L'Humanité

Corpus:
Chambers-Rostand (E)
Filename:
L'Humanité
Contact:
Angela Chambers, Séverine Rostand, Université de Limerick, Irlande
Annotation tiers:
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Annotation status:
automatique
Type:
presse écrite
Text type:
presse quotidienne nationale
Modality:
écrit
Sample address:
/annis-sample/chambers-rostand/1_H_I_120403.html
Text:
La guerre de Bush La statue est tombée , et demain ? La fin du régime de Saddam Hussein . Après trente ans de règne , Saddam laisse un désastre derrière lui . Aux millions de morts de la guerre avec l' Iran et de celle du Golfe s' ajoutent les victimes de la conquête américaine . Les États-Unis qui ont su , en son temps , utiliser le dictateur comme une marionnette se préparent à gérer directement le pays . La statue de Saddam Hussein est tombée mercredi . Elle était vide et ne laisse qu' un trou béant derrière elle . Le dictateur irakien a disparu et avec lui s' est volatilisé , sous les bombes américaines , un régime qui n' était plus qu' une carcasse d' État au service exclusif de quelques fidèles et familiers . En trente ans de règne , Saddam a non seulement confisqué une révolution nationale , qui en juillet 1958 avait vaincu - en chantant la Marseillaise - la monarchie mise en place par les Britanniques . Mais il a aussi vidé de son contenu la doctrine nationaliste du parti Baas . Aux millions de morts de la guerre avec l' Iran et de celle du Golfe s' ajoutent aujourd'hui les victimes de la conquête américaine . L' État irakien n' existe plus , les ministères , des hôpitaux , des réserves de nourriture sont pillés - sous l' oeil impavide des troupes d' occupation - par une population réduite à la misère , et sans doute demain à la barbarie des règlements de comptes , par douze ans d' embargo . Le secrétaire à la Défense , Donald Rumsfeld - lui qui , en son temps , avait vanté les mérites de Saddam , offrant au dictateur un accès aux armes les plus sophistiquées - a osé comparer la destruction de la statue de Saddam à la chute du mur de Berlin . A -t-il oublié que celle -ci fut l' action du peuple allemand lui-même , sans l' intervention d' aucune troupe d' occupation et sans pillage ni effusion de sang ? Combien de victimes a déjà fait cette guerre qui n' a pas encore pris fin ? Pour le commandement du corps expéditionnaire américain , il n' est pas question de donner des chiffres car , prétend le porte-parole militaire américain en chef au Qatar , le capitaine Frank Thorp , " le combat n' est pas un tableau d' affichage des scores " , et " nous ne demandons pas à nos commandants de tenir un compte des pertes ennemies " . Des milliers et des milliers de victimes irakiennes On peut toutefois avoir un aperçu de l' ampleur de la tuerie perpétrée en trois semaines : " La destruction a été terrifiante , des divisions entières ont été anéanties " , a déclaré au New York Times un officiel militaire , sous couvert de l' anonymat . Rien que durant l' expédition de trois heures d' un détachement de chars , samedi dernier à Bagdad , près de trois mille " combattants " ont été tués , selon ce militaire . Mark Burgess , du Centre d' information sur la Défense ( un groupe de recherche privé , à Washington ) , dit que les armes de destruction massive larguées par les bombardiers anglo-américains " ont sans doute pulvérisé , brûlé ou enterré sous des décombres des centaines de milliers de victimes du champ de bataille " . Et qu' en est -il des victimes civiles ? Rien que lors de l' occupation de Bassora , les services de secours ont recueilli entre mille et deux mille cadavres , principalement des femmes , des enfants et des personnes âgées . À Bagdad , notamment dans les faubourgs , le bilan pourrait être dix fois plus grave . Et l' on ne sait toujours pas ce qui s' est passé dans le désert où vivent des milliers de Bédouins , ni dans les autres agglomérations du pays . Jeudi soir , dans un message télévisé diffusé à partir d' un bombardier américain , Tony Blair et George Bush ont affirmé aux Irakiens qu' ils sont " enfin libres " de choisir leur destin et , a ajouté le président américain , " un gouvernement intérimaire , regroupant toutes les ethnies et où toutes les confessions religieuses seront représentées " . Mardi soir , arrivé à Nassiriyah dans un char américain , l' homme lige de Washington , Ahmed Chalabi , a brièvement paradé avec quelques miliciens dans les rues de la ville . Ce banquier véreux , dont la famille avait fui la révolution irakienne en 1958 , un grand ami de Donald Rumsfeld , Dick Cheney et Condoleezza Rice , nommé " président " du Congrès national irakien , est pressenti par Washington pour le rôle de président intérimaire , sans pouvoir réel ni légitimité . " Nous réunirons l' opposition irakienne samedi " , a déclaré Chalabi . Pas question , a répondu un officiel anonyme de la Maison-Blanche , " ce sera notre réunion avec notre liste d' invités , et pas celle de Chalabi " . L' " administration civile intérimaire " sera dirigée par un proconsul américain , l' ancien général Jay Garner . Ce personnage particulièrement glauque , à la tête d' une puissante compagnie spécialisée dans les systèmes de guidage de missiles , est connu dans le monde arabe pour l' aide qu' il a apportée à l' armée israélienne , notamment pour la fabrication du missile antimissile Arrow , et pour ses liens d' amitié avec Ariel Sharon . La guerre pas encore éteinte , de nouveaux foyers peuvent s' allumer La guerre n' est pas finie . Elle pourrait même ouvrir de nouveaux foyers au Moyen-Orient . Jeudi , les miliciens kurdes , aidés par des commandos américains , ont pris le contrôle de Kirkuk et de ses champs pétroliers les plus importants du nord de l' Irak . Ils ont été accueillis comme des libérateurs par la majorité kurde de la population . Immédiatement après l' annonce de cette prise , le gouvernement turc a averti qu' il ne " tolérerait pas " que les Kurdes contrôlent définitivement la ville . Dans le même temps , des rivalités sourdes agitent les forces kurdes divisées entre milices du Parti démocratique du Kurdistan et celles de l' Union du peuple du Kurdistan , les deux groupes dominants qui régulièrement se combattent pour étendre leurs zones d' influences respectives . Plus grave encore , Bush et Rumsfeld ont immédiatement exploité la " victoire de Bagdad " . Mercredi , prétextant qu' il allait poursuivre sa campagne pour " répandre la démocratie " , le président américain a adressé " un clair avertissement " à d' autres gouvernements " que le soutien au terrorisme ne sera pas toléré " . Et Donald Rumsfeld a mis les point sur les i en affirmant que la Syrie avait ignoré jusqu'à présent les avertissements américains quant à l' aide que Damas apporterait au régime irakien . Tout se passe comme si le nouveau fantasme terroriste que Washington souhaiterait voir prendre corps à côté d' Al Qaeda était le Hezbollah libanais . Financée par l' Iran et soutenue par l' Irak , cette organisation , qui a visiblement intégré la vie politique libanaise en abandonnant toute action armée depuis la fin de l' occupation israélienne du Sud-Liban , est une cible de choix à partir de laquelle on pourrait frapper Damas et Téhéran , a laissé entendre le secrétaire d' État adjoint Richard L. Armitage . De son côté , Ariel Sharon a repris la balle au bond en proclamant que la chute de la statue de Saddam devait " être aussi un avertissement à Yasser Arafat " accusé de soutenir le mouvement extrémiste palestinien Hamas . " L' ONU doit jouer un rôle essentiel " dans " l' après-Saddam " , ont prétendu Bush et Blair . Ils attendent en réalité de l' Organisation des Nations unies qu' elle joue le rôle d' ambulance - l' aide humanitaire n' est toujours pas organisée , alors que la situation est catastrophique en Irak - et qu' elle fournisse , avec essentiellement la participation de la communauté internationale , les milliards de dollars de financement pour remettre le pays à flot . Pas question , en revanche , que les États-Unis prennent en charge le paiement des dégâts humanitaires que le corps expéditionnaire a provoqués . Intenses tractations sur le rôle de l' ONU dans l' après-guerre On attend également , à Washington , que l' ONU légitime le proconsulat américain sur l' Irak en lui déléguant la gestion du pays sous couvert de reconnaissance du " gouvernement intérimaire " sur lequel l' armée d' occupation aura la haute main . La France entrera -t-elle dans ce jeu pervers pour tenter d' avoir une petite part du butin pétrolier ? Ce serait contraire au droit et , surtout , illusoire : " Puisque vous n' avez pas adhéré au club , vous ne participerez pas au dîner du club " , avait brutalement déclaré Richard Perle , le 3 avril dernier , à l' envoyé spécial de France 3 à Washington . La toute-puissance américaine a ouvert de nouvelles perspectives aux États-Unis , avait récemment proclamé George W. Bush . On entrevoit aujourd'hui le risque de déstabilisation de la planète que sa doctrine de guerre préventive peut entraîner . Entrer dans ce jeu peut être mortel . Au contraire , la France pourrait assumer un rôle historique en agissant avec le reste du monde pour que l' ONU - son Assemblée générale - reprennent la maîtrise de la paix et de la sécurité dans le monde .