L'Humanité

Corpus:
Chambers-Rostand (E)
Filename:
L'Humanité
Contact:
Angela Chambers, Séverine Rostand, Université de Limerick, Irlande
Annotation tiers:
Annotation automatique
Annotation status:
automatique
Type:
presse écrite
Text type:
presse quotidienne nationale
Modality:
écrit
Sample address:
/annis-sample/chambers-rostand/1_H_E_050503.html
Text:
Le piège ( " Cent minutes pour convaincre " , quelle sinistre résonance ont ces mots quand il s' agit d' offrir une tribune à Jean-Marie Le Pen ) N' en déplaise à tous ceux qui nous expliqueront , une fois encore , qu' inviter Le Pen à la télévision ce n' est pas si grave que cela , qu' après tout il pèse plus de 15 % des voix , et qu' en fin de compte c' est aux électeurs de décider , nous voulons crier ici notre colère devant l' invitation faite ce soir par la télévision publique à Jean-Marie Le Pen . " Cent minutes pour convaincre " , quelle sinistre résonance ont ces mots quand il s' agit d' offrir une tribune de premier choix à un homme qui vient d' insulter la mémoire d' un homme jeté à la Seine par quelques nazillons à cause de la couleur de sa peau . L' émission de ce soir est un crachat sur la tombe de Brahim Bouarram . Ne serait -ce que pour cela , cette émission ne devrait pas avoir lieu . Mais ce n' est pas tout . Suffit -il d' évoquer les scores électoraux du Front national pour justifier cette invitation ? Nous ne le pensons pas . L' argument arithmétique n' efface pas la responsabilité de la puissance invitante . Le Pen en prime time à la télévision pour l' anniversaire du 5 mai , c' est un choix délibéré que rien n' imposait . Beaucoup d' autres étaient possibles . Faut -il rappeler à ceux qui ont la mémoire courte qu' entre les deux tours de la présidentielle , dans une circonstance où le jeu institutionnel aurait justement pu imposer un autre choix , Jacques Chirac avait choisi de ne pas débattre avec Jean-Marie Le Pen ? Le problème n' est donc pas de savoir s' il faut interdire le Front national , nous n' avons d' ailleurs jamais pensé qu' une telle mesure puisse réduire à néant son influence , mais de considérer que la progression de ses idées , racistes , xénophobes , condamnées par la loi française , ne peut être banalisée . Les idées du FN ont marqué des points , c' est un fait , mais cela n' en fait pas des idées comme les autres . L' invitation de Jean-Marie Le Pen à France 2 est d' autant plus scandaleuse qu' elle est à nouveau au centre d' une entreprise de banalisation . Le leader de ce parti vient en quinze jours de s' exprimer longuement sur France Inter , Europe 1 , LCI et au Grand Jury RTL -le Monde , sans parler des prestations de sa fille , et des innombrables sujets consacrés au FN à l' occasion de son congrès et du 1er Mai , dans lesquels on a entendu les dirigeants de ce parti plaider à satiété leur nouvelle respectabilité . Eux croient désormais en leur chance . Ils n' excluent pas l' an prochain de prendre les rênes de certaines régions . Sont -ils aveugles ceux qui refusent de croire en ce danger ? Un an après le 21 avril , nous ne sommes pas sortis du piège qui s' était alors refermé sur notre peuple . Blessé , meurtri , il avait alors réagi de la plus belle manière qui soit en contenant le score de Le Pen le 5 mai , mais chacun avait bien conscience que le problème demeurait entier pour la suite . À droite , certains semblent depuis caresser le rêve d' une France qui se réduirait à une duel entre droite républicaine et extrémisme . Port du voile ou immigration , Nicolas Sarkozy agite le chiffon , et le Figaro Magazine titre son dernier dossier " La gauche en voie de disparition " . Rêve fou et dangereux , car les mêmes creusent les fractures sociales et politiques en cassant les retraites , les emplois , l' assurance maladie , l' école publique . Attention à trop jouer avec le désespoir des Français ... Pour sortir de ce cercle vicieux , il faudra décidément briser les dogmes libéraux dans lesquels on veut enfermer la réflexion de nos concitoyens , ce que la gauche plurielle n' a pas su ou voulu faire , ce pourquoi elle a été si durement sanctionnée . C' est à ce choix , à cette confrontation publique et démocratique entre solutions libérales et alternatives de transformation sociale qu' il convient d' inviter les Français . Beaucoup d' électeurs déçus choisissent Le Pen , nous dit -on . Certes , mais beaucoup d' autres , bien plus nombreux , attendent autre chose , s' abstiennent ou votent par défaut . Ouvrons vite et en grand l' antenne à ce débat essentiel .