L'Humanité

Corpus:
Chambers-Rostand (E)
Filename:
L'Humanité
Contact:
Angela Chambers, Séverine Rostand, Université de Limerick, Irlande
Annotation tiers:
Annotation automatique
Annotation status:
automatique
Type:
presse écrite
Text type:
presse quotidienne nationale
Modality:
écrit
Sample address:
/annis-sample/chambers-rostand/1_H_C_280103.html
Text:
Les Chaises , pièce en plein dérangement La folie grignotant plusieurs pièces d' Eugène Ionesco est à ce point sans mesure qu' on en vient à voir en l' auteur un démiurge : de ceux qui visiblement se soucient peu de paraître fous , l' essentiel étant de mettre en dialogues l' aliénation diffuse captée alentour . Le culot de Ionesco laisse coi , sans compter cette aisance avec laquelle il tutoie l' absurde : c' est pourquoi il agace , c' est pourquoi on l' admire . Prenons la pièce les Chaises , écrite en 1952 , et la tension croissante qu' elle inflige au spectateur , pris entre l' envie de savoir jusqu'où grimpera cette scandaleuse lucidité de l' auteur sur la sottise humaine , et le besoin que cela cesse assez vite , enfin : un regard comme ça , c' est pas humain ! Sur scène , rien ne laissait présager la cruauté . Dans une ferme obscurité , juste deux petits vieux encore vigoureux . Trop pour se résigner à sans se faire remarquer . Au début , deux petits vieux et deux chaises , seulement . L' homme est barbu , un peu tassé , et a un faux air de prof péremptoire . Sa femme l' appelle " chou " , il est debout , perché , pour voir " le soleil , dehors , sur l' eau qui croupit et sent mauvais " . La grand-mère à la chevelure bien blanche , que son époux surnomme " ma crotte " , est assise , digne . Elle gémit sur le Monsieur qu' il aurait pu être , au lieu d' être concierge . Tant de facultés gâchées , et cette vie qu' ils auraient pu avoir . Lui de feindre l' humilité . On y croit si peu . D' ailleurs , l' ennui entre ses murs - le couple dit s' être fâché avec sa famille - suscite une faible compassion . Et l' histoire réclamée avec insistance par la petite vieille ( " Raconte -moi , chou , comment ce bout du bout du jardin était au bout du bout de la ville de Paris ! " ) dévoile juste de la naïveté , peut-être sénile : ce conte bizarre répété en toute incohérence est d' un absurde encore tiède , peu emblématique de celui , hyperbolique , qui suivra . Arlette Bonnard et Alain Enjery , ici acteurs et metteurs en scène , ont suivi à la virgule près les didascalies de Ionesco . Cela se ressent à chaque mot prononcé , au fur et à mesure que les regards basculent vers la déraison . La fréquentation scrupuleuse du texte a peut-être généré l' empathie . Bientôt , l' agitation s' emparera des êtres , ils seront dingues , pathétiques , et bien plus , sur un mode très excessif . Une forme unique d' exagération : celle -ci happe l' esprit , effraie , et on y croit . Bientôt , les coups de sonnette se succéderont , tous plus retentissants . Tous sinistres . " Chou " , longtemps isolé et même paria , est sûr qu' il sera finalement reconnu , son discours va changer les esprits , le monde . Il bondit à la porte , accueille untel , puis un autre : les mondains , les curieux , le colonel , les journalistes , et bientôt , l' empereur ! Chou , si flatté , se répand en formules obséquieuses . La femme s' affaire , il faut tant , tant de chaises ! Elles dévorent l' espace , une avancée presque monstrueuse . Avec quel savoir-faire , alors , ce duo de comédiens parvient à nous faire entendre , endurer , le silence qui succède aux monologues insatiables , aux infatigables courbettes . Les petits vieux sont seuls , les silences innombrables . Parfois dos-à-dos , ces êtres s' adressent chacun à un autre invisible . Chacun empli , débordant d' hypocrisie puis de franche impudeur sur la famille , par exemple . Deux malades dispensant la cathartique phrase de Ionesco . Jusqu'au 8 février . Mardi , jeudi et vendredi à 21 heures ; mercredi et samedi à 19 h 30 ; dimanche à 16 heures . Au Théâtre Paris-Villette , 211 , avenue Jean-Jaurès , 75019 Paris . Métro : Porte-de-Pantin . : 01 46 21 44 09 .