Le Monde

Corpus:
Chambers-Rostand (E)
Filename:
Le Monde
Contact:
Angela Chambers, Séverine Rostand, Université de Limerick, Irlande
Annotation tiers:
Annotation automatique
Annotation status:
automatique
Type:
presse écrite
Text type:
presse quotidienne nationale
Modality:
écrit
Sample address:
/annis-sample/chambers-rostand/1_M_S_291203.html
Text:
MONTAGNE . L' alpiniste Reinhold Messner rattrapé par une vieille controverse L' Italien publie le récit de son premier exploit dans l' Himalaya , en 1970 , au Nanga Parbat , au cours duquel il perdit son frère cadet . Plusieurs de ses compagnons de l' époque contestent sa version des faits . L' affaire devrait se poursuivre devant les tribunaux allemands C' est une polémique morbide qui agite le monde de l' alpinisme depuis quelques semaines : l' himalayiste italien REINHOLD MESSNER , par ailleurs député européen , est accusé par certains de ses anciens compagnons d' expédition d' AVOIR ABANDONNÉ en montagne son frère cadet , Günther , disparu après leur ascension du NANGA PARBAT ( Pakistan ) , en 1970 . Dans un livre qui vient d' être traduit en français , La Montagne nue , Reinhold Messner fait le récit , à la fois puissant et troublant , de ce voyage au bout de la folie de l' ALPINISME EXTRÊME . « Je vis avec la responsabilité de la mort de mon frère » , dit -il , tout en niant avoir abandonné celui -ci . Il a demandé à la justice allemande la suppression de vingt-quatre passages de l' ouvrage de l' un de ses contradicteurs , MAX VON KIENLIN , qu' il accuse de « faux » . PLUS DE TRENTE ANS après la dramatique ascension qui coûta la vie à son frère et marqua le début de sa renommée , Reinhold Messner a décidé de prendre le public à témoin d' une blessure intime . Son récit , puissant , La Montagne nue , vient d' être publié en France . Le premier homme à avoir gravi l' Everest sans oxygène , l' auteur à succès dont les livres se sont vendus à plusieurs millions d' exemplaires , l' aventurier barbu et chevelu qui vit dans un château tyrolien du XIIIe siècle et s' apprête à inaugurer son Messner Mountain Museum , présente aujourd'hui son quarantième ouvrage . « Un livre personnel » , dit -il . A 58 ans , Reinhold Messner veut faire passer un message : « Je vis avec la responsabilité de la mort de mon frère . J' ai appris à accepter ma vie , à la vivre , malgré tout , dans la créativité. » En cherchant la sérénité , il a aussi réveillé de vieux démons qu' il combat avec rage . Le 15 décembre , pour présenter son livre , il a effectué un aller-retour Strasbourg-Paris depuis le Parlement européen , où il a été élu en 1999 sur une liste des Verts du Sud-Tyrol . La conférence de presse avait lieu sous les dorures du consulat italien à Paris , et le député européen , Italien germanophone , s' exprimait pour l' occasion en italien . Méthodiquement , il a repris le récit de sa traversée du Nanga Parbat ( « la montagne nue » ) , au Pakistan . Il a campé la montagne géante et sa paroi sud , le versant Rupal , la plus grande muraille du monde , haute de près de 5 kilomètres . Il a retracé l' atmosphère de son premier contact , à 25 ans , avec l' Himalaya , au sein d' une grosse expédition germano-autrichienne , ses rapports houleux avec Karl Herrligkoffer , le chef d' expédition , hanté par cette montagne pour y avoir perdu son demi-frère en 1934 . LA NUIT LA PLUS DURE Il a raconté son départ solitaire vers le sommet , le 27 juin 1970 , les dernières heures d' ascension avec Günther , son cadet de deux ans . L' arrivée au sommet , à 8 125 mètres d' altitude , en fin d' après-midi , l' épuisement de Günther , atteint du mal des montagnes , la décision de redescendre sur l' autre versant , qui leur semblait la seule voie de salut , le bivouac terrible à 7 800 mètres d' altitude , « la nuit la plus dure de toute ma vie d' alpiniste » . Reinhold Messner poursuit , d' une voix égale : au matin , il a gagné une brèche d' où il a vu deux membres de l' expédition monter dans sa direction . Il a crié pendant trois heures pour attirer leur attention , mais lorsqu' ils sont parvenus à portée de voix , il avait compris que , séparés de lui et de son frère par cent mètres de paroi verticale , ils ne pourraient pas leur venir en aide . Il ne les a pas appelés au secours . Reinhold et Günther ont alors entamé leur « descente folle » par le versant ouest . L' aîné ouvrait la marche , repérant l' itinéraire , le cadet suivait , parfois à distance . Au milieu du deuxième jour , Rein-hold , arrivé au pied de la paroi , s' est cru sauvé . Mais Günther ne le suivait plus . Günther avait disparu et , après deux jours de recher-ches , Reinhold en était convaincu : « Mon frère devait être mort. » Non loin de l' endroit où il l' avait vu pour la dernière fois , il y avait les traces d' une avalanche . Reinhold Messner a encore raconté , comme en une vaine tentative de se débarrasser d' un fardeau , les trois derniers jours de son odyssée . Il s' est traîné sur ses pieds gelés , en proie à des hallucinations , dans une vallée déserte : « J' ai vu des vaches , c' étaient des rochers . J' ai vu arriver les secours , ce n' étaient que des buissons. » Le survivant n' a retrouvé ses compagnons que sept jours après les avoir quittés . Il dit comprendre qu' ils ne soient pas venus à son secours : « Pour eux , il n' était pas possible que nous soyons vivants. » Puis il suggère que c' est parce qu' il craignait de se voir reprocher ce défaut d' assistance que Karl Herrligkoffer « a inventé le fait que j' avais abandonné mon frère pour réaliser cette traversée , pour réussir un exploit » . Soudain , Reinhold Messner se fait plus incisif . En trente ans , il est devenu « un alpiniste d' une certaine renommée , un personnage public » . Et c' est en tant que tel qu' il se défend . Il accuse « un certain Allemand , un invité de cette expédition qui se fait donner du baron » . Cet homme , dit -il , « a écrit une page fictive de journal intime » où il affirme avoir recueilli les premiers mots de l' alpiniste après son calvaire . Le document , affirme Reinhold Messner , est « un faux , écrit il y a moins de deux ans » . Et dans une allusion à peine voilée à l' épi- sode des faux carnets de Hitler , il ajoute : « Des journaux comme le Spiegel , qui l' ont publié sans vérifier son authenticité , n' ont pas fait leur travail. » AUTREFOIS AMIS Le baron Max von Kienlin a écrit davantage qu' une simple page de journal . Il a publié un livre , non traduit en français , Die Uberschreitung . Joint à Munich , par téléphone , il explique dans un français précis le double sens de ce titre , « à la fois traversée et infraction » . Jugeant « ridicule » l' accusation de Reinhold Messner , il explique : « Pourquoi inventer un journal ? Ce qu' il m' a dit alors est gravé dans ma mémoire. » Max von Kienlin dit s' être décidé à prendre la plume , en même temps que trois autres membres de l' expédition de 1970 , « lorsque Messner a dit publiquement que la mort de Günther était de la faute des camarades » . Ulcéré par la « morale égoïste » du grand alpiniste , il dit n' avoir pas à juger le comportement que celui -ci a adopté par rapport à son frère . Mais il accepte cependant de préciser son « hypothèse personnelle » sur ce qui s' est passé au sommet du Nanga Parbat . Les frères Messner étaient alors ses amis ( il se brouillera avec Reinhold l' année suivante , lorsque sa femme le quittera pour vivre avec l' alpiniste italien ) . Il raconte qu' en 1970 , dans sa tente au camp de base , Reinhold Messner lui avait fait part de son désir de tenter une traversée solitaire . « Il ne se serait pas contenté d' être l' un des trois ou six alpinistes au sommet . Il voulait quelque chose d' extraordinaire . Il était très ambitieux. » Selon Max von Kienlin , la traversée de Reinhold Messner n' aurait pas été improvisée , comme une fuite vers la survie , mais longuement mûrie . Et il n' était pas question que Günther y participe . Max von Kienlin pense , c' est le coeur de son livre , que les deux frères se sont séparés peu après avoir atteint la cime . Reinhold serait parti vers son exploit . Et Günther , épuisé , serait mort à proximité du sommet ou en tentant de redescendre , seul , la voie gravie le matin - et non trois jours plus tard , sous une avalanche . Seul Reinhold Messner sait ce qui s' est passé les derniers jours de juin 1970 au Nanga Parbat . La vérité est sa vérité : il l' a signifié à Max von Kienlin en poursuivant celui -ci devant un tribunal de Hambourg et en demandant la suppression de vingt-quatre passages du livre de son ancien compagnon d' expédition . La décision sera rendue le 30 janvier . En octobre , il est retourné au pied du Nanga Parbat , qu' il avait gravi une deuxième fois , en solitaire , en 1978 . Dans le village où il avait revu les « premiers hommes » , il y a trente-trois ans , il a demandé que chaque été , dans le glacier , on recherche le corps de son frère .