leurs produits ni en pratiquer l' épargne " . On ne saurait mieux mettre le doigt sur le principe d' où sort un accroissement de densité dans les groupes humains . Seule , la vie sédentaire , directement ou indirectement , donne consistance à l' occupation du sol . Or l' agriculture est le seul régime qui ait à l' origine permis de cohabiter sur un point fixe et d' y concentrer le nécessaire pour l' existence . Toutefois n' est pas agriculteur celui qui , après avoir brûlé l' herbe , jette quelques poignées de grains et s' éloigne ; mais celui qui amasse et fait des réserves . Le pasteur , dans les régions arides , essaie de faire subsister sans provisions assemblées d' avance , à la fortune des saisons , le plus d' animaux possible . Les peuples chasseurs de l' * Amérique du nord n' ignoraient pas la culture ; mais , dit * Powell , " il était de pratique presque universelle de dissiper de grandes quantités de nourriture dans une constante succession de fêtes , dont l' observation superstitieuse ne tardait pas à dissiper les approvisionnements ; et l' abondance faisait bientôt place au dénûment et même à la famine " . L' agriculteur ne tombe pas dans ces méprises ; la prévoyance et même l' avarice lui sont passées dans le sang . Il cumule le patrimoine des générations passées et suivantes . Le premier pas fut l' acclimatation de plantes et la domestication d' animaux ; l' ensilotage ou la mise en grange fut le second . noaux de densité et lacunes intermédiaires . les cultures soudanaises occupent un grand espace en * Afrique . Mais il y a une infirmité inhérente à cette agriculture qui ne pratique pas la fumure du sol et ne connaît pas la charrue . Elle n' utilise que les parties où le sol meuble permet à une simple houe d' y enfouir la semence ; l' aridité des grès ou des granites la rebute . Elle est capable néanmoins , dans les conditions favorables du sol , de donner lieu à une densité considérable d' habitants . * Yunker et * Emin- * Pacha décrivent à l' envi " les files de cases qui se succèdent l' une près de l' autre pendant près d' une heure " , dans l' * Ouganda . * Hans * Meyer parle dans les mêmes termes des cultures qui s' étalent où s' échelonnent en terrasses sur les croupes du * Rouanda , par 1 . 600 m . D' altitude . à des altitudes bien moindres , sur le moyen * Chari , * A. * Chevalier signale " tel pays qui n' est qu' un vaste champ verger " . Il y a , dans le * Soudan nigérien , dit * Lucien * Marc , " des contrées où l' on peut marcher deux jours sans perdre un seul instant les cases de vue " . * E. * Salesses estime à 40 habitants par kilomètre carré la population de certains districts du * Fouta- * Djalon . Seulement , ces foyers de densité sont sporadiques ; ils sont séparés par des intervalles vides . Incapable de subvenir à l' épuisement du sol , chaque groupe se sent bientôt à l' étroit dans l' espace qu' il exploite . Sur un sol qui nous est pourtant dépeint comme fertile , on nous apprend qu' un village a besoin de disposer d' une périphérie triple de celle qu' il cultive effectivement . Une sorte de roulement entretient de vastes réserves de terrains buissonneux à côté des cultures . Malgré tout , il arrive un moment où le pays surpeuplé se voit obligé de rejeter une partie de sa population . Qu' arrive -t-il alors ? Ce n' est pas à proximité , mais au delà des obstacles naturels qui circonscrivent son domaine , bien à distance , qu' il émet ce rejeton . Les marches à travers des espaces vides , les journées passées sans voir ni cases , ni visages d' hommes , morne refrain de l' exploration africaine , s' expliquent ainsi . Les guerres et la traite ont contribué certes à élargir ces lacunes : nulle part le homo homini lupus ne s' applique mieux . Mais si le groupe social est resté isolé , moléculaire , incapable de concerter sa défense , il y a surtout au fond de cela un mode imparfait d' agriculture . Des scènes d' apparences contradictoires défilent ainsi sous les yeux , et nos jugements sur les chiffres totaux de population s' en ressentent . Le peuplement de la terre s' est opéré par taches , dont les auréoles dans les pays les plus civilisés finissent par se rejoindre ; encore pas toujours . * Richthofen , dans son journal de voyage en * Chine , note entre provinces voisines et très civilisées , comme le * Hou- * Pé et le * Ho- * Nan , des traces de séparations anciennes et fondamentales . Entre les chambres et chambrettes dont , suivant son expression , se compose la * Chine , les cloisons , en quelque sorte , sont des marches-frontières , montagneuses ou accidentées , dont les habitants vivant en clans , par petits hameaux , pratiquent d' autres modes d' existence que ceux de la plaine . Les deux peuplements , quoique contigus , ne se fondent pas . La solution de continuité reste apparente . L' * Inde , dit * Sumner * Maine , " est plutôt un assemblage de fragments qu' une ancienne société complète en elle-même " . Effectivement , sans parler des enclaves à demi sauvages qui confinent soit au * Bengale , soit au pays des mahrattes , le village hindou , type de la civilisation du nord , est organisé pour se suffire comme si rien n' existait autour de lui . Constitué en unité agricole , avec son personnel attitré de fonctionnaires et d' artisans , il forme un microcosme . Les analyses des derniers recensements indiquent que la plupart des existences restent enfermées dans ce cadre , sauf pour contracter mariage dans le village voisin . Ce n' est pas entre villages , mais entre le régime de communautés de villages et celui de tribus que s' interpose l' isolement , tant il est vrai que c' est par l' intermédiaire de causes sociales que s' exerce l' influence des conditions géographiques ! groupements de dates diverses en * Europe . - le spectacle qu' offre aujourd'hui le peuplement , dans la majeure partie de l' * Europe , est tellement composite qu' il faudrait souvent des cartes à très grande échelle pour distinguer les soudures qui ont fini par rapprocher en une apparence de continuité les différents groupes . Toutefois , même sur des cartes à médiocre échelle , les bords de la * Méditerranée montrent de singulières lacunes . à quelques kilomètres de distance la population tombe d' un haut degré de densité à un degré de raréfaction qui touche au désert . Les campos confinent en * Espagne aux huertas ; les garrigues , à la coustière du * Languedoc ; les plans du * Var , aux bassins de * Grasse et de * Cannes ; la murgia quasi déserte , au littoral populeux des * Pouilles . Dans le * Péloponèse , les petites plaines d' * Argos , d' * Achaïe , d' * élide , de * Messénie et de * Laconie , qui ne représentent qu' un 20e de la surface , contiennent un quart des habitants . La vie urbaine et la vie de clans sont deux plantes qui ont trouvé autour de la * Méditerranée un sol favorable ; elles subsistent encore côte à côte . Cette coexistence a contribué à créer , puis à maintenir entre les divers groupes élémentaires une cohésion qui fait fâcheusement défaut dans les parties du littoral , comme le * Rif , l' * Albanie , les * Syrtes , où le commerce et la vie urbaine n' ont pu , jusqu'à présent , pousser de fortes racines . La grande industrie a bouleversé depuis un siècle les conditions du peuplement dans l' * Europe centrale et occidentale . Ce peuplement s' offrait déjà comme un palimpseste sur lequel dix siècles d' histoire avaient inscrit bien des ratures . Marais asséchés , forêts défrichées n' avaient pas cessé d' ajouter des touches nouvelles au fond primitif . Des formes diverses d' établissements correspondent à ces diversités d' origine ; si bien qu' un coup d' oeil tant soit peu exercé ne confondra pas les pays aux vieux villages et ceux où une colonisation ultérieure a disséminé les fermes en hameaux à travers les brandes et les essarts . puis l' industrie est venue et a fait sortir du sol une lignée nouvelle d' établissements humains . Cependant le noyau primitif du peuplement se laisse encore discerner . On peut affirmer , preuves en mains , que les hommes , ici comme ailleurs , se sont obstinés longtemps à s' accumuler sur certains lieux , presque à l' exclusion des autres . Quels lieux ? Ce n' était pas invariablement les plus fertiles , mais les plus faciles à travailler : les plateaux calcaires en * Souabe , * Bourgogne , * Berry , * Poitou , etc. ; les terrains meubles et friables où la forêt n' avait pu qu' imparfaitement s' implanter dans ses retours offensifs après les périodes glaciaires , et qui forment une sorte de bande depuis le sud de la * Russie jusqu'au nord de la * France . Telles furent les clairières , les espaces aérés et découverts , les sites attractifs où se rencontrèrent les premiers rassemblements européens , où ils commencèrent à prendre cohésion et force . D' intéressantes reconstitutions cartographiques , au moyen des trouvailles préhistoriques et des documents cadastraux , ont été tentées pour le * Wurtemberg ; on y voit les établissements des époques romaine et alamannique se superposer exactement , sur les surfaces non forestières , à ceux de l' époque néolithique et du premier âge du fer . Ce n' est qu' ultérieurement que de nouveaux groupes viennent s' interposer entre eux . Il n' est pas douteux que les choses se soient passées de même en * France . Lorsque * M. * Jullian nous dépeint le territoire d' un peuple gaulois comme " un vaste espace renfermant au centre des terres cultivées , protégé à ses frontières par des obstacles continus , forêts ou marécages , etc. " , c' est le signalement exact d' une de ces unités fondamentales qu' il nous donne . Nous avons essayé nous-même de retracer d' après ces principes , pour la * France et l' * Europe centrale , une carte de l' occupation historique du sol . II . - mouvements de peuples et migrations . densité par refoulement . - on ne saurait trop faire part , dans la fluctuation des phénomènes humains , aux troubles dus aux chocs des peuples , aux invasions répétées , à un état chronique de guerre . Certaines contrées sont plus exposées que d' autres à ces mouvements dévastateurs : ainsi la zone des steppes qui s' étend de la * Mongolie au * Turkestan , ou de l' * Arabie au * Maghreb . L' histoire y enregistre une série d' invasions , depuis celles que mentionne * Hérodote jusqu'à celles qu' ont finalement contenues les russes , ou depuis les arabes jusqu'aux almoravides et hilaliens . La poussée des massaï dans l' * Afrique orientale , celle des cafres dans l' * Afrique australe se sont répercutées au loin et ont jonché de débris de peuples une partie de ce continent . L' * Amérique du nord n' a pas échappé à ces perturbations : ne vit -on pas , au XVIIIe siècle , une tribu obscure , dite des pieds-noirs , sortie du bord des montagnes * Rocheuses , s' étendre tout à coup , grâce à la possession du cheval , à travers les prairies de l' ouest ? En dehors même de ces arènes ouvertes , espaces prédestinés aux mouvements de vaste envergure , l' absence de sécurité , dans notre * Europe , a longtemps frappé d' interdiction des voies naturelles qui semblaient faites pour attirer les hommes . Pendant des siècles , les plateaux de * Podolie et de * Galicie , si populeux aujourd'hui , virent déboucher , le long du sentier noir , les tribus qui périodiquement , comme des nuées de sauterelles , s' échappaient des steppes . Les châteaux ou vieux burgs qui dominent les vallées du * Rhin et du * Rhône furent les refuges des populations de la plaine contre le " droit du poing " ( faustrecht ) . hier encore , notre voyageur * Crevaux nous apprenait qu' en * Amazonie , pour fuir les déprédations dont le grand fleuve est le véhicule , les tribus indigènes s' en écartaient vers les vallées moins accessibles . Ces faits ont eu sur la répartition des populations humaines des conséquences qui ont souvent survécu aux causes qui les avaient produites . Ils ont eu pour résultat de refouler les populations dans des contrées abritées , qui ont pris de ce chef un accroissement anormal . Les montagnes de la * Grande- * Kabylie , les oasis du * Mzab et peut-être celles du * Touat et du * Tafilelt , doivent à des accidents historiques de cette espèce l' excès de population qui s' y trouve . Les articulations péninsulaires de la * Grèce , et surtout les îles adjacentes , ont été congestionnées à la suite des conquêtes turques . à l' invasion ottomane est imputable aussi le refoulement qui a poussé au coeur de la région forestière longtemps délaissée au sud de la * Save , dans la * Choumadia , les populations qui s' étaient développées sur les plateaux découverts du centre de la péninsule . L' histoire de notre * Algérie , de l' * Ukraine , de la * Ciscaucasie , nous montre combien tardive , après ces périodes d' invasions et d' insécurité , a été parfois la revendication de ces contrées dignes d' un meilleur sort . Ces plaines ouvertes avaient cédé en partie leur population aux montagnes , qui souvent l' ont gardée . Aux exemples déjà cités on peut ajouter le * Caucase , citadelle de peuples dont la diversité étonnait les anciens , les * Alpes transilvaines où s' est reformée la nationalité roumaine , les * Balkans où s' est reconstitué , pendant la domination turque , le peuple bulgare . Ces montagnes doivent aux refoulements une densité qu' elles n' auraient pas atteinte spontanément , par leurs ressources propres . densité par concentration . - tel n' est pas cependant le cours normal des faits , tel du moins que nous pouvons l' entrevoir . Les hommes ont commencé par se porter sur certains sites d' élection que la facilité de culture avait désignés à leur choix et que peu à peu l' accumulation du patrimoine signalait à leurs convoitises . Ils y ont formé groupe , enraciné leurs établissements , s' y sont concentrés , tandis que les alentours restaient négligés ou vides . Il faut s' imaginer ces développements primitifs de population comme susceptibles d' atteindre une densité relativement forte , quoique bornés dans l' espace , enfermés dans des cadres que leurs moyens ne leur permettaient guère d' agrandir . Divers indices dans les contrées les plus différentes permettent de se rendre compte de ce mode sporadique de peuplement intensif ; et c' est un des résultats les plus curieux des connaissances récemment acquises sur l' intérieur de l' * Afrique , que de nous le montrer sur le vif et encore à l' oeuvre . Ce qui oppose aujourd'hui à l' expansion sur place des groupes agricoles soudanais des obstacles qu' ils ne sont pas parvenus à surmonter , c' est , avons -nous vu , l' imperfection de l' outillage et l' absence de science agricole . La forêt , le marécage furent , en * Europe , aussi des forces hostiles auxquelles il était difficile et paraissait même chimérique de se mesurer . Elles cernaient les groupes dans des espaces restreints . Il a fallu , pour briser ces cadres , un concours de circonstances et d' efforts dont la série , entrevue seulement par échappées , est l' histoire des conquêtes du sol . La collaboration d' entreprises collectives et méthodiques , l' invention de meilleurs instruments , l' introduction de plantes s' accommodant de sols plus pauvres , et par-dessus tout la substitution de la science aux procédés empiriques , ont à peu près réalisé en * Europe la solidarité des divers modes d' exploitation qui unit la contrée en un tout . Mais nous voyons encore , en d' autres grandes contrées de civilisation et de peuplement , telles que la * Chine et le * Japon , les cultures concentrées dans les plaines ou sur les terrasses inférieures , et les montagnes frustrées de tout emploi pastoral . L' étendue des terres cultivées n' atteindrait même , au * Japon , que 15 p. 100 de la superficie totale . Tous ces faits , actuels ou historiques , permettent d' envisager le surpeuplement comme la conséquence précoce de cet instinct ou de cette nécessité qui porta les hommes à se rassembler et à former groupe sur certaines places , pour y poursuivre obstinément les mêmes routines . surpeuplement et émigration . - le surpeuplement , en ces conditions , ne peut trouver d' issue que l' émigration . La * Chine , qui est sans doute aujourd'hui le pays d' ancienne civilisation où subsistent davantage les irrégularités primitives , est le théâtre d' une foule de ces migrations anonymes , obscures , dont le total finit par changer la face du monde . Les voyageurs qui en ont parcouru l' intérieur ont été souvent témoins du spectacle suivant . Ils rencontrent sur leur route des familles entières se déplaçant d' une contrée à une autre . Une famine , une épidémie , ou simplement la difficulté de vivre les a forcées à abandonner leurs foyers . L' un d' eux nous dépeint " ces familles de cultivateurs , d' aspect décent , qui campent sur les bords des chemins , emportant avec elles la nourriture pour le voyage " . Ainsi il ne s' agit pas d' un prolétariat vagabond , mais de groupes formés , cohérents , dont femmes , enfants et vieillards font partie , à la recherche d' un terrain propice pour y planter leurs pénates et continuer leurs habitudes traditionnelles . C' est ce qu' il y a de plus résistant dans la société chinoise , la famille , qui se transplante dans son intégrité pour faire souche ailleurs , et qui , grâce à sa cohésion , y réussira . N' est -ce pas en raccourci l' image du mécanisme par lequel s' opèrent les phénomènes de peuplement ? C' est par essaims à la manière des abeilles , plutôt que par agglutination à la manière des coraux , que les hommes se multiplient . Le surplus de population ne cherche pas à se déverser sur les espaces vacants qui existent dans le voisinage immédiat : qu' y ferait -il s' il n' y peut vivre suivant ses habitudes et ses moyens ? On franchit au besoin de grandes distances , en quête d' un milieu analogue à celui qu' on est contraint de quitter . C' est ce système , que les chinois ont su élever à la hauteur d' une colonisation méthodique , qui les a guidés à travers les compartiments de leur domaine . Une carte des agrandissements successifs de la * Chine , telle par exemple que l' a esquissée * Richthofen dans son grand ouvrage , montre moins une extension progressive , comme le ferait une carte historique de * France , qu' une série de colonisations poussées en avant-postes . Des bassins séparés les uns des autres ont été successivement acquis à la civilisation supérieure qu' avaient su former les fils de * Han . Comme des vases communicants , si l' équilibre vient à être rompu , ces bassins le rétablissent d' eux-mêmes . Lorsque , au XVIIe siècle , le riche " pays des * Quatre- * Fleuves " , le * Sseu- * Tch'ouan , eut été ruiné par les incursions tibétaines , des groupes d' immigrants affluèrent pour combler les vides , apportant si fidèlement avec eux leurs dieux lares et leurs traditions domestiques que leurs descendants savent encore dire de quelle province étaient venus leurs ancêtres . Lorsque , en 1861 , les anglais , pénétrant de plus en plus dans les profondeurs de leur empire indien , entreprirent l' organisation des provinces centrales , ils constatèrent non sans surprise combien récente était l' occupation agricole de ces contrées . Elle remonte aux progrès que fit , vers la fin du XVIe siècle , sous l' empereur * Akbar , la puissance mongole dans les vallées de la * Nerbudda et de la * Tapti . Ces contrées étaient restées un terrain de chasse des gonds . Mais le sol y est formé de ces couches noires de regur , dit cotton soil , qui depuis longtemps était fructueusement cultivé dans le * Goudjerat et autour du golfe de * Cambaye . De la population pressée sur la côte occidentale partirent des groupes qui graduellement installèrent le travail agricole dans ces terres de grand avenir . L' infiltration se poursuit encore ; elle fait tache autour d' elle . Elle gagne peu à peu , dit -on , les chefs de clans , jaloux de se relever à leurs propres yeux par un vernis superficiel d' hindouisme . Quand la ruche est trop pleine , des essaims s' en échappent . C' est l' histoire de tous les temps . Ce n' est pas par hasard que les livres où sont consignés les plus vieux souvenirs de l' humanité , le vendidad-sadé , la bible , les documents chinois , les chroniques mexicaines , sont pleins de récits de migrations . Il n' est guère de peuple chez lequel ne survive la réminiscence obscure d' un état d' inquiétude , de trieb , suivant l' expression de * K . * Ritter , qui le forçait à émigrer de place en place jusqu'au moment de trouver ce séjour définitif , sans cesse promis par la voix divine , sans cesse écarté par des maléfices . Ce sont toujours des domaines limités , à la taille de ceux qu' ils pouvaient connaître , qui sont le terme poursuivi d' étapes en étapes : pour les hébreux la terre de * Chanaan , pour les * Iraniens les jardins successifs de * Soughd ( * Sogdiane ) , * Mourv ( * Margiane ou * Merv ) , * Bakhdi ( * Bactriane ) . Non moins accidentée est l' odyssée des nahuatlacas pour atteindre enfin " la terre des joncs et des glaïeuls " , les bords du lac où se fonda * Tenochtitlan , la ville de * Mexico . La vieille * Italie pratiquait sur ses populations déjà trop pressées dans l' * Apennin ces amputations qui en détachaient la fleur de jeunesse ( ver sacrum ) , pour l' envoyer chercher fortune . L' histoire primitive de l' * Europe celtique et germanique se résume en une série de migrations , contre lesquelles la puissance romaine et le plus tard carlovingienne s' efforcèrent , souvent en vain , de réagir . Les helvètes qu' attire la renommée des plaines de * Saintonge , les suèves qui cherchent à se substituer aux * Séquanes dans ce que * César appelle la meilleure partie de leur domaine , sont des groupes en mal d' espace , en quête de territoires , faute de savoir tirer parti du leur . C' est par centaines de mille que les paysans russes de la terre noire se précipitaient en * Sibérie , si le gouvernement russe n' eût opposé une digue à l' irruption trop brusque du flot . sens général de l' évolution du peuplement . - ce n' est pas à la façon d' une nappe d' huile envahissant régulièrement la surface terrestre que l' humanité en a pris possession solide et durable . Des intervalles vides ont persisté longtemps , persistent encore en partie , à maintenir la séparation des groupes . Ceux -ci obéissent à une loi de nécessité en se séparant , en s' écartant les uns des autres . De divers côtés , par amas irréguliers , comme des points d' ossification , de petits centres de densité ont apparu de bonne heure . Combinant leurs aptitudes , transmettant un patrimoine d' expériences , ils furent d' humbles ateliers de civilisation . Quelques-uns de ces groupes , profitant de conditions favorables , ont pu servir de laboratoires à la formation de races destinées plus tard à s' étendre et à jouer leur rôle dans le monde . Il est arrivé cependant que , dans des contrées situées à l' écart , l' isolement a été érigé en système . Les bénéficiaires du sol se sont efforcés de maintenir autour d' eux la séparation par des moyens artificiels ; car l' idée de frontière est aussi enracinée que celle de guerre . Ainsi les silvatiques africains sèment d' embûches les abords de leurs villages ; les clans montagnards , tels que tcherkesses , kourdes , kafirs , se sont retranchés dans les parties les moins accessibles ; les tibétains eux-mêmes ont relégué dans les vallées les plus écartées leurs sanctuaires nationaux . Aujourd'hui , ces centres d' isolement font l' effet d' exceptions . Les destinées de l' humanité eussent été frappées de paralysie si ces conditions primitives avaient prévalu . L' isolement exposait ces sociétés à s' atrophier , à rester perpétuellement asservies aux habitudes contractées sous l' impression du milieu où s' était révélé pour eux le secret d' une existence meilleure . Ces communautés humaines auraient fini par ressembler à ces sociétés animales que nous voyons figées dans leur organisation , répétant les mêmes opérations , vivant sur le progrès jadis réalisé une fois pour toutes . Mais un ferment travaillait ces sociétés élémentaires , les poussait à croître et à se répandre au dehors . Leurs rejetons se trouvaient ainsi , dans le vaste monde , en face de conditions dont la nouveauté pouvait rebuter les uns , mais qui ouvrait aux plus supérieurement doués des sources de rajeunissement et d' expansion . * Renan a bien décrit la transformation qui s' opéra chez les beni-israël quand ils entrèrent en contact avec la terre de * Chanaan . Cette histoire s' est souvent répétée dans la suite . Une ventilation salutaire , dans la plus grande partie des contrées , a fécondé les rapports des hommes . chapitre iii . Les grandes agglomérations humaines : * Afrique et * Asie : dès les temps les plus reculés , certains points de la terre ont vu s' épaissir les rangs humains . " croissez et multipliez " est un des plus antiques préceptes qu' ait écoutés l' humanité . L' idée de " multitudes semblables , suivant l' expression biblique , aux grains de sable des rivages de la mer " hante de bonne heure les imaginations . La formation de densité s' est réalisée d' abord sporadiquement , à la faveur de circonstances toutes locales . Les découvertes d' instruments de l' âge de pierre ont fourni d' intéressantes indications sur ces centres primitifs de rassemblement . Mais la plupart de ces tentatives n' ont pas de suite ; elles se heurtent longtemps à la difficulté de vivre nombreux sur de petits espaces . Parmi ces groupes précoces , les uns ont cédé à une force centrifuge , ils se sont détachés de leur noyau , comme les satellites d' une planète . Mais à la longue d' autres se sont rapprochés et , s' il est permis de poursuivre la comparaison , condensés en nébuleuses . Ces agglomérations se sont formées indépendamment , assez loin les unes des autres . Leur fortune a été différente , les unes n' ayant cessé de s' accroître , tandis que d' autres , - mais ceci a été l' exception , - ont décliné ou ne sont que l' ombre d' elles-mêmes . Une lente élaboration les avait préparées , car aux époques lointaines où l' * égypte et la * Chaldée apparaissent dans l' histoire , elles comptent déjà des traditions et des souvenirs qui leur communiquent une auréole de haute antiquité . Les grecs avaient été frappés de ces grandes sociétés du * Nil et de l' * Euphrate ; ils ne le furent pas moins , lorsqu' après * Alexandre ils apprirent à connaître l' * Inde du * Pendjab et de la vallée du * Gange . La * Chine , révélée plus tard , étonna par ses multitudes les contemporains de * Marco * Polo . D' autres agglomérations sont venues , dans la suite des temps , s' ajouter à celles dont furent témoins ces anciens âges ; mais dans ces formations ultérieures intervient une telle complexité de facteurs que les causes géographiques bien que toujours effectives , s' y laissent moins directement discerner que dans ces premières manifestations de force collective , d' où l' humanité commença à rayonner sur la terre . Leur répartition semble en rapport avec une zone comprise environ entre le tropique du nord et le 40e degré de latitude . Le climat est assez chaud pour que nombre de plantes puissent accomplir très rapidement leur cycle de maturité et mettre à profit l' intervalle entre les bienfaits périodiques des pluies ou des crues fluviales . L' eau douce , sous forme de sources , de lacs , de nappe phréatique ou de courant , est la collaboratrice indispensable de ces climats tropicaux ou subtropicaux . Les grands fleuves surtout , issus des hauts massifs asiatiques , et nourris de pluies périodiques , agissent à la fois par leurs eaux imprégnées de substances solubles et par leurs dépôts d' alluvions . On serait tenté de croire que les plus grands rassemblements humains ont dû , dès l' origine , correspondre à la section terminale où le courant saturé achève de rejeter sa charge de matériaux . N' est -ce pas , en effet , dans quelques-uns des grands deltas qui s' échelonnent depuis le * Nil jusqu'au * Yang- * Tseu- * Kiang que se pressent aujourd'hui les plus fortes densités d' habitants ? La * Basse- * égypte , le * Bengale sont actuellement les parties les plus populeuses de l' * égypte et de l' * Inde . Aux embouchures du * Yang- * Tseu , l' île * Tsong- * Ming et la péninsule * Haï- * Men atteignent la proportion hypertrophique , l' une de 1 . 475 , l' autre de 700 habitants par kilomètre carré . Ce serait pourtant une illusion . En réalité , l' homme n' a pris pied que tard , et déjà armé par l' expérience , sur ces terres amphibies . Ces marécages , où la pente fait défaut , que l' inondation menace , n' ont été humanisés qu' au prix de grands efforts . Tous ne l' ont pas été ; car , même sur cette frange littorale de l' * Asie des moussons , à côté de deltas surpeuplés d' autres attendent encore les multitudes qui pourraient y vivre . Ce qui est vrai , c' est que ces grands fleuves représentent , suivant les conditions diverses de leur régime , de leur pente , de la composition de leurs eaux , de l' origine de leurs troubles , autant de types divers d' énergies naturelles . Instinctivement , l' homme s' est senti attiré sur leurs bords par l' afflux de cette riche vie animale et végétale que dépeignent les peintures des anciens âges pharaoniques . Que la fertilité se concentre ainsi sur les rives du fleuve ou qu' elle s' épanouisse aux alentours , c' est une table ouverte vers laquelle se précipitent tous les êtres . Mais de longues suites d' efforts combinés sont nécessaires pour arriver à discipliner ces grandes masses d' eau , pour y rallier des foules humaines , et cela n' a été réalisé que dans quelques parties de la terre . i . - * égypte . l' homme a pullulé de bonne heure sur l' alluvion friable , riche en substances chimiques , que le * Nil , assagi dans des biefs successifs , apporte des volcans d' * Abyssinie et dépose dans la longue vallée qui s' ouvre à partir d' * Assouan . Là se déroule , comme un long serpent , la terre noire ( kémi ) entre les sables fauves . Les trouvailles préhistoriques donnent les indices d' une densité précoce . La population de fellahs qui a fourni le levier de la civilisation égyptienne et qui compte encore aujourd'hui pour 62 p. 100 de la population totale , est un type original d' humanité , singulièrement fidèle à lui-même à travers les âges , fermement implanté dans son domaine , essentiellement prolifique . Elle commença par s' épanouir librement sur ce sol fécond , par se complaire à ses prodigalités ; se rassemblant peu à peu par petits groupes d' agriculteurs , répartis par nouïts ou nomes semblables aux nahiehs d' aujourd'hui . Rien n' y ressemble à la vie concentrée et précautionneuse des oasis . Bien à tort , on assimile parfois l' * égypte à une longue oasis : nom spécialement inventé par les égyptiens pour les différencier de leur propre contrée . Le fellah se disperse librement , il a vite fait de transporter en cas de besoin son habitation rudimentaire d' un point à un autre de la bande alluviale qui est son seul et véritable domicile . La nature du sol fit de l' organisation collective une nécessité . Elle est telle que la salinité ne tarde pas à imprégner l' eau devenue stagnante . L' obligation d' assurer au flot de crue un prompt écoulement , après en avoir prélevé le tribut , ne s' imposait donc pas moins que celle de la capter au passage . La tentation de confisquer l' eau s' effaça devant la nécessité de la restituer aussitôt après en avoir fait usage . C' est à cette conception que répondit le système de bassins échelonnés parallèlement au * Nil et s' écoulant les uns vers les autres : sorte d' appareil moulé au fleuve , qui eut pour effet de doubler l' étendue que sa crue peut atteindre et l' espace ouvert à la population . L' accroissement de densité n' excluait pas un appel croissant de main-d'oeuvre . On le voit , sous les pharaons , s' exercer sur les populations voisines de * Palestine et de * Syrie , surtout sur ces populations de * Nubie dont le flot ininterrompu ne cesse , comme en vertu d' une loi naturelle , de s' écouler vers l' * égypte . Cet afflux , néanmoins , n' a pas sensiblement altéré le fond indigène : preuve de la fécondité persistante qu' il a su opposer à toutes les vicissitudes . Mais le domaine qu' il occupe est trop restreint et les conditions d' aménagement trop artificielles pour que la densité de la population n' ait pas considérablement varié depuis l' antiquité classique . Là comme ailleurs , les suites des conquêtes arabe et turque diminuèrent sensiblement le capital humain . Au moment de l' expédition française d' * égypte , la population n' était estimée qu' à 2 . 460 . 200 habitants ; vingt-trois ans après , * Mehemet- * Ali l' évaluait à 2 . 536 . 400 . Un demi-siècle après commence la série des recensements , comportant une marge de plus en plus restreinte d' incertitude . Ils révèlent un progrès aussi rapide que prodigieux : 1846 : 4 . 476 . 440 1882 : 6 . 831 . 131 1897 : 9 . 734 . 405 1907 : 11 . 287 . 359 1917 : 12 . 566 . 000 ainsi la race indigène , agricole et sédentaire , - car auprès d' elle le nombre d' étrangers ou de bédouins nomades est insignifiant , - a fait preuve depuis trois quarts de siècle d' une étonnante élasticité . Il faut noter en première ligne que cet accroissement correspond à une extension notable de l' aire cultivable , le système d' irrigation permanente par canaux , au moyen de grands barrages et d' appareils élévatoires , ayant été généralisé surtout dans le * Fayoum et la * Basse- * égypte . La superficie cultivable , évaluée , il y a vingt-cinq ans , à un peu plus de 23 . 000 kilomètres carrés , dépasserait aujourd'hui 31 . 000 . En outre , les cultures industrielles , au premier rang desquelles le coton , entraînent de plus grandes exigences de main-d'oeuvre . Dans les parties qu' atteint l' irrigation permanente , les récoltes d' hiver , d' été et d' automne se succèdent sans interruption . Ainsi s' explique le bond rapide qui a doublé en moins d' un demi-siècle la population de cette vieille terre d' * égypte : exemple non pas unique , mais particulièrement saisissant de la répercussion directe qu' exerce sur les phénomènes de population tout progrès économique . II . - * Chaldée . l' * égypte s' est maintenue comme foyer de population humaine , tandis que d' autres foyers ont dépéri et , comme la * Chaldée , attendent une hypothétique résurrection . Ce n' est pas qu' à l' origine les sources de développement aient manqué . C' est aussi le sol de couleur sombre , mais plus jaune et plus imprégné de calcaire que celui du * Nil , al sawod , qu' apportent le * Tigre et l' * Euphrate , qui servit de noyau à la primitive * Chaldée . L' * Euphrate , dont le flot de printemps charrie cette alluvion , subit , dans les grands marécages que l' ancienne puissance de * Babylone parvint , pour un temps , à assainir , une première décantation . C' est ce qui permit , en attendant les grands travaux de canalisation que devait accomplir la monarchie babylonienne , aux plus anciens habitants de se grouper déjà en nombre , de former de petits royaumes , de bâtir ces villes dont les noms , depuis longtemps éteints , retentissent dans les plus vieilles légendes bibliques . Il est douteux cependant que les ressources de la contrée aient jamais suscité une densité de population telle qu' on peut la supposer dès lors en * égypte . Les conditions de crue étaient moins régulières ; leur aménagement , plus incertain et plus précaire . Les dynasties babyloniennes semblent incessamment préoccupées d' augmenter par des transplantations de peuples la somme de main-d'oeuvre qu' exigent les grands travaux et l' entretien de cette civilisation urbaine . Volontairement ou non , les étrangers affluent . La population présente un aspect cosmopolite qui frappe les observateurs et qu' ont plusieurs fois exprimé les grecs . à travers tant de siècles , le fil de continuité s' est rompu . On voit encore , aux approches de * Bassora , les lambeaux de ces palmeraies qui faisaient , le long de l' * Euphrate , l' admiration des romains au IVe siècle de notre ère . Mais , peuples et cultures semblent aujourd'hui réduits en poussière . Le corps de population qui constitue l' ossature résistante de l' * égypte n' existe plus ici . Où le trouver , parmi ces groupes hétérogènes , vaguement évalués à un million d' hommes , composés de bédouins nomades et d' agriculteurs ensemençant à la volée quelques fonds humides ? La reconstitution de ces antiques populations de l' * élam , de la * Chaldée , d' * Assur qui multiplièrent jadis sur les bords du * Karoun , de l' * Euphrate et du * Tigre , ne serait probablement pas au-dessus des forces d' un grand état moderne . Mais ce serait une oeuvre de longue haleine . Et si , reprenant à pied d' oeuvre le travail séculaire de l' ancienne * Chaldée que les six derniers siècles d' anarchie ont réussi à anéantir , on essayait de vivifier à nouveau le territoire qu' elle embrassait , ce territoire , en fin de compte , ne dépasserait pas , comme on l' a montré , 20 . 000 à 25 . 000 kilomètres carrés . Précieuse conquête assurément , mais pour laquelle les prévisions les plus optimistes restent bien en deçà des chiffres d' hommes que peuvent aligner l' * Inde , la * Chine ou l' * Europe . Situés dans la zone sèche qui traverse l' * Asie occidentale , séparés par de grands intervalles déserts , ces lieux de concentration , de même que ceux du * Ferghana et de * Samarkand , sous les massifs neigeux de l' * Asie centrale , ne sont que des taches de densité sur un fond presque vide . L' * égypte seule , grâce à sa position entre l' * Afrique et l' * Asie , la * Méditerranée et la mer * Rouge , est un carrefour d' espèce humaine . Elle présente en petit le spectacle d' une de ces collectivités persistantes qui fixent pour longtemps sur certains points le pivot des relations des hommes . III . - * Asie centrale . ce n' est jamais en les considérant isolément , dans leurs avantages propres , qu' on se rendra compte de grandes agglomérations occupant de vastes étendues terrestres . Ces avantages peuvent rester nuls , s' ils ne sont vivifiés par un apport d' énergies et d' intelligences qui se communique de contrées à d' autres . Il y a donc à considérer les liaisons qui existent entre l' ensemble continental et les régions où sont venues s' accumuler les alluvions humaines . C' était une des idées chères à * Karl * Ritter que certaines contrées avaient exercé une sorte de vertu éducatrice sur les peuples : cela n' est vrai qu' autant que l' on observe par quels chemins ces peuples y sont parvenus , c' est-à-dire par quelle initiation progressive ils sont passés . La connexité de contrées se prolongeant sur de grandes distances , capables d' ouvrir des perspectives aux groupes qui s' y échelonnent , est , sous ce rapport , un fait de première importance . Elle fournit des occasions de contact , sans nécessairement donner lieu à des chocs . L' attention est attirée par là vers la périphérie extérieure des hautes chaînes de plissements qui sillonnent le continent asiatique . Sur une frange plus ou moins étroite qui les borde , se déroule une série de contrées dont quelques-unes sont très anciennement spécialisées comme contrées historiques . Ainsi le long des chaînes de l' * Arménie et de l' * Iran , se succèdent les noms d' * Osroène , d' * Assyrie , d' * élam . Autour du noeud où se croisent les chaînes de l' * Asie centrale , se déroulent d' une part la * Bactriane et la * Sogdiane , de l' autre la * Sérique ; et enfin , au sud des * Himalayas , le pays des * Cinq- * Fleuves , l' antique pantschanada , aujourd'hui * Pendjab . Terres de culture , en même temps que voies de relations et de commerce , elles ont servi de cheminement aux hommes . Les voies historiques par lesquelles la * Chine communiquait avec l' * Asie centrale longeaient , l' une au nord , l' autre au sud du bassin du * Tarim , les grandes chaînes des * Tian- * Chan et des * Kouen- * Iun . Tandis que , dans les replis des chaînes et dans l' intérieur des bassins qu' elles abritent , les obstacles aux libres communications s' accumulent , elles trouvent au contraire des directions tracées d' avance sur les terrasses qui se sont étalées au pied des montagnes . Les points où les rivières s' échappent des défilés montagneux ont toujours été des sites de choix pour les établissements humains . L' eau est d' un maniement plus facile qu' ailleurs : on peut , grâce aux cônes de déjections , dériver des saignées en tous sens , et la pente reste encore assez forte pour étendre au loin le réseau des rigoles . Les espagnols du * Mexique , habitués à ces pratiques élémentaires d' irrigation , désignaient sous le nom de bocca del agua les issues par lesquelles les rivières sortent des * Montagnes * Rocheuses : déjà avant eux les indiens pueblos avaient su en tirer parti . Si même le tribut versé par les neiges et les glaciers est très abondant , il arrive qu' en aval l' eau souterraine afflue . Sous les sables qui succèdent aux amoncellements de blocs et de graviers dont le fleuve s' est déchargé d' abord , elle s' infiltre pour reparaître en sources , en fontanili , ou être facilement atteinte par des puits . En tout cas , l' emploi agricole des eaux n' exige qu' un aménagement simple , et nullement hors de la portée de ces indigènes qui , suivant le mot d' un des meilleurs connaisseurs de l' * Asie centrale , " savent fort bien utiliser les moindres ruisseaux , mais sont incapables d' exécuter des travaux d' irrigation importants " . Le sol n' est pas moins propice que l' eau . Composé de terrains de transport , il reste imprégné , sous le climat sec des régions subtropicales , des substances que l' action des vents ou le ruissellement des eaux y ont accumulées . Soustrait au lavage épuisant des pluies tropicales , il tient en réserve une foule de résidus solubles , d' éléments tels que chaux , potasse , magnésie , et par là une fertilité intrinsèque prête à surgir . Chaque année les hommes voyaient se renouveler le même miracle : une poussée subite de végétation , une floraison merveilleuse jaillissant , au premier contact des pluies de printemps , de terrains qui , auparavant , présentaient toutes les apparences de mort . Et ces légions de plantes annuelles remplissaient en quelques mois leurs promesses de grains ! Cette leçon ne fut pas perdue pour les hommes . Nulle révélation , si ce n' est celle du feu , ne fit sur eux une impression plus forte . Sans parler des mythes qu' elle engendra , elle leur apprit à surprendre et à épier l' arrivée de l' eau du ciel , à adapter leurs cultures en conséquence . Il y eut , à côté des oasis d' irrigation , des cultures de terrains non irrigués . On appelle bangar , dans le * Pendjab , les plateaux intermédiaires entre les vallées irriguées ou khadar : c' est , semble , le même mot que bagara , par lequel les agriculteurs iraniens de l' * Asie centrale désignent les terres qu' ils ensemencent dans l' espoir de l' humidité hivernale et printanière ; terres qui , généralement , sont contiguës aux oasis irriguées . Ainsi les deux principaux modes de culture se pénètrent . Le blé , l' orge , le mil sont à la fois des plantes d' irrigation et de terrains secs . Il n' y a point entre l' oasis et le désert , entre le limon sombre et le sable fauve , cette limite inflexible qui semble enfermer dans un étau le cultivateur des * Ksour . Des conditions variées et extensibles s' offrent à l' établissement des hommes : pentes de loess arrosées irrégulièrement par les pluies , rivières grossies par les neiges , et tous les suintements que , dans les hautes altitudes , ont préparés les neiges et les glaciers . Sur ces bandes longitudinales que dessine l' allure du relief , l' agriculture ne s' interrompt que pour recommencer ensuite d' après un type semblable . L' usage de la charrue et des mêmes céréales est pratiqué d' un bout à l' autre . Depuis plus de vingt siècles , des incursions de hordes nomades ont déchiré en * Asie le rideau de cultures , refoulé vers les montagnes les races qui en avaient fertilisé les abords et auxquelles nous devons une grande partie des plantes qui composent notre patrimoine . L' agriculteur tenace n' a pas lâché prise . " partout où il y a de l' eau et la bonne terre , on trouve le sarte " , dit un proverbe iranien . Le paysan persan s' est blotti , pour laisser passer l' orage , entre les murs de terre de son bourg . Sur les plateaux de * Kermelis et d' * Erbil , d' actifs villages se pressent autour des innombrables tumuli , vestiges des anciennes populations assyriennes . Telle est la puissance de certains faits naturels qu' elle se manifeste partout par les mêmes effets . C' est le long du versant oriental des * Montagnes * Rocheuses que cheminèrent les migrations indigènes vers le * Mexique . C' est à l' aide des oasis échelonnées au pied des * Andes que les incas du * Pérou propagèrent leur civilisation vers le sud , jusqu'au * Chili . Mais il ne s' est pas trouvé en * Amérique , au bout de ces voies de transmission , une * Chine ou une vallée du * Gange . IV . - * Chine . le peuple qui a multiplié dans les plaines alluviales du * Houang- * Ho et du * Yang- * Tseu , et dont le nom s' associe , pour nous , à une idée de pullulement dans l' étendue , les chinois , rattachent leur origine aux pays de l' ouest . Jamais , d' ailleurs , leurs relations n' ont été rompues avec l' * Asie centrale , d' où ils tiraient le jade , les chevaux , où ils établirent longtemps leurs marchés de soie . La périphérie septentrionale du massif central asiatique avait pour issue naturelle , vers l' est , la zone d' écoulement où l' érosion ravivée entraîne les eaux intérieures à la mer . Les bassins intérieurs , les anciennes cuvettes lacustres subissent dès lors une transformation : dessalées par l' afflux continuel des eaux courantes , renouvelées par l' apport continuel d' alluvions , elles entrent en liaison les unes avec les autres : liaisons encore imparfaites , il est vrai ; car le * Houang- * Ho et ses affluents passent par des alternances de bassins et de gorges . Néanmoins cela suffit pour introduire plus de continuité entre les groupes , plus de liberté dans leurs relations réciproques . Le contact de ces régions fut décisif pour ce peuple d' agriculteurs . Un sursaut de fécondité se produit chaque fois que des groupes déjà arrivés à certain degré de civilisation , mais dans des conditions relatives de pauvreté et de rudesse , trouvent occasion de pratiquer dans un milieu plus riche , dans une ambiance plus large , les qualités auxquelles ils avaient dû leurs progrès . Les beni-israël ne tardèrent pas à multiplier quand ils quittèrent les steppes de l' * Aram pour les terres plus fertiles de * Chanaan . L' hellénisme acquit une force nouvelle de multiplication sur ces terres d' * Asie * Mineure et de * Sicile , auprès desquelles la * Grèce continentale semblait avoir " la pauvreté pour compagne " . Ainsi arriva -t-il aux germains , quand , sortis de leurs ingrats domaines du nord , ils commencèrent à s' épanouir dans les pays rhénans . C' est ce qu' avaient éprouvé les tribus chinoises lorsque , à une époque qu' il est difficile de déterminer , elles descendirent des oasis orientales de l' * Asie intérieure pour se répandre dans la vallée du * Veï- * Ho , le grand affluent du fleuve * Jaune . Parmi les provinces historiques de la * Chine , le * Kan- * Sou et le * Chen- * Si marquent le chemin suivi . Elles sont en liaison naturelle . Dans la première , le désert est encore pressant et partout visible ; les villes qui s' échelonnent sporadiquement depuis * Sou- * Tcheou jusqu'au fleuve * Jaune ont encore le caractère d' oasis . Mais , dès l' entrée du * Chen- * Si , la continuité des cultures est désormais assurée ; elle se prolonge en se transformant . Les cultivateurs d' oasis apportèrent jadis dans ces plaines de loess des arts agricoles nouveaux avec lesquels ils étaient déjà familiarisés , l' irrigation des champs au moyen des eaux dérivés des montagnes . Mais en revanche , en face de nouveaux problèmes , ils apprirent eux-mêmes à amplifier leurs méthodes et leurs efforts pour s' attaquer à de plus grandes forces naturelles . Un lien de filiation reste manifeste , toutefois , avec les cultures nées sur les pentes de l' * Asie centrale . Même habileté à distribuer en réseau artificiel les rivières pourvues de pente , à combiner les cultures de plateaux avec celles des vallées . Cette civilisation agricole , avant de s' épanouir dans les vastes plaines deltaïques , semble à regret s' écarter des chaînes ; elle en suit le pied , en borde fidèlement la frange dans le * Tche- * Li et le * Chan- * Toung ; ou bien elle se prélasse dans des bassins de dimensions encore restreintes : celui de * Taï- * Yan- * Fou , dans le * Chan- * Si , un des berceaux de la civilisation chinoise , n' a qu' une étendue de 5 . 000 kilomètres carrés ; celui de * Si- * Ngan- * Fou , sur le * Veï- * Ho , un des plus anciens centres populeux , n' en a guère plus du double . Mais grâce à un régime de pluies plus favorables bien qu' aléatoire encore dans ces provinces du nord , la terre jaune manifeste pleinement sa puissance de fécondité . Elle devient le talisman auquel est attachée l' existence de ce peuple . La conquête des grandes étendues n' a pas procédé en * Chine par grandes enjambées , comme elle put le faire de nos jours aux * états- * Unis ; mais pas à pas , minutieusement , suivant le génie menu et les habitudes ataviques de la race . Une progression graduelle est sensible dans le sens où , de plus en plus , les horizons s' ouvrent , les montagnes s' écartent , et que suit le cours des eaux . Un ciel moins avare de pluies , un sol où la terre jaune s' émiette et se disperse en alluvions , accueille dans le * Ho- * Nan , province médiatrice entre les deux régions de la * Chine , * Cathay et * Manzi , les immigrants venus de l' ouest ou du nord . Par delà la chaîne transversale qui sépare les bassins du * Houang- * Ho et du * Yang- * Tseu , l' atmosphère d' ardent soleil baignée par les pluies de moussons permet , malgré la disparition du loess , un plus riche assortiment de produits . Dans cette ambiance nouvelle , l' organisation acquise ne périt pas : les cadres étaient formés , il suffit de les élargir . Tout ce qui caractérise , en effet , une conscience collective plus large se rattache à ce groupement de provinces , * Chen- * Si , * Ho- * Nan , * Chan- * Toung , où s' ouvrirent les vastes perspectives : là est le séjour des premières dynasties , le site des plus anciennes capitales , la patrie des sages et des philosophes . Au delà encore , la contrée intermédiaire où se fondent les contrastes du nord et du sud , la province de * Ho- * Nan , au sud du * Houang- * Ho , a reçu de la phraséologie chinoise la qualification de " fleur du milieu " . La population qui , dans le nord , s' agglomère en villages , se dissémine ici en innombrables hameaux ; image d' épanouissement et de confiance , parfois mal placée , car l' irrégularité des saisons suspend toujours la menace de famine . Mais dans la région où se confondent les alluvions des deux grands fleuves , la lutte contre la nature soulève plus de difficultés . Ce n' était jadis qu' un dédale de marais et de lagunes , entre lesquels vagabondaient des rivières à fortes crues ; l' accès en est encore assez difficile pour avoir arrêté en 1856 la marche des taïpings vers le nord . De temps en temps " le monstre sort de sa cage " : le * Houang- * Ho , changeant brusquement de lit , précipite un flot trouble à travers les campagnes . La lutte contre de tels ennemis réclame force de bras ; il n' y a pour de telles contrées qu' une alternative , sauvagerie ou surpeuplement . La religion et l' état surent y pourvoir . L' ère des grands travaux collectifs s' ouvrit en * Chine en 486 avant notre ère , par le creusement d' un premier tronçon du * Grand- * Canal , quatre ou cinq siècles environ avant qu' elle ne commençât au * Japon . C' est le moment où une vue d' ensemble , exigeant du peuple de travailleurs , se substitua aux entreprises particulières et locales . La question de population qui , chez cette race de petits cultivateurs , était déjà une affaire de famille , devint aussi affaire d' état . Déjà , en * Chine comme dans l' * Inde , la nécessité économique transformée en règle religieuse avait donné lieu à un culte de famille . Pour la morale chinoise comme pour la doctrine brahmanique , le mariage et la procréation d' une descendance nombreuse sont le devoir sacré qui assure aux ancêtres l' accomplissement des rites domestiques . Il s' y joignit en * Chine un intérêt politique . L' empereur , chef de la grande famille , pratiquait des recensements plusieurs siècles , dit -on , déjà avant notre ère ; il y avait des primes à la population , des amendes sur le célibat . Si parfois l' augmentation paraissait insuffisante , la complaisance de la statistique ne se faisait pas faute d' enfler les chiffres . Mais les réalités suivaient . Le mot " effrayant " revient sous la plume des européens à la vue du nombre d' enfants dans les foules chinoises . Partout où se concentre l' activité chinoise , travaux de rizières , halage de bateaux , banlieues sans fin , tumulte dans les rues , on a l' impression que le réservoir humain coule à pleins bords . On ne sait pas au juste quelle est actuellement la population totale de la * Chine propre : le chiffre en a été probablement exagéré dans des estimations précédentes s' inspirant trop d' analogies européennes . Cette population est loin de former une trame continue . Entre ces bassins où elle s' est concentrée et où elle a multiplié à plaisir , s' interposent comme des marches-frontières qu' elle n' a pas entamées , portant son effort exclusif sur le pied des montagnes , les plaines canalisées , les bassins intérieurs où se pratiquent les cultures traditionnelles . Le bassin intérieur que dessine la province dite des * Quatre- * Fleuves ( * Sseu- * Tch'ouan ) , où se rassemblent les eaux de quelques-unes des plus hautes montagnes du monde , passe à bon droit pour une des merveilles d' irrigation où triomphe l' agriculture chinoise ; la population y atteint , dans la plaine centrale de * Tch'eng- * Tou , une densité qu' on peut évaluer entre 300 et 350 habitants par kilomètre carré , mais elle est à peu près concentrée dans cette partie de la province . Si l' on évalue approximativement à 45 millions la population totale du * Sseu- * Tch'ouan , il convient d' ajouter que les deux tiers au moins se trouvent dans la partie centrale . Le reste , c' est-à-dire les flancs élevés des montagnes , les parties échappant par leur altitude ou par leur éloignement aux procédés de fécondation que nécessite la proximité immédiate de centres habités , est resté le domaine des populations antérieures , continuant à y pratiquer une culture plus ou moins primitive . Dès que cesse la région de loess , où le sol est capable de produire sans engrais de riches moissons , et qu' à sa place , au sud du * Ho- * Nan , se déroulent ces terres incessamment lavées par les pluies dont il faut sans relâche reconstituer la fertilité , une marge plus grande est abandonnée à ces populations qui , sous différents noms , représentent les couches antérieures , sinon la couche primitive , sur lesquelles se sont étendues , comme une alluvion nouvelle , les races plus avancées en civilisation . Historiquement , cela s' exprime par une colonisation procédant d' abord de l' ouest à l' est , puis du nord au sud . Elle s' épanouit en atteignant les grands bassins intérieurs qui relient le * Yang- * Tseu et ses magnifiques affluents . Lorsque , par l' accroissement méthodique de ses ressources et sous l' impulsion de ses vieilles dynasties , elle parvient à disposer d' une technique et d' une main-d'oeuvre suffisantes pour affronter les grands travaux de canalisation et d' endiguement , son domaine s' agrandit d' une conquête où cette multitude prolifique va démesurément pulluler . Mais , dans le développement organique de la civilisation chinoise , ces plaines deltaïques font l' effet d' une excroissance énorme qui s' est greffée sur le tronc principal . Là n' est point l' axe de la * Chine . Le chemin de fer central de * Pékin à * Han- * K'eou correspond mieux que la région littorale aux directions qu' a suivies ce peuple . Quand enfin les bassins et les plaines alluviales se rétrécissent et font place aux régions montagneuses et entrecoupées des provinces du sud , le flot se divise et va s' affaiblissant . Il s' infiltre néanmoins par les vallées , par les embouchures des fleuves . Et c' est ainsi qu' il s' insinue profondément , mais progressivement modifié , dénaturé par un métissage continuel , dans l' * Indochine , l' * Indonésie , le monde malais ; étapes d' où il serait prêt à déborder , en dépit des barrières qu' on lui oppose , sur tout le pourtour du * Pacifique . V . - * Inde . l' étude des grandes agglomérations humaines qu' encadrent d' une part l' * Hindou- * Koutch et les montagnes de l' * Assam , de l' autre les * Himalayas et le cap * Comorin , montre les analogies profondes des grands phénomènes humains . à l' origine des mouvements qui ont déversé sur l' * Inde , comme sur la * Chine , des flots nouveaux de populations , agit une cause géographique : le passage de l' * Asie sèche à l' * Asie humide , de la région des oasis à celle des pluies de moussons . La transition est naturelle entre les vallées que fertilisent les eaux du * Naryn , du * Zarafchan , de l' * Oxus et le pays des * Cinq- * Fleuves , le * Pendjab , vestibule historique , et sans doute aussi préhistorique , des invasions et immigrations de peuples . Les tribus aryennes , que l' acheminement le long des montagnes guida vers la grande plaine indo-gangétique , y trouvèrent aussi vers l' est , comme les tribus chinoises affluant du * Kan- * Sou et de l' * Asie centrale , l' attrait d' un enrichissement progressif de nature . Au delà du seuil de * Sirhind , les pluies de moussons se prononcent et se régularisent ; le sol sablonneux s' imprègne de réserves d' eau à une faible profondeur , la surface du * Doab , ou * Mésopotamie entre la * Djoumna et le * Gange , est percée d' innombrables puits . Le peuple des palmiers , figuiers , lauriers , s' enrichit de nouvelles recrues ; les cultures de riz , bananiers , canne à sucre , viennent s' ajouter à celles des saisons sèches . Comme en * Chine , une sorte de consécration religieuse s' attacha à la contrée où des populations laborieuses et pauvres s' étaient vues initier à une vie plus large . Chose remarquable , en effet , ce n' est pas le * Bengale , où pourtant les facultés nourricières sont à leur comble , qui marqua ainsi dans les traditions reconnaissantes de ce peuple ; c' est la haute vallée du * Gange jusqu'à la ville sacrée de * Bénarès , qui dans le sanscritisme brahmanique est la contrée bénie , le pays du milieu , madhia desa ! jusque -là se conserve à peu près dans sa pureté le type de communauté villageoise que les aryens avaient apporté avec eux , comme une organisation traditionnelle dont la discipline réglementée évoque les régions sèches d' où ils venaient . Mais plus on avance vers les régions de pluies abondantes , soit vers l' est dans le * Bengale , soit vers le sud vers * Cochin et * Travancore , plus les groupements se disséminent et se multiplient ; le village fermé fait place à une poussière de hameaux entre lesquels il est souvent difficile de tracer une séparation . Même changement en * Chine . Lorsqu' on a franchi vers le sud les provinces de * Ho- * Nan et de * Chan- * Toung , le changement de nature se traduit par une dispersion caractéristique des habitations . " d' innombrables petites fermes , toutes semblables , groupées par douzaines de maisons en terre avec quelques arbres : rarement on voit un plus grand village " : ainsi se présente la physionomie des campagnes qu' arrose le * Han , dans la province de * Hou- * Pé . Et dans la plaine de * Tch'eng- * Tou ( province de * Sseu- * Tch'ouan ) , les membres de la mission lyonnaise s' étonnent de cette route qui pendant 80 kilom . Environ " n' est , pour ainsi dire , qu' une seule rue bordée de maisons " . L' espèce humaine s' épanouit plus librement sur un sol plus riche en promesses : toutefois les bases de l' état social ne diffèrent qu' en apparence . Le village fermé était une expansion de la famille ; le hameau , c' est la famille elle-même unissant ses forces en une petite communauté agricole . Ainsi se composent d' une multitude de petits groupes , cellules vivantes , ces agglomérations dont la masse nous étonne . La trame est formée d' un entrecroisement innombrable de fils ténus , mais qui n' en sont pas moins solides et résistants . Les alignements d' habitations qui se succèdent dans le nord de la * Chine sont combinés de façon à réunir en un groupe les familles qui se rattachent les unes aux autres par une communauté de descendance et de rites . Dans le village-type de l' * Inde septentrionale , les liens de famille constituent une telle chaîne entre les habitants que , par suite des prescriptions et prohibitions qui règlent le mariage , les unions dans le village même sont rendues presque impossibles . On cherche femme dans le village voisin . Sur ces ensembles , toutefois , plane un air de ressemblance . Une civilisation commune les pénètre , capable de gagner de proche en proche , et douée , dans l' * Inde non moins qu' en * Chine , d' une force remarquable de propagation . On est en présence d' une de ces imposantes créations humaines qu' une longue histoire a façonnées . D' un nombre d' hommes d' origines diverses , rassemblés à époques successives dans certains domaines privilégiés , elle a fait un bloc . Il a fallu pour cela un apport plusieurs fois renouvelé d' activités , un patrimoine grossissant d' acquisitions . Une force de rapprochement et de concentration s' est dégagée , capable de maintenir dans un rapport de collectivité d' immenses multitudes humaines : non toutefois sans que , dans les interstices de ces grands corps , il n' y ait place pour des groupes réfractaires , restés fidèles à leur état primitif . Il en était ainsi dans ces grandes monarchies qu' autrefois ont vues l' * égypte , la * Perse , et par là ces civilisations contemporaines de l' * Inde et de la * Chine restent empreintes d' un trait d' archaïsme . Plus on étudiera la composition de ces agglomérations , mieux on verra qu' elles sont le résultat d' une sédimentation prolongée , et dans les alluvions qui ont contribué à les former , on reconnaît les apports successifs guidés par des voies naturelles . Aux peuples plus avancés dont la vague est venue en dernier lieu , il a appartenu d' imprimer sur ces contrées le sceau d' institutions sociales et politiques , qui , désormais , les désigne et les classe dans le monde . Leur rôle a consisté surtout à mettre , par l' ascendant de leur civilisation , plus de cohésion entre les groupes préexistants , à assembler en une construction des matériaux épars . Ils se sont superposés à des couches antérieures . Nous ne pouvons encore que soupçonner les mélanges dont se compose l' agglomération chinoise . Au * Japon on distingue au moins trois ou quatre types fondamentalement différents . Quant à l' * Inde , les recherches poursuivies depuis trente ans par l' ethnographic * Survey nous font entrevoir combien d' éléments divers entrent dans cet ensemble de 300 millions d' hommes . Pour ne parler que de la plaine indo-gangétique , que de variantes et quelle insondable diversité de races sont recouvertes sous ces étiquettes sommaires et provisoires : indo-aryen , aryo-dravidien , mongolo-dravidien ! Dès qu' on entre dans l' analyse des caractères ethniques , on soupçonne de bien autres diversités que celles des langues , et l' on commence à distinguer sur quels fondements et de combien de matériaux s' édifient ces blocs humains si bien cimentés qu' ils semblent désormais à toute épreuve . Toutefois , leur force d' accroissement n' est pas illimitée , pas plus que la sève d' inventions qui les a animés dans le principe . La sève semble tarie et l' accroissement semble aujourd'hui arrivé à un point quasi stationnaire . Rien du moins , pas plus dans l' * Inde qu' en * Chine , ne peut être comparé aux progrès qu' a accomplis , dans le cours du XIXe siècle , la population de l' * Europe . La population de la * Chine , d' après un juge bien placé pour en parler , le ministre américain * W . * W. * Rockhill , ne se serait que très lentement accrue pendant le siècle dernier . Là , comme dans l' * Inde , l' abondante natalité est tenue en échec par une mortalité presque aussi forte . Considérée par petites périodes , la population peut accuser parfois un accroissement notable ; mais il faut , pour en bien juger , prendre du recul . C' est l' éternelle histoire des vaches grasses . Vienne ensuite la période contraire : un cortège de fléaux , famine , épidémies , défiant l' effort même de l' administration britannique , ne tarde pas , comme en vertu d' une périodicité , à s' abattre ; et du coup disparaissent tous les êtres faibles que la misère , le défaut d' hygiène , la vie précaire , avaient prédisposés à leurs coups . VI . - archipels asiatiques . - * Japon . le continent asiatique était , par sa configuration taillée à grands traits , par l' étendue des rapports qu' il ouvre , seul apte à fournir à de telles agglomérations le domaine qui leur convient . Mais à l' ombre de ce continent , se déroule un monde insulaire que les moussons mettent en continuels rapports avec lui . * Sumatra , * Java , * Borneo n' en ont été détachés qu' à une époque postérieure au développement d' une puissante animalité parmi laquelle figurent les plus anciens spécimens connus d' espèce humaine . à la faveur des articulations innombrables qui découpent ces archipels dont * Marco * Polo ébloui estimait les îles par milliers , s' est formée ce qu' on appelle la race malaise : groupe plutôt que race , né du mélange et de la fermentation de la vie maritime . Par l' une de ses extrémités il se lie aux dravidiens du * Décan et par l' autre aux races de la * Corée et de la * Chine . Dans cette immense diffusion , les éléments les plus hétérogènes , les degrés les plus inégaux d' état social coexistent . Entre les côtes et l' intérieur s' accusent de profondes différences : de très anciens afflux d' immigrants , tamouls de l' * Inde ou chinois du * Fou- * Kian , ont répandu sur le littoral des contingents sans cesse accrus d' hommes et de civilisations , tandis que , dans les vallées et sur les pentes des montagnes , végétaient des tribus demi-civilisées comme les bataks de * Sumatra ou les dayaks de * Borneo , et que de véritables primitifs parvenaient à maintenir leur survivance dans l' intérieur des forêts tropicales . La concentration de la population s' est réalisée dans quelques parties seulement de ce domaine insulaire : à * Java où , dès les temps anciens , les hindous apportèrent leurs cultures de riz , les éléments d' une civilisation supérieure et qu' ils prédisposèrent ainsi à profiter merveilleusement de la sécurité et des avantages de l' administration européenne ; enfin dans les * Philippines , où la vallée centrale et la région deltaïque du sud de * Luçon montrent une densité en voie rapide d' accroissement . Les trois principales îles de l' archipel japonais , * Kiou- * Siou , * Sikok et * Hondo , représentent aujourd'hui une agglomération humaine supérieure en nombre total à celle des * Iles * Britanniques , à l' extrémité opposée de l' ancien continent . Les traces de l' homme sont très anciennes dans cet archipel , de même que sur tout le pourtour sud-oriental du continent asiatique . L' idée que l' on peut se faire de la démographie de ce * Japon primitif est celle d' une population à laquelle les abondantes pêcheries de son littoral maritime valurent de bonne heure une densité relativement forte . On sait à quel point le poisson entre aujourd'hui comme nourriture principale dans l' alimentation japonaise . Un vingtième de la population actuelle se livre encore à la pêche . Dans aucune contrée , a -t-on pu dire , la mer n' a pris une plus grande part au développement matériel et moral d' un peuple . Nul doute qu' une formation précoce de densité n' ait été atteinte de ce chef sur les côtes japonaises . Ce littoral découpé , baigné par les courants , n' est pas sans analogie avec la côte de sounds et de fiords qui s' étend , sur l' autre bord du * Pacifique , entre le * Puget * Sound et l' * Alaska . Là aussi , de riches pêcheries , à la rencontre des courants , ont amassé de bonne heure une population relativement nombreuse . Mais , pour que le * Japon ne demeurât point au stade où se sont arrêtées ces tribus nutkas , thlinkit , etc. , du nord-ouest américain , d' autres causes sont entrées en jeu . Le contact de l' * Asie était autrement fécond que celui de l' * Amérique précolombienne . La proximité d' un grand continent populeux et civilisé est historiquement sensible aux environs du VIIe siècle avant notre ère . C' est dans l' île la plus méridionale , * Kiou- * Siou , la plus rapprochée de la * Corée et de la * Chine , que commence le travail d' organisation qui donne son estampille à la société en formation . De là , elle rayonne et multiplie . Elle gagne successivement les deux grandes îles avec lesquelles la mettent en rapports les innombrables indentations de la mer intérieure . L' île de * Hondo était encore , dans l' intérieur , occupée par un peuple qui est resté pour les japonais l' image même de la barbarie , les aïnos . Tandis qu' ils sont impitoyablement pourchassés vers le nord , les dynasties impériales se font , au contraire , un devoir d' accueillir et de répartir parmi leurs sujets les immigrants qui viennent de * Chine et de * Corée . Ceux -ci apportent , en effet , des arts nouveaux , soit pour l' industrie , soit pour l' agriculture et l' aménagement des rizières . Ce flot précieux d' immigrants est alimenté par les fléaux qui frappent périodiquement les populations du continent voisin : famines , révoltes , guerres civiles et étrangères . Le légendaire pays de * Zipango joue à cet égard le rôle de refuge et renforce ainsi à maintes reprises son peuplement . Telle a été souvent la destinée des îles aux époques troublées qui bouleversent les populations des continents ; tel fut , en * Europe , le rôle des îles * Ioniennes au temps des invasions turques . Si l' on met hors de compte la croissance urbaine , due surtout à l' apparition récente de la grande industrie , l' intense peuplement japonais est strictement attaché à l' aménagement des rizières et aux cultures délicates ( thé ) auxquelles les pentes inférieures des collines prêtent leur abri . Un aménagement minutieux et parcellaire du sol , dans des compartiments exigus qu' encadrent les montagnes , l' irrigation assurée par les pluies de moussons , l' engrais fourni par les débris de poissons ou par les herbes dont on dépouille la montagne , telles sont les bases d' une économie rurale aussi intensive que restreinte . Pas ou peu d' élevage ; pas d' exploitation des montagnes . L' homme n' a songé à demander aux versants que couvre une mosaïque fleurie de plantes herbacées ( hara ) , qu' un engrais à enfouir dans le sol , peut-être aussi un plaisir esthétique , un principe d' art. Ce n' est pas sans surprise qu' on constate que dans les trois grandes îles où s' est constituée la civilisation japonaise et dont la population atteint une densité comparable à celle de l' * Angleterre et de l' * Italie du nord , la superficie cultivée n' atteint guère que le septième du sol . Mais c' est une culture de jardiniers , obtenant par an deux récoltes et même trois dans le sud-ouest . Le japonais , en sa qualité d' imitateur , se montre encore plus spécialiste que le chinois dans le choix des espaces qu' il met en valeur . La densité s' abaisse progressivement , au * Japon , vers le 40e degré de latitude ( nord de * Hondo ) et tombe dans l' île d' * Yéso à moins de 20 habitants par kilomètre carré . Même chute brusque sur le continent , lorsque au delà des plaines de * Pékin et du littoral on dépasse le 40e degré . Depuis trois siècles que les plaines du * Leao , au pied des montagnes de * Mandchourie , ont été entamées par la colonisation chinoise , ses progrès n' ont guère dépassé encore la province de * Moukden . Celle -ci n' a même qu' une densité inférieure à celle de la montagneuse * Corée , et au delà , dans la province de * Girin , par 45 degrés de latitude , c' est à un chiffre tout à fait insignifiant que tombe la proportion relative d' habitants . Ainsi les grands rassemblements humains cessent en * Asie à peu près vers la latitude où ils se renforcent en * Europe . Est -ce la nature seule qu' il convient d' incriminer ? Sans doute la rudesse du climat continental , qui déjà dans le sud de la * Mandchourie ne permet que des blés de printemps , doit entrer en ligne de compte ; mais une culture perfectionnée eût trouvé un vaste champ dans ces paysages de parc , mélanges de prairies et de bouquets d' arbres , qui caractérisent la province de l' * Amour et qui représentent probablement la physionomie végétale primitive de notre * Europe . VII . - conclusion . en réalité , cette limite asiatique des grandes agglomérations humaines est celle d' une forme de civilisation . Le chinois comme le japonais ont poussé le plus loin qu' il leur était possible avec leurs procédés traditionnels , la culture minutieuse dont ils avaient contracté l' habitude . Chez toutes les sociétés agricoles qui ont essaimé dans la zone terrestre que nous venons de considérer , des confins de la * Libye à ceux de la * Mandchourie , c' est le maniement de l' eau fournie par les pluies et les fleuves , la pratique de l' irrigation de plus en plus étendue , qui ont été les grands facteurs de développement numérique . Restreint dans les oasis , limité à une frange bordière le long des montagnes de l' * Asie centrale , ce mode de culture a trouvé dans les plaines du * Gange et de la * Chine des domaines à souhait pour s' épanouir . Ainsi de puissants foyers d' appel se sont formés pour les hommes . Leur rayonnement s' est étendu sur toute la périphérie insulaire de l' * Asie orientale . Le cadre spécial dans lequel ont grandi ces sociétés est géographiquement différent de celui qui délimite les populeuses sociétés d' * Europe . La pénétration réciproque que favorisent les communications modernes pourra à la longue atténuer ces différences ; il est probable néanmoins qu' elles subsisteront dans les traits principaux de la démographie . Des agglomérations principalement fondées sur l' industrie et la vie urbaine présentent sous bien des rapports d' autres modes d' existence , d' autres phénomènes que celles qui se sont établies sur une collaboration agricole d' une multitude d' êtres humains groupés par familles ou par villages . On ne saurait méconnaître dans celles -ci un caractère d' archaïsme qui nous reporte aux premiers efforts qu' a dû faire l' espèce humaine pour se constituer en force et en nombre . La surabondance de produits obtenus par un ingénieux aménagement de l' eau dans des climats interrompant à peine la végétation de l' année , eut un effet merveilleux pour permettre la coexistence sur des points restreints de forts groupes numériques . L' adaptation de l' eau à des cultures régulières , foisonnant sur place et se succédant à prompts intervalles , contribua à concentrer les hommes , de même que , primitivement , l' usage du feu avait facilité leur dispersion dans presque toutes les parties de la terre . L' une et l' autre de ces inventions primordiales se retrouvent dans la répartition actuelle de notre espèce . C' est parce que , dès les anciens âges , des groupes se sont répandus sporadiquement à travers les étendues continentales , que nous rencontrons à l' heure actuelle tant de diversités et d' inégalités , autrement inexplicables , dans leur degré de culture . Et c' est parce que l' irrigation , après avoir appris aux hommes à se serrer sur des points déterminés , leur a fourni , en certaines contrées , un thème de perfectionnements s' engendrant les uns les autres , que nous voyons des agglomérations qui n' ont pas attendu pour grandir les facilités qu' offrent les transports modernes . Ces impulsions initiales ont donné le branle et orienté le développement géographique de l' humanité . On peut , au reste , constater ce fait , qu' à chacune des étapes de ce développement correspond une appropriation nouvelle de ressources ou d' énergies naturelles . C' est par des efforts d' invention que l' homme d' aujourd'hui comme de jadis parvient à se faire une place de plus en plus considérable sur la terre . chapitre iv . L' agglomération européenne . I . - les limites : parmi les quatre groupes d' agglomération humaine , - * Inde , * Chine , * Europe , * états- * Unis , - le groupe européen est aujourd'hui le principal . Dans la répartition de l' espèce humaine sur le globe , il représente un foyer dont l' action se répercute partout ; comme puissance numérique et économique , il est le bloc prépondérant qui met son poids dans la balance . Cette supériorité numérique est de date récente . Il est probable qu' au commencement du XIXe siècle la population de l' * Europe n' atteignait pas le chiffre déjà atteint par l' * Inde et la * Chine : elle s' élevait , d' après les calculs les plus plausibles , à 175 millions environ . Si l' on considère qu' avant les vides , pour le moment incalculables , causés par la guerre , elle était évaluée , en 1914 , à 448 millions , il en résulte un accroissement d' environ 150 p. 100 dans une période dépassant à peine un siècle . La densité moyenne , qui était à peu près de 19 p. 100 en 1800 , était arrivée à dépasser , dans ces dernières années , le chiffre de 45 p. 100 . Il est vrai qu' une moyenne s' étendant indistinctement à l' * Europe entière perd beaucoup de sa valeur . Un trait plus significatif de cette statistique rétrospective est que , vers 1815 , aucune grande région sur le continent européen n' avait une densité comparable à celle du royaume lombard-vénitien , soit 90 habitants par kilomètre carré : la richesse agricole , le legs historique de grands travaux publics expliquaient cette supériorité . Cette contrée a notablement accru sa population dans le cours du dernier siècle ; mais , sans parler de la * Grande- * Bretagne , la * Belgique , la province rhénane , la * Saxe montrent aujourd'hui une densité supérieure à la sienne . La répartition a donc varié aussi bien que l' effectif total . Des déplacements de densité ont eu lieu . On est en présence d' un fait en marche , provoquant des chocs en retour qui se transmettent d' une contrée à l' autre . Car c' est , depuis un demi-siècle environ , dans l' * Europe orientale , en * Russie notamment , que l' accroissement de la population procède à l' allure la plus accélérée . Sans doute , des obstacles de climat s' opposent à ce que l' * Europe , dans sa totalité , soit entraînée dans ce mouvement : néanmoins l' organisme européen est tel aujourd'hui que les nerfs moteurs agissent avec force jusqu'aux extrémités des membres . Le cadre dans lequel se circonscrit , actuellement du moins , l' agglomération européenne , pourrait être approximativement tracé , au nord , par le 60e degré de latitude . Au delà de cette ligne , le long de laquelle s' échelonne , en avant-postes , une rangée de grandes villes , s' étend une vaste région ( 2 . 500 . 000 kilomètres carrés environ ) où la densité de population ne dépasse guère au total 3 hab. Par kmq cube . Cependant , baignée au nord par une mer qui reste généralement libre , cette région , depuis dix siècles au moins , est entrée dans le cercle d' attraction des contrées voisines . Ce sont d' abord les pêcheries qui ont attiré les hommes ; puis , dans la suite des siècles , le commerce des bois et des fourrures , aujourd'hui les mines et l' énergie hydraulique . L' exploitation de ces ressources nouvelles a imprimé un accroissement sensible , depuis un demi-siècle , à la population de ces " confins de l' oecoumène " . Comme dans tous les pays de colonisation , les villes maritimes en ont surtout profité : les deux tiers de la population norvégienne sont sur les côtes , et l' on remarque , en * Scandinavie comme en * Finlande , une proportion relativement forte de population urbaine . Mais les ressources nourricières sont trop indigentes pour laisser beaucoup de marge à l' accroissement ; l' émigration , qui s' y développe au moins aussi vite que la natalité , et même , à l' occasion , des famines se chargent d' y mettre un terme . à l' est , la ligne de démarcation qui circonscrit l' agglomération européenne a un caractère historique autant au moins que géographique . Elle touche à la steppe saline , mais sans borner la région fertile de la terre noire . On peut la considérer comme la ligne provisoire autour de laquelle oscille le pendule , entre le domaine des sociétés assises et celui des groupes plus ou moins instables . Elle est jalonnée , comme la limite septentrionale , par une série de villes rapidement grandissantes , entre lesquelles la * Volga sert de lien . Au delà , dans les gouvernements d' * Oufa , * Orenbourg , * Astrakhan , sur une superficie au moins égale à celle de la * France , la densité de la population ne dépasse guère en moyenne une douzaine d' habitants par kilomètre carré . Entre cette région faiblement peuplée et les contrées d' accroissement rapide et continu qui se prolongent jusqu'à la rive occidentale du grand fleuve , le contraste actuel exprime la lisière vers laquelle expire la civilisation européenne . Dans ses étapes successives , c' est par une rangée de villes qu' elle a procédé , qu' elle a fait front contre la barbarie ; et ce sont des fleuves qui ont servi d' appui à ces fondations urbaines . Tour à tour le * Rhin et le * Danube , puis , lorsque l' oeuvre romaine fut reprise par les carolingiens et le saint-empire germanique , l' * Elbe , la * Saale et l' * Elster , plus tard encore l' * Oder , la * Vistule et le * Dniepr ont vu sur leurs bords s' établir , en rapports les unes avec les autres , des rangées de villes : portes d' entrée et de sortie entre deux mondes , à la fois centres de propagande religieuse , places d' armes , lieux de foires et de commerce . * Mersebourg , puis * Leipzig ; * Magdebourg et * Hambourg ; * Breslau et * Dantzig ; * Riga et * Kiev , tracent des lignes successives . Elles anticipent , dans le développement de l' * Europe , sur le rôle futur des villes commerçantes qui , de * Nijnîï- * Novgorod à * Astrakhan , centralisent autour de la * Volga les relations de l' * Europe orientale et des steppes . La ville a son rôle à part dans la formation du peuplement . C' est un organe politique , un noeud de rapports . Elle est l' expression d' autres phénomènes que le village , c' est pourquoi elle peut exister indépendamment de lui . L' * Amérique et l' * Australie apportent de récents exemples de grandes villes suivant leurs destinées sans le cortège de moindres établissements qui les accompagne en * Europe . Elles servent de points de ravitaillement d' où la population s' élance à de nouvelles conquêtes . ii . - point de départ et conditions d' extension . il reste donc que plus des deux tiers de l' * Europe constituent , au point de vue de la population , un groupe à peu près compact de densité élevée . On distingue bien encore dans cet ensemble des parties faiblement peuplées , mais elles sont entamées de toutes parts , et de plus en plus réduites à la retraite que leur laissent les hautes montagnes , les forêts ou les surfaces marécageuses . Les interstices diminuent entre les rangs pressés qui les assiègent . En somme , il n' y a pas entre les mailles de ce tissu d' intervalles vides , comparables à ceux qui séparent l' * Inde de la * Chine ; ou , dans l' * Inde même , le * Pendjab du pays des * Mahrattes , le * Bengale du * Carnatic . Les agglomérations asiatiques sont nées et ont grandi sous l' influence d' une cause principale , le climat des moussons . Des centres de densité sporadiques se sont rapprochés et ont formé masse , grâce à une collaboration de pluies , de soleil et de fleuves , surexcitant presque sans répit la force productive du sol . Les phénomènes humains se laissent malaisément circonscrire en des limites précises ; on constate toutefois que c' est approximativement entre 10 et 40 degrés de latitude nord que se localisent ces foyers humains . L' agglomération européenne , au contraire , ne touche que par ses extrémités méridionales à cette zone terrestre . L' oeuvre qui a abouti à réunir en * Europe près du quart de la population du globe , s' est généralement accomplie dans des conditions de climat et de latitude dont les exigences dépassent de beaucoup celles des contrées tropicales ou subtropicales . Elle représente par là quelque chose d' original dans l' histoire du peuplement du globe . Elle se distingue ainsi , non seulement des agglomérations antiques qui ont eu pour siège l' * Asie orientale et l' * égypte , mais même de celles qui sont en voie de formation dans les contrées d' * Amérique ; bien que , à vrai dire , celles -ci n' étant encore qu' à leur premier stade , il soit difficile de se prononcer sur leur future extension . Le phénomène qui a accumulé dans cette péninsule de l' ancien monde la masse principale d' humanité , présente une évolution plus complexe que celles que nous avons déjà cherché à retracer . Le fait initial cependant paraît être , ici comme ailleurs , l' abondance de ressources végétales propres à la nourriture de l' homme . L' * Europe , sous ce rapport , surtout dans les parties de son territoire que n' ont pas atteintes les éliminations des périodes glaciaires , n' est pas moins richement dotée que les régions qui semblent , au dire des botanistes , avoir le plus contribué à enrichir le patrimoine de ressources alimentaires : l' * Inde , le * Soudan , ou la * Chine . Quelques-unes des céréales les plus utiles , froment et orge , nombre de légumes , tels que fèves , pois , lentilles , apparaissent sur les bords européens de la * Méditerranée , soit comme indigènes , soit comme des emprunts très anciens à des contrées limitrophes . L' acclimatation des végétaux qui se concentrent autour du domaine méditerranéen , trouva dans le commerce de bonne heure allumé sur ses bords un véhicule naturel ; ajoutons que , au centre même de cette mer , la féconde * Sicile semblait prédestinée à servir d' organe de transmission . Parmi les ressources nourricières dont s' enrichit progressivement l' * Europe , la * Méditerranée a fourni la plus grande part , mais non la seule . La diversité des plantes alimentaires dont * Pline l' ancien fait mention comme en usage chez les peuples sub-ou trans-alpins , est très remarquable , confirmée d' ailleurs par les trouvailles préhistoriques . Nous évitons de mentionner les ressources que l' alimentation pouvait tirer de la chasse ou de l' élevage , puisqu' il ne s' agit que de genres de vie favorables à la formation d' un peuplement dense . Par la facilité de l' existence , avec les avantages et les inconvénients qu' elle entraîne , les parties de l' * Europe situées au sud de 40 degrés se rapprochent de celles qui ont favorisé en * Asie l' épanouissement de l' espèce humaine . C' est en pensant à elles que * Mirabeau a pu parler de contrées où " les efforts des pires gouvernements ne réussiraient pas à empêcher la population de s' accroître " . En réalité , elle ne s' est pas toujours accrue dans le royaume de * Naples et dans l' * Espagne méridionale , et elle a subi bien des régressions temporaires ; mais on doit reconnaître qu' elle a toujours montré , dans les circonstances propices , tendance à s' accumuler . Ce n' est guère que dans les grandes villes du sud de l' * Italie et de l' * Espagne que se rencontre ce prolétariat vivant de peu dont se surchargent les agglomérations de l' * Inde ou du sud de la * Chine , ou même l' hexapole qui garnit le pied des montagnes , dans le * Turkestan oriental . Sans doute , à défaut d' autres besoins , celui de la nourriture quotidienne s' impose ; mais cette question même perd de son acuité et devient , suivant les saisons , tout à fait aisée à résoudre . " à * Murcie , écrivait * De * Laborde , on ne saurait trouver une servante pendant l' été ; et beaucoup de celles qui sont placées quittent leurs conditions à l' entrée de la belle saison . Alors elles se procurent aisément de la salade , quelques fruits , des melons , surtout du piment ; ces denrées suffisent à leur nourriture . " on peut rapprocher ce témoignage de ceux qui nous viennent des oasis du * Turkestan , situées environ aux mêmes latitudes , au sujet de ces populations qui conservent à * Kachgar , * Yarkand et * Khotan , les vieilles traditions d' agriculture iranienne . " pendant les mois d' été , dit * Semenof , les fruits et les melons suffisent à remplacer la charité publique . " là aussi , cette manne périodique est une prime à l' oisiveté et au farniente . la nature se charge , moyennant le minimum d' efforts , et pour ainsi dire au rabais , de pourvoir aux nécessités qui grèvent , sous d' autres latitudes , les sociétés humaines . Cependant les contrées européennes où l' homme peut s' affranchir de la continuité de l' effort , sont l' exception . à peine a -t-on dépassé d' une centaine de kilomètres les rives de la * Méditerranée que les exigences de climat se multiplient . Elles s' imposent déjà aux populations circum-alpines , balkaniques et danubiennes : combien plus encore à celles qu' on entrevoit dès les premières lueurs de l' histoire , groupées le long des terres fertiles qui suivent environ le 50e degré de latitude , et se prolongent , par l' archipel danois , jusqu'au sud de la * Suède ! En face de ces longs hivers , de ces brumes , de ces intempéries incompatibles avec la vie en plein air , chère au napolitain de nos jours comme à son ancêtre de * Pompéi , l' abri , le vêtement , le chauffage , l' éclairage viennent singulièrement compliquer le problème de l' existence . Ce fut une nécessité naturelle qui substitua aux draperies flottantes les vêtements serrés au corps , la saie , les braies gauloises ; qui ajuste au sommet de l' habitat un toit élevé , et fortement incliné pour permettre le ruissellement des pluies . Cet habitat , surtout , prend une importance plus grande dans la vie quotidienne ; ce n' est plus l' installation sommaire où l' on s' accommode après journée passée sur les places publiques , mais le séjour où se pratiquent les travaux d' hiver , où s' entretiennent les industries domestiques , le home , la maison avec toutes les idées et les sentiments qu' elle éveille . Croître et multiplier devient , dans ces conditions , un précepte qui suppose l' effort , et au succès duquel concourent des facteurs de temps , d' ingéniosité , de persévérance . Au delà du 40e degré de latitude , l' homme doit compter avec des nécessités d' habitat , de vêtement-outre la nourriture-qu'on peut comparer à ces poids supplémentaires dont on charge dans les courses certains concurrents . Plusieurs sociologues , depuis * Le * Play , se sont attachés à analyser les budgets d' ouvriers ruraux ou urbains en différentes contrées d' * Europe . Parmi les exemples qu' ils apportent , je choisis de préférence ceux qui concernent les régions où s' est le plus manifesté de nos jours l' accroissement de la population . En * Belgique , en * Saxe , en * Westphalie ( * Solingen ) , à * Sheffield , la répartition des dépenses s' établit à peu près sur les bases suivantes : 60 à 65 p. 100 pour la nourriture , 15 à 20 p. 100 pour le vêtement , 12 p. 100 pour le logement , 5 p. 100 pour le chauffage et l' éclairage . D' après des évaluations plus récentes , dont le * Danemark , pays très prospère , a été l' objet , les dépenses de nourriture ne représentent plus guère pour chaque famille que la moitié de la totalité des dépenses , la proportion restant à peu près la même pour le reste . Le même observateur fait cette remarque générale que plus le budget est petit , plus est grande la proportion des dépenses de nourriture . On peut étendre la portée de cette observation . Quand le tisserand de * Tch'eng- * Tou a prélevé sur son maigre salaire la somme nécessaire à son écuelle de riz , il est fort à prévoir que le superflu , s' il en reste , passe à la maison de jeu . Dans l' * Inde , lorsque la hausse du coton , provoquée par la guerre de * Sécession américaine , eut répandu l' argent chez les cultivateurs du * Dharvar , les bénéfices , dit -on , enrichirent surtout le bijoutier de village . Ne sait -on pas enfin combien , même dans nos contrées méridionales d' * Europe , le goût de la parure , du jeu ( loterie ) prime tout autre emploi des bénéfices aléatoires dont éventuellement on dispose ? Il existe donc des climats où , après satisfaction donnée aux besoins de nourriture , l' homme moyen , qui représente en somme le principal élément numérique de la population , peut à peu près impunément se livrer à ses fantaisies . Tout autre est la conception sociale qui résulte , dans nos climats , de ce que * Montesquieu appelle le " nécessaire physique " . Les devoirs grandissent avec les nécessités , éliminent ou du moins rabaissent à un niveau très inférieur cet élément de parasitisme qui fait pulluler , dans des climats moins exigeants , la mendicité et le vagabondage . Le mendiant n' y est plus " un être aimé de * Dieu " . Une considération impérieuse s' attache à l' extérieur du logement et de la personne , à ce qui constitue le confort et ce qu' exprime bien la formule anglaise , standard of life . cependant , pour subvenir non seulement à ces exigences , mais en outre aux obligations qu' impose la vie moderne , impôts , hygiène , éducation , délassements , etc. , l' effort est nécessaire . Il faut créer plus de ressources pour tenir tête à plus de devoirs . Nos contrées d' * Europe centrale ou septentrionale en offraient -elles les moyens ? Elles ne paraissaient pas de prime-abord disposées par la nature pour entretenir des multitudes pareilles à celles des bords du fleuve * Bleu ou du * Gange . Si pourtant elles les égalent ou dépassent , c' est parce qu' elles ont su tirer des ressources naturelles plus que n' ont fait les sociétés asiatiques . Aux produits du sol elles ont ajouté ceux du sous-sol ; avec les ressources de l' agriculture elles ont combiné celles de l' élevage . Elles ont appelé enfin la science à leurs secours . La formation de l' agglomération européenne apparaît ainsi comme une oeuvre d' intelligence et de méthode presque autant que de nature . iii . - rôle des relations commerciales : ce progrès n' a pas été le privilège d' une race . Non qu' il faille révoquer en doute les qualités supérieures dont l' homme a fait preuve en * Europe pour mettre en valeur avec plus d' intensifier qu' ailleurs les ressources que recélait le milieu . Mais il ne faut pas oublier , quand il est question de l' * Europe , la correspondance naturelle qui en unit toutes les parties . Par son effilement progressif en forme de péninsule , son exiguïté relative , par les facilités de passages qui atténuent l' obstacle des chaînes ou des massifs qui la sillonnent , par les voies naturelles qu' ouvrent ses fleuves , les peuples très divers , très hétérogènes que les circonstances y ont groupés , ne tardent jamais longtemps à entrer en communications réciproques . Le localisme , cause de stagnation , ne tient pas longtemps ; de telle sorte que le progrès accompli par les uns n' est pas perdu pour les autres . Le nombre de contrées qui échappent au mouvement général se réduit d' âge en âge , et soit plus |