La Dépêche

Corpus:
Chambers-Rostand (E)
Nom de fichier:
La Dépêche
Contact:
Angela Chambers, Séverine Rostand, Université de Limerick, Irlande
Niveaux d'annotation:
Annotation automatique
Statut de l'annotation:
automatique
Type:
presse écrite
Sous-type de texte:
presse quotidienne régionale
Modalité:
écrit
Sample address:
/annis-sample/chambers-rostand/1_D_E_220402.html
Texte:
PRESIDENTIELLES : EDITORIAL Terrifiant Terrifiant . La France , terre des droits de l' homme , vient de donner au monde le spectacle navrant d' un pays qui s' abandonne , se crispe et se fracture . La déferlante de l' extrême droite exprime en effet un rejet de la politique « civilisée » , une colère sourde , primaire , instinctive comme nous en avons rarement connue dans l' histoire de notre démocratie , et elle entraîne le pays dans la crise et l' intolérance . Un tabou vient de s' effondrer , d' exploser . Ce séisme bouleverse les repères politiques ainsi que nos traditions républicaines . Le risque est grand d' une déchirure au coeur même de la société , car la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle , et la campagne électorale qui s' engage dès ce matin vont mettre à jour nos blessures jusqu'ici cachées , nos divisions et , peut-être , nos haines : la France se réveille abasourdie , surprise d' avoir « osé l' extrémisme » et obligée d' en assumer les conséquences . Car le Front national n' est pas une organisation politique ordinaire , ce n' est pas un parti vaguement conservateur : il suffit de se souvenir des accès de son chef , de la violence de ses propos - même si , à 74 ans , il a mené une campagne moins féroce qu' à son habitude - , il suffit de lire toute sa propagande , ses journaux , ses tracts , ouvertement racistes et pour tout dire « fascisants » , il suffit d' entendre les discours de ses responsables et les propos de ses militants , pour mesurer le péril qui est aux portes de notre démocratie . Il faut , bien sûr , chercher au plus profond de notre société , les raisons qui ont poussé environ cinq millions de nos concitoyens à s' écarter d' un pacte qui , entre la gauche et la droite , assurait au pays une relative continuité en matière de liberté et de progrès social . Ce pacte s' est rompu sous nos yeux . Il n' y a pas cinq millions d' extrémistes , encore moins cinq millions de fascistes , mais un nombre suffisant de Français qui rejettent en quelque sorte le discours convenu , lointain et « angélique » de ses élites , qui ne se reconnaissent plus dans des valeurs que nous croyions « installées » . Pourquoi ? 1 . - La cohabitation d' abord . La France est lassée par le consensus mou imposé , depuis cinq ans , qui nous renvoie les deux visages de l' exécutif , l' un de droite , l' autre de gauche , mais tous les deux tellement flous . La cohabitation a dévalorisé la fonction de Président et fait croire aux Français que leurs élus , jusqu'aux plus haut placés , n' avaient plus de convictions politiques . Les Français ont compris que , face à l' Europe dont les décisions sont de plus en plus prégnantes , mais aussi face à un gouvernement qui n' est pas de son bord politique , le Président de droite s' est trouvé nu , passant sept années à ne rien décider . On savait que Jacques Chirac n' était pas Mitterrand . A l' Elysée , il n' a cessé de le prouver . Il récidive en ce premier tour où il atteint un score particulièrement faible pour un sortant . Il lui faudra assurément le méditer . 2 . - Quant au gouvernement de la gauche plurielle , il n' a pas mesuré le mécontentement qui montait au plus profond du pays . Le Premier ministre a pourtant été un bon Premier ministre , un homme travailleur et intègre . Il se retire aujourd'hui de la vie politique , avec un empressement qui surprendra le militant - mais sans doute est -ce chez lui un réflexe d' homme honnête . En tout cas , sa défaite est objectivement injuste . Son gouvernement possédait un bon bilan économique et social . Mais , dans son obsession à « bien gérer » , il lui manquait ce supplément d' âme qu' on prêtait autrefois à la gauche - et ce déficit a démobilisé les bataillons populaires de son électorat qui , de longue date , avaient fui vers les extrêmes ( jusqu'à l' extrême gauche qui , elle aussi , réalise un score historique ) ou encore vers l' abstention . C' est pourquoi Lionel Jospin a subi , plus encore que le Président « sortant » , l' érosion du pouvoir . Il a été tenu en vérité pour le « sortant » , pour le responsable de deux malheurs : l' insécurité de l' emploi , l' insécurité dans la rue . 3 . - L' extrême-droite s' est toujours servie des crimes et délits pour gangrener le débat démocratique . On le savait . En faisant précisément de l' insécurité un des thèmes privilégiés de sa campagne , Jacques Chirac lui-même a occulté l' essentiel de la confrontation . Un Président , ce n' est tout de même pas un supercommissaire de police et on attend de lui qu' il regarde plus loin que le bout de la matraque . Il n' empêche , l' insécurité chère à Chirac a profité au seul homme qui en a toujours fait son unique engrais . Dès lors , puisque le Président sortant lui-même criait au loup , tout un électorat populaire a préféré choisir l' original à la copie - Le Pen à Chirac . Qu' on y prenne garde . Et que la droite gaulliste , libérale et centriste ne pavoise pas , même si , secrètement , certains de ses stratèges considèrent qu' une voie royale s' est ouverte pour la réélection du Jacques Chirac . C' est entendu : la gauche sera absente du second tour comme en 1969 . C' est entendu : elle n' apportera pas ses suffrages à l' extrême-droite , non seulement parce qu' elle lui est par nature , par culture , totalement opposée , mais aussi parce qu' il est nécessaire , après un tel séisme , d' apaiser le pays . Un large rassemblement républicain se dessinait dès hier soir , très naturellement , pour empêcher l' inimaginable . Ce « sursaut » viendra dans quinze jours donner à Jacques Chirac une réélection triomphale - mais faussement triomphale . Car toute la société politique doit faire , au plus vite , son examen de conscience . La crise française - qu' on regardera à l' étranger avec des yeux moqueurs - nous oblige à revoir nos discours , nos habitudes , elle nous invite à mesurer le danger qu' il y a à ignorer le bruit et la fureur qui , parfois , montent de la rue . La droite , dans quinze jours , ne peut se contenter de « rester à l' Elysée » . La gauche devra , comme on dit , se recomposer , imaginer d' autres desseins , rêver d' autres possibles . Mais , dans l' immédiat , c' est la France qui doit être remise à plat .