L'Humanité

Corpus:
Chambers-Rostand (E)
Filename:
L'Humanité
Contact:
Angela Chambers, Séverine Rostand, Université de Limerick, Irlande
Annotation tiers:
Annotation automatique
Annotation status:
automatique
Type:
presse écrite
Text type:
presse quotidienne nationale
Modality:
écrit
Sample address:
/annis-sample/chambers-rostand/1_H_E_200203.html
Text:
Sélection ? ( S' agit -il d' adapter l' homme à la machine , l' homme aux milieux cancérigènes ou autres , l' homme au stress , aux chaînes de production les plus tordues ? ) Tout ce qui est excessif ne compte pas et il faut , à juste titre , se défier des amalgames . Mais si les mots ont un sens - et un poids - , il faut bien lire ceux -ci qui ont provoqué une vive réaction et la pétition de personnalités et de praticiens que nous évoquons ici . Il serait donc demandé désormais aux médecins du travail d' écarter de tel ou tel emploi les travailleurs qui présenteraient " un sur-risque " à partir des " éléments d' ordre génétique , comportemental ou historique " dont ils disposent . D' opérer , en somme , une sélection sur ces critères . De manière tout autant perverse , il s' agirait , dans l' esprit du ministère du Travail et par un décret qui date de février 2001 , de prévoir qu' un travailleur ne pourra être affecté à des travaux exposant à des agents cancérogènes , mutagènes ou toxiques qu' à la condition " qu' il ne présente pas de contre-indication médicale à ces travaux " . Cela pourrait paraître de bon sens . Ce ne l' est pas et les signataires de la pétition évoquée ne s' y trompent pas . Il s' agit de choisir ou d' écarter les hommes plutôt que de changer les conditions de travail . Il s' agit de renoncer aux missions fondatrices de la médecine du travail , qui visaient à établir et maintenir " un milieu de travail sûr et salubre " , selon la définition du Bureau international du travail , et à adapter le travail " aux capacités des travailleurs " , non l' inverse . D' où la question , immédiate . Qu' est -ce qui prime : l' homme ou la machine ? l' homme ou l' entreprise et , bien évidemment , l' homme ou le profit ? Quelle est la finalité de l' économie ? Les signataires de la pétition ont mille fois raison d' évoquer " le fantasme de l' eugénisme " . Car s' il s' agit d' adapter l' homme à la machine , l' homme aux milieux cancérigènes ou autres , l' homme au stress , aux chaînes de production les plus tordues ou au travail informatique le plus mangeur de nerfs , alors ouvrons les portes de la science et de la science-fiction en unissant leurs merveilleuses possibilités : des hommes à quatre mains , des cerveaux einsteiniens greffés sur des corps de singes , des hommes OGM , des " parfaits " sans héritage génétique , sans passé - sans avenir ? - formatés par et pour l' entreprise en fonction des besoins de cette dernière et des actionnaires ... Quel beau progrès ! Au XIXe siècle , on prenait des bambins pour travailler dans les mines parce qu' ils étaient les seuls à pouvoir se glisser dans les boyaux les plus étroits . On en choisit aujourd'hui parce que leurs petites mains font merveille pour fabriquer des tapis , mais on peut aller bien plus loin , non ? ... On a beau jeu de vouloir rejeter le clonage humain . Que fait -on d' autre quand on nie et rejette ce qui est le coeur même de la civilisation , la diversité humaine ? Concrètement , qu' est -ce qui empêchera le prétendant à un poste , au risque de sa santé , de nier ses propres antécédents , ceux de sa famille , de masquer une souffrance ou un risque . Il faudra enquêter , alors ? Sous couvert de protéger les travailleurs , ces dispositions , si elles devaient être appliquées , seraient une régression en termes de santé publique . Elles permettraient d' accepter sans mot dire que fonctionnent des entreprises à risques . Elles entraveraient la détection de la maladie chez les salariés , leur proches , leurs parents . Le gouvernement serait bien inspiré de revenir au plus vite sur cette disposition . Il ne suffit pas - que ce soit sincère ou non n' est pas le problème - , d' être humaniste au sommet de Johannesburg . Il ne suffit pas d' agir - à juste titre - pour repousser les menaces de guerre , mais de laisser en France cette économie -là , qui s' appelle le capitalisme , faire la guerre aux salariés licenciés d' Air Lib , de Metaleurop et tant d' autres , aux précaires , aux femmes , aux jeunes , aux étrangers , aux différents , aux autres , maintenant aux salariés " à risques " . Et demain , quelles sélections ?